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Institut Suryani : psychiatrie et discours identitaire

La Gazette de Bali a souvent relayé les chiffres publiés par l’Institut Suryani car ils sont intéressants à double titre. Ils ont tout d’abord le mérite d’exister dans un océan de vide en la matière et ils sont aussi incongrus, pour ne pas dire dérangeants, dans la perspective de « Bali le paradis », ce concept éculé dont le marketing touristique se gargarise encore et toujours. Les chiffres n’ont cependant rien d’alarmant. Pour une population de 3,5 millions d’habitants, il y a plus ou moins 150 suicides par an depuis les cinq dernières années. Au début des années 2000, alors que Bali était affecté par les attentats islamistes et une activité économique quasi paralysée, le nombre de suicides était même paradoxalement en décrue (69 en 2003). Le pic reste l’année 2004 avec 180 cas. Quant au nombre de personnes souffrant de problèmes mentaux, un critère qui va de la petite dépression sentimentale à l’affection génétique, là aussi, la moyenne balinaise (2 pour 1000) est en dessous de la moyenne mondiale (5 pour 1000).

Le docteur Suryani y voit pourtant l’expression d’un malaise et déplore l’inexistence de remèdes appropriés. « Il n’y a que 22 psychiatres à Bali, un nombre largement insuffisant. On ne pratique pas de soins psychiatriques dans les dispensaires, il faut aller à l’hôpital et encore ils n’ont pas tous un service spécialisé », explique cette noble de haute caste. D’où l’idée de créer cet organisme géré en famille, son fils en est d’ailleurs le secrétaire, et par quelques volontaires. Au cœur de la mission dont s’est investie Luh Ketut Suryani, « créer une communauté saine en utilisant une approche biopsycho-spirituelle et socioculturelle », comme on peut lire sur la page d’accueil du site de l’institut. Explication : « Nous voulons que la culture balinaise, basée sur l’hindouisme, perdure et nous souhaitons que les Balinais atteignent unité et bonheur. Une nouvelle génération doit être créée pour Bali, plus intelligente, indépendante, créative et saine, d’un point de vue physique, mental, social et spirituel », explique l’intéressée.

Les Balinais ne vont pas traditionnellement chez le psy… Alors Luh Ketut Suryani va dans les villages avec ses volontaires pour traquer les affections mentales de ses concitoyens. « Avant, mais encore aujourd’hui, quand quelque chose n’allait pas et que ça ne pouvait pas être résolu dans le cadre familial, on allait chez le balian. Alors quand je vais dans les villages, je m’habille moi aussi en balian », poursuit celle qui s’inquiète de l’avenir de ces Balinais de souche qu’elle estime menacés par les développements de ces dernières années. Selon elle, ils souffriraient de nombreux problèmes psychologiques, en augmentation depuis l’ère de la reformasi. « Avant, il y avait peu de cas de schizophrénie et de perturbations affectives, quasiment pas de dépressions. Aujourd’hui, les dépressions sont légions, des phobies se sont développées, obsessions compulsives, anorexie, boulimie et même pédophilie », énumère-t-elle sans distinguo.

Pourquoi ? Luh Ketut Suryani, qui est également présidente de CASA ou Comitee Against Sexual Abuse (cf. La Gazette de Bali n° 41 – octobre 2008), émet quelques idées. Par exemple, au sujet des jeunes : « Depuis l’explosion du tourisme dans les années 90, qui a apporté drogue et alcool, les jeunes Balinais souffrent de nombreux troubles mentaux. » Mais aussi l’arrivée de ces populations pauvres de Java, Lombok, Timor, Flores, etc. qui viennent chercher leur bonne fortune ici et participent à la perte d’identité de Bali et des Balinais. « Dans certains quartiers de Denpasar, il y a maintenant plus de “pendatang” que de Balinais. Regardez tous ces “kaki lima”, ces réseaux de prostituées venues de Java, tout ça est organisé sciemment », déplore la psychiatre, qui fut membre du staff de campagne de l’actuel gouverneur Mangku Pastika. L’identité balinaise serait donc en train de se diluer dans un monde trop global pour elle. « Toutes ces églises et ces mosquées qui se construisent partout sont aussi à l’origine du malaise. Les Balinais sont trop passifs, ils ne protestent pas et souffrent en silence », continue celle qui caresse aussi l’idée d’une entrée en politique à l’avenir.

L’impact du tourisme et des résidents étrangers, dont l’intérêt pour l’île « n’est mesuré qu’à l’aune des rentrées de devises et de taxes par le gouvernement national », est aussi une cause essentielle du désarroi balinais. A ce sujet, Luh Ketut Suryani profite de la venue de La Gazette pour demander à faire passer le message
suivant : « Si vous venez en vacances à Bali, n’allez pas dans les hôtels cinq étoiles et dans les villas, ne vous baignez pas dans une piscine, ne jouez pas au golf. Si vraiment vous souhaitez vous y installer, que ce soit de façon provisoire, n’achetez pas la terre, ne construisez pas de villas, pas de piscines. Et si vous créez une entreprise, n’employez que du personnel balinais. »

Natalité des Balinais en baisse, arrivée continuelle de populations étrangères, répartition inégale des fruits de la croissance, environnement dégradé, manque d’eau, rizières transformées en villas, golfs et centres commerciaux, urbanisation sauvage, ouvertures incessantes de boutiques et d’hôtels tenus par des étrangers, acquisition du foncier par des non Balinais, les propos de Luh Ketut Suryani sont plus d’ordre politique que médicaux. On réalise ainsi que l’Institut et les compétences médicales de sa fondatrice servent surtout aujourd’hui un discours plus large. D’ailleurs, la doctoresse fait régulièrement passer le message dans une émission de télé hebdomadaire sur Dewata TV. Ce mélange de médecine psychiatrique et de mission politique laisse bien évidemment un étrange arrière-goût. Théorie du complot, préférence nationale, sans parler d’une sorte d’eugénisme « soft », ces fantasmes sont ici évoqués avec candeur dans un sourire… typiquement balinais. En tout cas, nous voilà prévenus.

Suryani Institute for Mental Health
Jl. Gandapura No.30 Denpasar
Bali – Indonesia
Tél. 361 46 75 53
[[email protected]>[email protected]]

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