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Jeux de mains dans les grottes de Bornéo

« Des mains, des mains ! Luc-Henri s’est mis à hurler dans la grotte. Nous sommes en 1994 et nous venons de découvrir une frise d’empreintes négatives de mains juxtaposées d’environ sept mètres de long. Quel choc ! Ces mains peintes en rouge sont là au-dessus de nos têtes à quatre mètres du sol. Nous sommes fous de joie. Notre quête du Graal depuis des mois ne portait pas du tout sur cette découverte là! Et pourtant, ce que nous venons de révéler est tout à fait déterminant. Et ce, complètement par hasard. Une expérience exceptionnelle, et en plus, à un endroit improbable! Je suis au départ, un ethno-archéologue spécialisé dans la préhistoire des atolls du Pacifique. Cela fait trente ans que je conduis des fouilles à Tahiti et dans le Pacifique, pour le Musée de l’Homme et le CNRS et je me suis toujours intéressé à l’envers des choses et des apparences, ainsi qu’aux minorités. Luc-Henri Fage, quant à lui, est journaliste, documentariste et spéléologue. En 1988, avec des amis, cet aventurier participe à la traversée de la chaîne de montagnes du centre de Bornéo. Un jour, l’un d’eux entend un des porteurs dayak prononcer les mots goa, grotte, et gambar, dessin. Cela lui met la puce à l’oreille et il commence à poser des questions. Ils découvrent ainsi une grotte avec des dessins figuratifs réalisés au charbon de bois. Luc-Henri fait des photos. Le voyage se termine tant bien que mal, et à son retour en France, il se met en tête de remonter une expédition à la recherche d’autres grottes.

C’est surtout en voyant ses photos que j’ai été convaincu qu’il y avait là des vestiges préhistoriques. Mon patron au CNRS m’a donné son accord pour que j’aille observer tout cela de plus près. En 1992, je me suis donc embarqué vers le Kalimantan une première fois pour visiter cette grotte. L’année suivante, nous avons décidé d’aller sur le versant Est des monts Müller où Bernard Sellato (cf. la Gazette de Bali n°37 – juin 2008, The Communities of Indonesia n°8 – sept 2008) avait depuis longtemps repéré d’autres cavités. Nous y avons observé des choses intéressantes, mais rien d’exceptionnel. A vrai dire, je cherchais dans le Kalimantan un équivalent de la grande grotte de Niah au Sarawak. C’est là qu’on a trouvé le fossile humain le plus ancien de Bornéo, vieux de 40 000 ans !

Trois semaines dans la jungle
En 1993, nous nous attaquons au versant Sud-est des monts Müller que nous parcourons d’Est en Ouest. Comme toujours pendant ces longues prospections d’une vingtaine de jours, nous installons chaque soir notre bivouac pour la nuit et dormons dans des hamacs-moustiquaires. Psychologiquement, ces expéditions ne sont jamais faciles et il faut rester sans arrêt en alerte. Interrompre sa vigilance, c’est s’exposer à des piqûres et autres morsures de bêtes en tout genre. En 1994, nouveau départ, nous décidons de chercher du côté de Mangkalihat, au Nord de Sangkulirang. Dans un immense massif karstique présentant une érosion calcaire en forme de pains de sucre, nous découvrons la première grotte avec ces incroyables mains imprimées en négatif de couleur rouge brun. En fait, cette découverte contredisait bien des spécialistes puisque il avait été décrété par plusieurs de mes prédécesseurs qu’il n’y avait pas de peinture rupestre archaïque à Bornéo !

Le plus incroyable c’est que j’étais sous ces peintures rouges depuis un moment et ne les avais pas vues ! Tout simplement. Comme si j’avais verrouillé mon cerveau sur cette idée acquise qu’il ne puisse pas y avoir là des peintures rupestres. L’explication de ces empreintes reste encore un peu mystérieuse. Les pigments utilisés pour tracer le contour des mains, de l’hématite pure ne permettent pas d’obtenir une datation au carbone 14. Mais par des méthodes indirectes, on sait maintenant qu’elles sont vieilles d’au moins 10 000 ans.

Aujourd’hui, quinze ans plus tard, nous avons repéré une centaine de grottes dans la région dont trente-deux présentent des peintures, et notamment des mains. Aucune de ces grottes ornées ne présente de vestiges d’occupation humaine. Pas de trace de feu, de charbon, de reste alimentaire, ce qui correspond à des activités diurnes. Ce n’étaient donc pas des lieux de vie permanents mais d’activités bien spécifiques ne laissant pas de traces. Les interrogations sont encore multiples. J’essaie de faire des analogies avec les connaissances ethnographiques qui peuvent s’en rapprocher. Ainsi, il y a quelques années, j’ai réalisé des fouilles à Palawan, aux Philippines. Un soir, j’ai assisté à une « consultation » avec un guérisseur chez un habitant. Après avoir pratiqué l’imposition des mains, le chaman a utilisé son souffle pour envoyer sur le corps du patient un mélange de plantes thérapeutiques. Une pratique de guérison universelle. Ainsi, ces grottes de Bornéo où les mains négatives sont si nombreuses, ne seraient-elles pas des lieux de formation de guérisseurs ou de chamans ?

D’autres analyses plus poussées ont permis depuis de montrer que l’on a aussi bien des mains d’hommes que de femmes. Reste à voir qui étaient-ils vraiment ? Etaient-ce les mêmes personnes qui allaient d’une grotte à l’autre ou les techniques se sont-elles répandues selon les rythmes de communication entre les régions ? Peu à peu, j’élimine un certain nombre d’hypothèses et j’en privilégie de nouvelles. Comme on a trouvé aussi ce type d’art rupestre de l’autre côté du détroit de Makassar, à Sulawesi, cela peut nous amener à penser que cette technique a débuté à Bornéo pour se répandre ailleurs. Aujourd’hui, je continue à réfléchir sur ces découvertes. L’archéologue ne cesse jamais de se poser des questions. Et pour ça, les empreintes de main de Kalimantan n’ont pas fini de faire parler d’elles ».

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