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Itinéraire au long cours d’une voyageuse inspirée

Gill Marais aurait pu avoir l’existence d’une femme ordinaire ou presque. Sa profession de photojournaliste a démarré sur le tard et de façon tout à fait fortuite. C’était en 1975, alors épouse d’un diplomate français, elle est invitée avec son mari au couronnement du roi du Népal. Le couple est bien sûr accrédité pour assister à cet événement mondain qui attise la curiosité de nombreux journalistes venus du monde entier. L’un d’entre eux, un Français, se souvient Gill, lui demande de bien vouloir prendre des photos à l’intérieur du palais et lui colle un Nikon dans les mains. Les photos qu’elle prend seront achetées par la toute jeune agence franco-américaine Sipa Press, aujourd’hui de renommée mondiale. Deux ans après cette expérience fondatrice, Gill se forme pour de bon à la photo et démarre la carrière qu’on lui connaît aujourd’hui.

Pour cette descendante d’huguenots, qui ont fui les persécutions de la France catholique par la Hollande avant de venir s’installer en Afrique du Sud, la vie avait jusqu’alors eu le goût d’une existence tranquille dans un milieu aisé et cultivé. Fille de vignerons établis près du Cap, elle a fait des études pour devenir décoratrice de théâtre à Londres et Florence, a connu les excès du Swinging London dans les années soixante, et la vie de femme de diplomate en poste à Londres, Bonn, Washington, Rome et Vienne par la suite. Deux fois mariée, mère de deux enfants, Gill affirme délivrer aujourd’hui avec ce nouveau livre son « meilleur travail photographique », l’apothéose de quinze ans de recherches à Bali. « Je suis fière car il a été fait », explique-t-elle sobrement.

En 1999, Gill Marais avait publié un premier grand ouvrage qui est aussi le fruit d’un travail de longue haleine. « Amchi, sage et médecin », fait le portrait en 208 pages d’un guérisseur des hauts plateaux du Ladakh, résultat de sept ans d’enquête dans cette région reculée du Tibet. « Le secret de la photo, c’est la lumière », affirme Gill qui précise qu’elle déteste la technique. Toujours armée d’un vieux Leica ou d’un vieux Nikon, Gill explique encore que « la photo et la chasse, c’est pareil » et ajoute qu’elle a tué son premier léopard à l’âge de 10 ans. « Il faut de la patience et cette vison instinctive, cet instinct du chasseur », poursuit la vieille dame. Par contre, « si la photo c’est du plaisir, l’écriture, c’est du travail », poursuit-elle. « C’est bien plus lourd, l’écriture littéraire est un processus difficile », ajoute Gill.

Aussi connue pour son travail de journaliste, Gill Marais a notamment publié des séries d’articles sur le sultanat d’Oman à la fin des années 80 et des reportages sur quatre maharadjahs dans l’Inde démocratique d’aujourd’hui, dont celui de Jaipur, particulièrement impliqué dans l’action sociale. Avec la fondation de l’Agha Kahn, elle a traversé dans tous les sens les régions montagneuses communes à l’Inde, au Pakistan et à l’Afghanistan pour écrire les rapports d’activités de cette organisation de charité musulmane créée par la communauté des ismaéliens. Habillée à l’afghane pour ne pas offenser les susceptibilités locales, Gill Marais raconte qu’elle prenait souvent le volant du camion pour passer les cols car les chauffeurs pakistanais étaient « trop ivres de haschich et s’amusaient à tenir le volant avec leurs pieds ». Apres une mission dans l’Hunza, une vallée au nord du Pakistan, près de la frontière afghane, Gill Marais se souvient d’avoir été arrêtée au Baloutchistan pour s’être infiltrée sans visa. Emprisonnée pendant quatre jours à Quetta, elle réussira à s’évader avec la complicité d’un officiel et d’une providentielle tempête de sable qui a enseveli la ville.

La vie de globe-trotter de Gill Marais a souvent été guidée par son travail de documentation sur les médecines traditionnelles, notamment pour la revue Tribune Médicale. Envoyée en Chine en 1985-86 pour effectuer un reportage sur la façon dont les Chinois combinent médecines traditionnelle et moderne, Gill se souvient des « aventures extraordinaires » qu’elle a vécues dans cette empire du Milieu communiste alors «encore très fermé à l’étranger » et « de l’accueil chaleureux du corps médical de la faculté de Shanghai » pour l’aider dans son enquête. Expérience plus confortable, Gill en garde d’ailleurs un souvenir inoubliable, elle a parcouru la Hongrie pour une série d’articles sur les bienfaits des eaux thermales.

On l’a compris, depuis l’année 1975 et ses premières images prises en amateur du mariage du roi du Népal, la vie de Gill Marais a changé du tout au tout. Partageant aujourd’hui sa vie entre Paris, Ubud et Uzès dans le sud de la France, Gill Marais a découvert Bali en 1988. Deux ans après, elle y construisait sa maison. Photographe insatiable de Bali, Gill se voit suggérer par l’écrivain indonésienne Diana Darling de publier ses clichés. Il lui faut cependant un thème car Gill n’a aucunement l’intention de faire un énième livre sur la beauté de Bali. Invitée à assister à la cérémonie de lavage du corps d’une vieille dame décédée, elle suit le rituel avec les Balinais, marche avec eux sous le cadavre qu’on élève pour symboliser que «l’esprit du défunt est au-dessus de nous ». C’est ainsi que lui est venue l’idée de « Bali Sacred and Secret », cet imposant ouvrage très documenté sur les rites de Bali, fruit de quinze ans de travail et ouvrage majeur de la longue carrière de cette voyageuse hors pair, sorte d’Ella Maillart des temps modernes, qui affirme avoir donné le meilleur d’elle-même dans ce livre. Dont acte.

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