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Indonésie : une culture de la violence et de l’injustice

Alors que le monde des nations démocratiques a découvert depuis quelques semaines avec un certain effroi la frénésie d’exécutions capitales dans laquelle s’est engagée l’Indonésie, revenons sur l’histoire de violence de ce jeune pays qui aura 70 ans en août prochain. Il est indéniable que l’Archipel ne s’est pas distingué à son avantage dans ces affaires de condamnations à mort pour des infractions liées à la drogue. Se drapant dans sa souveraineté et son nationalisme, il a surtout démontré qu’il n’était pas encore prêt à tenir le rang auquel pourtant il aspire dans la communauté internationale. Un rang que les autres démocraties de ce monde sont toutes prêtes à lui accorder tant sa conversion progressive depuis 1998 à un système d’élections générales lui a valu toutes les louanges. En effet, à cette époque de crispations grandissantes entre les valeurs de l’Occident et celles de l’islam, comment ne pas mettre en avant ce « plus grand pays musulman du monde » qui constitue la vitrine tant souhaitée par tous d’un islam compatible avec la démocratie.

De cette position de chouchou des médias et des démocraties de la planète, qui ont plus qu’à leur tour fermé les yeux sur les nombreuses imperfections du système indonésien pour s’en tenir uniquement au symbole qu’il représente, l’Archipel n’a su tirer aucun avantage crédible et vient de se fourvoyer magistralement dans ces affaires d’exécutions à mort de passeurs de drogue, le premier test international grandeur nature de l’administration Jokowi. Un écueil que son prédécesseur Susilo Bambang Yudhoyono avait lui négocié avec plus d’habileté. Et s’il est vrai que la peine de mort fait encore débat dans certaines démocraties pour les crimes les plus odieux, personne ne revendique son application pour des infractions sur les stupéfiants. Bref, comme si la vraie nature du pays avait soudainement refait surface, à la surprise effarée des pays démocratiques, des Nations Unies et des organisations internationales des Droits de l’Homme, cette jeune démocratie si souvent citée en exemple s’est mise à tuer avec le soutien sans équivoque de sa population.

Que se passe-t-il donc en Indonésie ? Le journaliste Michael Vatikiotis, spécialiste des affaires du Sud-Est asiatique basé à Singapore met en avant une réponse. Dans un article titré « La compassion est rare dans les charniers indonésiens », il nous rappelle à juste titre qu’après des générations et des générations ayant subi une culture de la tuerie de masse, les Indonésiens sont devenus « insensibles à la perte de la vie. » Et c’est ainsi que le président Jokowi peut compter sur un soutien sans faille de sa population pour défendre la loi et la souveraineté indonésiennes comme c’est devenu le cas dans ces affaires d’exécutions. « Ne soyez pas surpris de leur silence. Près d’un million sont morts dans les années 60 parce qu’ils avaient été identifiés comme possibles sympathisants communistes, et personne aujourd’hui n’a la moindre intention de penser à demander des comptes aux responsables », explique-t-il. Que pèse alors dans la balance, le sort de quelques trafiquants étrangers qu’on diabolise à outrance dans la communication gouvernementale et les médias en s’appuyant sur des statistiques peu sérieuses ?

Et quid des violences à l’encontre des Indonésiens d’origine chinoise lors des manifestations anti Suharto en 1998. La Commission nationale pour la protection des femmes vient de demander à nouveau au gouvernement de reconnaitre comme tragédie nationale le viol en masse des femmes chinoises lors des émeutes qui ont précédé la chute du dictateur. « Les victimes et les familles ont juste besoin de la reconnaissance du gouvernement que les viols et la violence contre les femmes à une échelle massive ont bien eu lieu il y a 17 ans, et que la plupart des victimes n’ont jamais obtenu justice », a affirmé Yuniyanti Chuzaifah, présidente de Komnas Perempuan. Une équipe d’enquêteurs diligentée par un gouvernement précédent n’avait enregistré officiellement que 85 cas de violence sexuelle visant des femmes d’origine chinoise pendant ces émeutes où les maisons, commerces et autres possessions de cette communauté étaient pillés ou détruits par le feu. Les observateurs indépendants estiment le nombre de ces viols à au moins 500 et les meurtres à plus de 1000.

Et quid de l’occupation indonésienne du Timor Leste pendant 25 ans ? Près de 200 000 personnes, soit un tiers de la population de cette moitié d’île ayant appartenu au Portugal à l’extrême est de l’Archipel, ont été éliminées pour leur opposition à l’invasion indonésienne, plaçant l’ancienne province appelée Tim-Tim en deuxième position sur cette liste lugubre des holocaustes perpétrés à l’intérieur même des frontières du pays. Aucun des responsables politiques et militaires de ce massacre n’a jamais eu à répondre de ses actes. Ils sont même tous considérés comme des héros et occupent aujourd’hui des postes clés de la vie politique nationale. Et quid de la Papua ? Dont la misère se déroule en ce moment même, dans une province verrouillée par les autorités, à laquelle la presse n’a pas accès. « C’est avec cette violence sans fin et la récurrence d’une totale impunité en toile de fond que nous devons appréhender le manque total de soutien à l’intérieur de l’Indonésie à la mobilisation internationale contre ces exécutions d’étrangers », explique Michael Vatikiotis.

« La mort perd tout son sens dans un pays où les gens ont péri sans bonne raison et en grand nombre depuis sa création et pendant des générations, » ajoute le journaliste avant d’en appeler au grand écrivain indonésien Pramoedya Ananta Toer pour qui les dirigeants du pays ont toujours marqué un dédain profond à l’égard des souffrances de leur peuple. « La vie est généralement dans les mains des puissants ou de ceux qui peuvent payer pour la préserver. Donc, si vous êtes pris et n’avez pas les moyens de payer votre passage de l’autre côté des barreaux, vous êtes en mauvaise posture. », poursuit-il avant d’ajouter : « Il est triste que cette belle et talentueuse nation entretienne un tel mépris insensible pour la vie. Ne blâmez pas l’homme élu président, mais les gens qui l’ont élu, et leur tragique histoire où la réconciliation est absente. »

Ce sera aussi notre conclusion et nous l’illustrerons d’un fait divers qui s’est déroulé simultanément à l’indignation internationale devant les exécutions et qui résume à lui seul cette analyse. Dans la grande banlieue de Jakarta, les gens de Tangerang, lassés de se faire agresser par des bandes organisées qui volaient des mobylettes, ont fini par passer à l’action devant l’inefficacité policière. Un des braqueurs a été attrapé par la foule, dénudé, aspergé d’essence et brûlé vif. Pour voir ces images insoutenables sur Google et YouTube, tapez : « begal motor bakar hidup  ». Depuis, la police a tenté de reprendre la situation en mains, mais des milices se sont organisées et quand il y a suspicion de vol et qu’un attroupement se forme dans la rue, gare aux voleurs, car la foule crie désormais d’une seule voix : Bakar! Bakar! (Brûler ! Brûler !).

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