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itinéraire d’un missionnaire en pays Dayak

« Je suis né à Bergame dans une famille d’agriculteurs. Déjà enfant, je lisais des histoires de missionnaires envoyés dans des pays lointains et inexplorés. Cela me fascinait. Je suis entré dans les ordres à vingt ans. A vingt-six, j’étais ordonné prêtre. J’appartiens à la Congrégation des missionnaires Oblats de Marie Immaculée. Ma première mission dans le Nord-Ouest du Laos a duré dix ans. A l’époque, en 1966, c’était la guerre du Vietnam. La région était en plein bouleversement. J’ai commencé à officier dans une zone de réfugiés. Il n’y avait là que des femmes, des enfants et des personnes âgées. Tous les hommes en âge de se battre étaient à la guerre. J’étais prêtre dans la tribu des Thai Dam. A l’époque, la foi passait de famille en famille. Je représentais la figure d’un Père un peu… dynamique. Nous avons transformé ce camp de réfugiés en vrai village. Mais en 1976, nous avons été expulsés par le nouveau gouvernement communiste. Ils « nettoyaient » la zone. Ils nous ont expliqué gentiment que ce n’était pas sûr de rester là en raison de la présence de bombes américaines. « Rentrez chez vous, on vous rappellera ! », nous ont-ils lancé en nous mettant dehors. J’attends encore. Oui, ce départ a été très difficile.

Des journées de pirogue
Je suis revenu en Italie avant d’être appelé à nouveau par l’évêque de Samarinda. La région de Tarakan manquait de prêtres missionnaires. Ce diocèse de taille gigantesque, plus de 100 000 km2, ne comptait à l’époque qu’une paroisse ! En mai 1976, ils m’ont proposé de les rejoindre. Je venais de passer deux mois avec un prêtre à Java car il y avait des postes à pourvoir là-bas. Mais ma décision était prise depuis longtemps. Je voulais découvrir Bornéo ! Pendant cette année 1976, l’Indonésie a occupé le Timor. Le Vatican n’était pas d’accord avec cette situation et l’a fait savoir. Nous avons donc eu du mal à obtenir des visas. Après avoir étudié trois mois la langue à Samarinda, je me suis enfoncé dans l’île. J’ai passé une journée avec l’évêque à Samarinda avant de rejoindre le village de Malinau. Tout comme au Laos, il a fallu que je partage le quotidien des habitants pour mieux les comprendre et les connaître. A la mission de Malinau, il y avait quelques familles catholiques. Dans cette zone vivent les Kenyah, une tribu dayak. C’est un groupe assez fort, travailleur et très organisé. Au départ, l’essentiel de mon activité était de visiter les villages. Nous ne venions que si nous avions été conviés. Nous attendions une vraie demande de leur part. Bien sûr, des groupes chrétiens déjà constitués étaient présents depuis quelque temps. Certains avaient été convertis dans les années trente. Beaucoup n’étaient pas des catholiques mais des évangélistes assez radicaux. Il a fallu s’adapter.
Nous naviguions sur les différents fleuves du nord pendant des journées entières : Kayen, Sesoyak, Serubakun et leurs affluents. J’adorais ces expéditions qui se transformaient en véritables aventures. Nous remontions le fleuve toute la journée et nous arrêtions vers 15h pour pêcher et installer le camp pour la nuit. Nous dormions sous des bâches en plastique et repartions avant le lever du soleil. Lorsque nous arrivions au village, c’était la vraie fête ! En effet, nous devions célébrer en un temps record mariages, funérailles et toutes les grandes cérémonies du calendrier catholique. Après cela, c’était le tour des danses traditionnelles dayaks. Le lendemain à l’aube, nous étions déjà repartis vers une autre destination !

Nous nous retrouvions dans l’Homme
Quand je suis arrivé, les catholiques étaient tout à fait minoritaires. Les autres croyances étaient trois fois plus nombreuses dans cette communauté de trois mille personnes. Mais qu’importe ! Nous faisions ce qu’il faut pour les croyants, la messe et toutes les célébrations. Tous ceux qui n’étaient pas catholiques se joignaient à nous pendant les fêtes. Dans une famille, il y avait des convertis et des non-convertis. Les villages étaient organisés autour des rumah panjang, les longues maisons. Le système de vie communautaire était donc traditionnel et immuable depuis des générations. Les rapports entre les chefs dayaks et les représentants de l’église n’ont jamais présenté de problèmes. C’était une simple question de respect. Le chef chrétien kenyah se nomme le ketua umat. Et à côté il y a le kepala adat, le chef de la coutume. Il arrive parfois que ce soit la même personne. Non, il n’y a pas de conflit entre la foi catholique et la pensée dayak. En cas de problème, c’est le ketua umat qui tranche. On se consultait mutuellement sur des problèmes de familles ou de rapports entre personnes. Et nous finissions toujours par nous retrouver dans l’Homme, dans le sens de la justice et de la famille.

Il est arrivé que les règlements de compte se terminent par des têtes coupées. D’une manière différente, c’est comme partout ailleurs… Auparavant les jeunes hommes coupaient une tête pour prouver leur virilité. En ramener une à la maison prouvait que l’on était capable de défendre sa famille. Aujourd’hui, l’autorité des Dayaks n’est pas assez visible. Cela me désole. Il est indispensable de reconnaître que le sol appartient à la population locale. Ce qui n’est pas balisé sur le territoire, c’est automatiquement adat… C’est-à-dire que cela appartient encore aux Dayaks. En dix ans à Malinau, j’ai vu les choses se transformer. Avant, il nous fallait une journée de pirogue pour aller d’un point à un autre. Désormais, il suffit d’une heure de voiture. Aujourd’hui, je suis amer quand je vois que les terres dayaks sont vendues à de grandes compagnies. Le déboisement de la forêt de Bornéo est un drame. Ici les immigrations organisées par l’Etat ou spontanées ont profondément bouleversé la région. C’est quelque chose que les Balinais ont refusé mais que les Dayaks doivent supporter. Si on leur enlève leur terre, ils ne seront plus des Dayaks. Aujourd’hui prêtre d’une paroisse de Balikpapan, je m’inquiète pour eux et pour l’avenir. En trente-deux années passées à Bornéo, les choses ont beaucoup changé. Et pas toujours dans le bon sens. »

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