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John Fawcett : le dévouement à première vue

Avec sa stature imposante et ses honorables 78 ans, John Fawcett se repère de loin sous le bale du village balinais de Taro. Ce matin, il y règne une effervescence particulière, la clinique mobile de la Fondation John Fawcett, rebaptisée ici Yayasan Kemanusiaan Indonesia, vient d’arriver et tous les villageois se pressent pour bénéficier d’un check-up gratis des yeux. Avertis grâce aux campagnes de sensibilisation orchestrées en amont avec le concours du chef de village, ils sont nombreux à faire la queue avec un ticket numéroté à la main. Grâce à la compétence d’une équipe formée et efficace, les paysans défilent en rang ordonné d’un poste à l’autre. Examen de la vue, de la rétine, fond d’œil, mesures ophtalmologiques et à la fin, remise d’une paire de lunettes ou opération de la cataracte dans le bloc opératoire mobile si nécessaire. Bilan de cette matinée de diagnostics et de soins médicaux gratuits, plus de 200 paires de lunettes distribuées et une dizaine d’opérations réalisées.

« Une opération de la cataracte dans notre bus coûte moins de 50 dollars US et ne dure qu’un quart d’heure », révèle cet ancien directeur d’école originaire de Perth, en Australie. La fondation a démarré en 1991 avec la mise en route du premier bus bloc opératoire, élément fondamental de la réussite de cette entreprise humanitaire qui a su valoriser au maximum chaque dollar reçu de ses bienfaiteurs. « Un bus complet, prêt à fonctionner ne coûte que
100 000 dollars, nous en avons trois en opération à Bali, un à Kalimantan et bientôt un autre à Lombok », poursuit John Fawcett. En 2008, près de 82 000 personnes ont été auscultées par les équipes mobiles de la fondation. Plus de 2000 ont bénéficié d’une opération de la cataracte et plus de 37 000 paires de lunettes ont été distribuées. La technique de substitution du cristallin opacifié par une lentille date des années 80. « Elle est efficace, éprouvée et aujourd’hui peu coûteuse », explique cet Australien installé en Indonésie. Pas besoin du matériel sophistiqué et cher utilisé désormais dans les pays développés et qui ne serait pas viable ici.

Ancien céramiste, puis formateur d’enseignants à Perth, rien ne destinait John Fawcett à s’occuper des aveugles et malvoyants d’Indonésie. Ayant découvert Bali dans les années 70 à l’occasion de vacances, il en avait gardé un souvenir ému et émerveillé. Elevé parmi les populations aborigènes de l’ouest australien, il était tombé amoureux du raffinement et de la beauté de la culture balinaise et puis, était retourné à sa vie de famille. Quelques années plus tard, un accident va changer son destin. Victime d’une chute qui lui endommage le dos, il doit subir une opération qui nécessite une anesthésie péridurale qui va mal tourner. Cliniquement mort, il ne reviendra à la vie que muet, totalement amnésique et presque aveugle. Sa condition s’améliorera lentement mais sûrement, notamment en raison de sa robuste constitution mais il restera quand même à l’hôpital pendant presque trois ans. En convalescence à Bali, le gouverneur de l’époque, avec qui il s’était lié d’amitié quelques années plus tôt, lui suggère de s’installer sur l’île afin d’aider les Balinais qui souffrent.

« Je n’ai rien programmé, c’est arrivé comme ça, se souvient aujourd’hui John Fawcett, J’avais juste remarqué qu’il y avait beaucoup d’aveugles autour de nous. » Les premières donations et la bonne idée du bloc opératoire mobile, construit en Australie, feront le reste. « Tout le monde a le droit de voir », répète aujourd’hui cet homme à l’énergie inébranlable. Depuis 1991, des dizaines de milliers de personnes ont en effet recouvré la vue grâce à la fondation, des enfants, des vieux, des gens pauvres et inéduqués pour qui le fait d’être aveugle était perçu comme le signe d’un mauvais karma, conformément aux enseignements de la religion hindoue. Le documentaire « God Made Them Blind », projeté à la Balinale 2008 et primé dans plusieurs festivals, raconte justement cet aspect problématique de l’action entreprise par la fondation dans les villages. Mais avec plus de 25 000 Balinais soignés en 18 ans d’activité, gageons que le poids des superstitions ne pèse pas lourd face au bonheur de voir à nouveau.

D’autres programmes de détection de la cataracte ont aujourd’hui démarré dans le reste du pays. A Sumba, mais aussi à Java Centre et Java Est où John Fawcett estime à 750 000 le nombre de personnes souffrant de cécité due à un cristallin opacifié. « Nous redonnons un peu de dignité à ces gens pauvres qui ne se plaignent jamais. Et qui devraient, si on réfléchit bien ! Leur rendre la vue devient donc la responsabilité de ceux qui savent que c’est possible », explique encore John Fawcett. Le gouvernement indonésien est devenu un soutien tangible et énergique de l’activité de la fondation ces dernières années et l’accès gratuit à de nombreux journaux et télévisions, notamment à Bali, pour la promotion de ses actions sur le terrain, a permis de populariser au maximum sa démarche. Enfin, les frais de fonctionnement conséquents de cette association sont désormais pris en charge par un seul et unique bienfaiteur, le voyagiste australien Harvey World Travel, permettant ainsi à 90% des autres donations de servir directement le but médical.

D’autres activités ont été lancées, comme la fabrication de prothèses oculaires, orthopédiques et de fauteuils roulants, un programme de lutte contre la tuberculose, un autre de chirurgie réparatrice pour les becs de lièvre, un autre d’assistance à la scolarisation. Faire des dons à la fondation John Fawcett donne droit à des réductions d’impôt en Australie, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. L’année 2008 a drainé un total de donations de près d’un million de dollars US, un montant impressionnant pour une association dont la réussite n’est certes plus à prouver. Mais il n’y a que 800 ophtalmologistes en Indonésie, un chiffre notoirement insuffisant si l’on considère que 1,5% de la population souffre de cécité, soit 4 millions de personnes. « Nous avons pour objectif le chiffre de 2000 ophtalmologistes », explique John Fawcett.

Malgré l’efficacité de l’association et l’enthousiasme de ses membres, les prévisions restent sombres, il pourrait y avoir 20 millions d’aveugles dans l’archipel en 2020. A cela, plusieurs raisons : génétiques tout d’abord, accidentelles ensuite, à cause du soleil quand on travaille toute sa vie dans les rizières, la déshydratation qui va avec, le diabète chez les plus âgés et surtout un mauvais régime alimentaire où il n’y a ni légume, ni fruit. « Nous avons le taux de cécité le plus important au monde », rappelle le docteur Wayan Gde Dharyata, un des chirurgiens bénévoles de la fondation, en sortant du bloc opératoire mobile garé le long du bale de Taro. Mais aujourd’hui, grâce à lui et aux autres membres de l’association, une dizaine de villageois de plus seront bientôt guéris.

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