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John Badalu : La tolérance envers les homos s’accroit en Indonésie

La Gazette de Bali : Quelle est la démarche du Q! Film Festival ?

John Badalu : Le Q! Film Festival est basé sur des idées simples. Tout d’abord, nous souhaitons présenter au public indonésien des films LGBT (Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender) qui sortent de ce que produit Hollywood. Aussi, nous aimons l’idée que les gens soient inspirés par des films. Certains d’entre nous sont de vrais cinéphiles qui ont vraiment été transformés par des films qu’ils ont vus car ces films ont constitué des tournants décisifs dans leurs vies. C’est ce que nous attendons de notre public. Sinon, c’est bien sûr un moyen de renforcer la présence des communautés LGBT.
Au-delà, c’est aussi un moyen de combattre l’injustice. Nous essayons d’ouvrir le dialogue avec chacun sur le dossier de la sexualité.

LGdB : Qu’est-ce que veut dire Q ?

J B : Q, c’est pour « queer », toutes les sexualités sauf l’hétérosexualité. C’est donc une assez grande zone à couvrir, n’est-ce pas ? « Q! Films » veut donc dire des films qui ont un contenu LGBT ou, au moins, qui ont un des principaux personnages qui répond au critère « queer ».

LGdB : John Badalu, qui êtes-vous ?

J B : Je suis un des fondateurs du festival. Nous étions sept la première année mais depuis la 5ème édition, je suis le dernier restant. Cela fait dix ans que je travaille dans le monde du film, comme organisateur de festival, programmateur, agent commercial, acheteur, publiciste et producteur. Je suis aussi journaliste indépendant et photographe amateur.

LGdB : Quel est votre parcours ?

J B : J’ai été élevé à Makassar dans une famille chinoise, donc je sais ce que c’est que la discrimination depuis mon plus jeune âge. Après, je suis allé au collège à Malang, puis à l’université à Jakarta. J’ai fait des études d’économie à Atma Jaya. Je sais, ça semble bien loin de ce que je fais maintenant mais organiser un festival a définitivement quelque chose à voir avec l’aspect financier. Sinon, pour être honnête, je ne crois pas à l’éducation mais plutôt à l’expérience de vie.

LGdB : Quel genre de films présentez-vous dans votre festival ?

J B : On essaye de passer des films aussi différents que possible. De la fiction aux documentaires, des courts-métrages aux longs, des narratifs aux expérimentaux. On essaye aussi de trouver plus de films asiatiques depuis que le festival attire de plus en plus de gens de la région et aussi un public international. QFF est en train de devenir un des festivals LGBT de référence en Asie.

LGdB : Combien de films ? Et ou sont-ils visibles ?

J B : Depuis 2005, on essaye de présenter entre 80 et 100 films à Jakarta. Cette année, nous avons passé 120 films provenant de plus de 20 pays différents. QFF est un festival itinérant. Il passe aussi dans quatre autres endroits : Jogjakarta, Bali, Surabaya et Bandung. Là, nous passons entre 20 et 50 films seulement. Ca dépend du nombre d’endroits mis à notre disposition. Ca dépend également du genre des films diffusés. Certaines villes préfèrent les documentaires alors que d’autres préfèrent les courts par exemple…

LGdB : Comment faites-vous la promo ?

J B : La promotion est bien sûr une des clés du succès de ce type d’événement. A part l’habituelle campagne dans la presse écrite, nous faisons aussi la promo en ligne grâce à notre mailing list, ou sur Facebook, MySpace et Twitter. Depuis ces dernières années, nous commençons à avoir une importante base de données. Jusqu’à aujourd’hui, il y a encore des médias homophobes qui préfèrent nous ignorer.

LGdB : Eprouvez-vous des difficultés à passer certains films et comment faites-vous pour contourner la censure ?

J B : Oui, nous avons quelques problèmes ici et là. Notre budget réduit ne nous permet pas de payer la location de certains films que nous souhaitons programmer. D’autres films doivent passer en 35 mm et là encore, on doit renoncer parce que les endroits mis à notre disposition ne possèdent pas le matériel adéquat. Il s’agit le plus souvent de simples espaces vides dotés d’un projecteur LCD. C’est pourquoi nous privilégions le format DVD. Mais là aussi, on sait que les DVD sont plutôt fragiles et parfois, on est confronté à un disque qui coince… A part ça, il y a la censure. En théorie, la loi précise que chaque film projeté en public doit passer par la censure. Mais depuis le début du festival, nous passons nos films gratuitement et, lorsque la projection n’est pas à but commercial, il n’est pas obligatoire de passer par la censure. De toute façon, tout cela n’est pas très clair car il y a aussi un paragraphe qui dit que lorsque le public est restreint, il n’est pas non plus nécessaire de le viser par les censeurs. On peut donc affirmer que nos projections sont destinées à un public restreint. Et puis, souvent, nos lieux de projection sont des centres culturels étrangers qui échappent aux contraintes de la censure. Depuis 2007, nous avons commencé à passer des films dans des cinémas publics comme les Blitz Megaplex. Nous avons donc été obligés de soumettre les films concernés à la commission de censure. Jusqu’à aujourd’hui, aucun film n’a été coupé. Il est vrai que nous avions soigneusement choisi les films projetés dans ces salles. Autrement dit, nous nous étions déjà autocensurés.


LGdB : Vous attirez combien de spectateurs ?

J B : Quand nous avons commencé en 2002, 750 personnes sont venues. L’an dernier, en 2008, le nombre de spectateurs à Jakarta s’est élevé à 9000 personnes. Le nombre total sur les cinq villes a atteint 18 000 personnes.

LGdB : S’agit-il d’homosexuels ou réussissez-vous à attirer d’autres publics ?

J B : C’est intéressant de voir le public évoluer année après année. La sexualité de nos spectateurs est difficile à catégoriser. Ca devient tellement fluide qu’il est difficile de dire si quelqu’un est homosexuel ou pas. Au final, c’est à la personne elle-même de dire si elle est homosexuelle ou pas. Mais après m’être interrogé et avoir activé mon « gaydar », je peux dire qu’il y a plus d’hétérosexuels qui viennent aujourd’hui. Je peux me tromper aussi. Le problème principal, c’est que 99% des homos de ce pays ne diront pas qu’ils le sont en public. S’ils ont du cran, au mieux, ils admettront qu’ils sont bisexuels. De toute façon, le QFF n’est pas fait que pour les homos ou les « queers ». Sinon, ce ne serait qu’un événement nombriliste, un pur gâchis que de diffuser des films LGBT aux communautés LGBT seulement. Nous souhaitons que les hétéros voient aussi les films afin de construire un climat d’ouverture d’esprit et de tolérance. Mais avant, on espère que les gens reçoivent une inspiration quelle que soit leur orientation sexuelle.

LGdB : Par le passé, vous avez projeté des vieux films indonésiens avec des personnages gays. Pensez-vous que la manière dont les Indonésiens considèrent les homosexuels et transsexuels a évolué ces dernières années ?

J B : L’Indonésie est un pays étonnant. Un endroit de changements éclairs. Ce qui était à la mode l’an dernier passe inaperçu cette année. C’est remarquable d’observer à quel point les Indonésiens s’adaptent et acceptent les nouveautés. On le voit avec la montée de l’identité religieuse et du conservatisme, compensée de l’autre côté par l’utilisation sans limite de l’Internet, les gens ont tendance à se radicaliser. Ils veulent faire partie de toutes sortes de groupes et de communautés. Ils veulent endosser certaines identités sans toutefois les connaître en profondeur. Néanmoins, je considère qu’il y a un accroissement de la tolérance envers les homos en Indonésie. A la condition toutefois que vous ne criiez pas votre homosexualité sur les toits, ça devrait aller. Par contre, si vous faites votre « coming out », c’est moins facile. La provocation ne marche pas fort ici. Enfin, pas encore. La plupart des homosexuels vivent donc tranquillement. Le niveau d’acceptation de la société est plutôt bon. Mais, comme on l’a vu l’an passé, avec cette histoire de tueur en série gay qui a fait la une des journaux, ça peut basculer du tout au tout. Pour parler franchement, il y a plus de problèmes au sein même de la communauté. Certains ont si peur d’être découverts qu’ils finissent par agir à l’encontre des leurs. Ces gays honteux sont plus dangereux car ils sont les ennemis dans la forteresse. Ils ont donc du travail à faire sur eux-mêmes. C’est bien sûr plus facile pour les homosexuels de vivre en ville. Les gens des villes sont plus ouverts et plus tolérants. L’homosexualité peut être considérée de pleins de points de vue différents et pas seulement du point de vue religieux. Je crois qu’à la fin, tout va bien se passer.

LGdB : Comment financez-vous le QFF ?

J B : Les cinq premières années, nous nous étions plus ou moins autofinancés grâce à des amis bienfaiteurs et autres donations de particuliers. Nous avons toujours bénéficié de l’aide des ambassades et centres culturels étrangers qui nous donnent des films à projeter. Depuis 2007, nous avons commencé à solliciter un soutien et des financements de la part d’organisations. Hollandais et Australiens ont répondu à l’appel.

LGdB : Recevez-vous un quelconque soutien de personnalités indonésiennes ?

J B : Non, absolument aucun.

LGdB : En tant que seule véritable démocratie du Sud-Est asiatique, pensez-vous que l’Indonésie a un rôle à jouer pour l’émancipation des gays et lesbiennes dans la région ?

J B : Je ne pense pas que l’Indonésie soit leader en terme d’émancipation des communautés LGBT d’Asie. La Thaïlande est bien plus avancée. L’Inde vient juste de dépénaliser les relations sexuelles entre personnes de même sexe. Par contre, c’est sûr, nous sommes bien mieux lotis qu’en Malaisie ou à Singapour par exemple. Les Philippines produisent depuis longtemps déjà des films LGBT avec un certain succès. Si on creuse un peu, on se rend compte que c’est la religion qui est le frein principal. Et dans le cas de l’Indonésie et de la Malaisie, il s’agit de l’Islam. Dans la pratique, les homos peuvent vivre leur vie quotidienne sans trop de soucis s’ils mettent de côté la religion.

LGdB : Que pensez-vous de cette manie des télés locales de toujours montrer des personnages homos comme des clowns ?

J B : Difficile à dire, vraiment. D’un côté, c’est comme ça depuis longtemps à la télé. Ce n’est sans doute pas une manière pertinente de montrer les gays comme des clowns mais ce n’est pas qu’en Indonésie. Presque partout dans le monde, ce n’est pas nouveau. Les grandes séries télé ont toujours eu leur personnage homo. D’une certaine façon, c’est positif d’habituer les gens à voir un personnage gay. De l’autre côté, c’est stéréotypé et faux.

LGdB : Que souhaitez-vous pour le futur des communautés gays et lesbiennes d’Indonésie ?

J B : J’espère simplement que les communautés gays et lesbiennes Indonésiennes pourront s’ouvrir et être honnêtes avec les autres. Les homosexuels devraient être plus à l’aise avec leur inclination. Enfin, c’est sans doute impossible à réaliser mais je souhaite que les communautés LGBT puissent aussi s’unir et combattre ensemble l’injustice.

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