Soekarno y est pour beaucoup. Au début des années 60, le charismatique président indonésien et père de l’indépendance décide d’entraîner son pays dans une campagne de « confrontation » armée dont l’unique but semble être de déstabiliser une fédération de Malaisie (Malaya) fraîchement indépendante. Bien que culturellement et linguistiquement très proches, Indonésie et Malaisie ne sont jamais complètement parvenues à dépasser ce clivage créé de toutes pièces. « Le ressentiment encouragé par Soekarno n’a jamais vraiment disparu, explique Wimar Witoelar, analyste politique indonésien. Il a simplement été enfoui. Mais il a naturellement resurgi quand la Malaisie a commencé à réussir, notamment d’un point de vue économique. »
Jaloux les Indonésiens ? L’hypothèse tient la route. Même s’il est plus difficile de diriger uniformément un archipel immense composé de 17 000 îles que le territoire malaisien, et même si l’Indonésie est en passe de devenir un acteur économique majeur sur la scène mondiale, difficile à l’heure actuelle de ne pas constater une différence de développement. Quand Kuala Lumpur ressemble à une ville à l’organisation rationnelle, difficile d’en dire autant de Jakarta. Quand la compagnie pétrolière nationale malaisienne Petronas affiche sa réussite avec ses tours jumelles devenues symbole de tout un pays, Pertamina n’a que les incendies de ses dépôts et siège social à offrir. Quand la Malaisie accueille avec succès un Grand Prix de Formule 1 à Sepang, l’Indonésie se voit retirer sa course d’A1GP pour cause de circuit ne respectant plus les normes de sécurité internationales. Quand la Malaisie reçoit la visite de près de 22 millions de touristes chaque année, l’Indonésie en dénombre 7 millions bien qu’offrant des milliers d’îles tropicales, de plages et de coraux magnifiques et un héritage culturel immense.
Alors les Indonésiens, ou plus précisément une toute petite partie d’entre eux dont l’intelligence et la capacité d’analyse ne sont pas les attributs majeurs, aidés en cela par une presse très (trop ?) nationaliste et manquant de recul, décident de continuer la confrontation sur d’autres terrains. Après la polémique née de l’utilisation en 2007 par la Malaisie de la chanson originaire des Moluques « Rasa Sayang » dans un clip de promotion touristique, ces dernières semaines ont vu naître une nouvelle dispute. En août, la rumeur que la Malaisie avait de nouveau détourné un élément culturel indonésien pour sa promotion, en l’occurrence la danse traditionnelle « pendet » originaire de Bali, a enflé hors de toute proportion. Le fait, avéré par la suite, que ce clip publicitaire produit par la chaîne Discovery Channel pour promouvoir un documentaire sur la Malaisie, avait été réalisé sans aucune implication du gouvernement malaisien, n’a rien changé. Les excuses et explications formulées par la chaîne de télévision ont été soigneusement passées sous silence par la plupart des médias indonésiens… A Jakarta, une poignée d’imbéciles a même dressé des barrages afin d’arrêter d’éventuels Malaisiens, sous l’œil bienveillant de la police. Des groupes nationalistes ont entamé une campagne de recrutement de volontaires, tout de même plutôt symbolique, prêts à combattre le voisin. « La Malaisie a, en de trop nombreuses occasions, dérobé, volé et insulté l’Indonésie, a déclaré Mustar Bonaventura, responsable de ce recrutement pour le groupe nationaliste Bendera, à l’AFP. Nous sommes offensés en tant que peuple. Nous sommes en colère, nous sommes déçus, nous sommes bouleversés. Près de 500 volontaires ont déjà signé et sont prêts à assumer les conséquences. La dernière option que nous laisse la Malaisie, c’est la guerre. »
Les guéguerres culturelles actuelles font suite aux récurrentes querelles territoriales, qu’elles concernent des frontières, la propriété d’îles, l’espace maritime ou les accusations d’intrusion réciproques dans les eaux territoriales du voisin. Mais si l’Indonésie semble malheureusement afficher un complexe d’infériorité, la Malaisie n’est cependant pas exempte de tout reproche. Il est de notoriété publique qu’un certain nombre de Malaisiens traitent les Indonésiens avec beaucoup de condescendance. Les exemples les plus frappants concernent évidemment les travailleurs migrants. On ne compte plus les migrants indonésiens victimes d’abus par leurs employeurs malaisiens. Ces abus ne touchent certes pas seulement les Indonésiens, mais comme la grande majorité des travailleurs migrants en Malaisie sont originaires de l’archipel… Tout cela se déroule au su du gouvernement local, qui n’a jamais montré beaucoup d’empressement à régler les problèmes. L’exemple le plus médiatique fut sans conteste celui de Manohara, jeune mannequin Indonésienne, épouse d’un prince malaisien qui l’aurait maltraitée pendant leur mariage. Manohara est depuis rentrée en Indonésie et a acquis le statut de star, celui qu’on obtient ici quand votre nom devient celui d’un programme de sinetron (soap-opéra).
Difficile de savoir quand et comment ces relations bilatérales pourront évoluer positivement. Les responsables politiques des deux pays, au plus haut niveau au moins, tentent pourtant de calmer les esprits. Ils ont récemment annoncé un renforcement de leur relation sur les plans du commerce et des investissements et tentent de limiter les polémiques nées des accusations de plagiat et de vol culturel. Finalement, il faut espérer que la récente fin de cavale de Noordin M. Top, le plus tristement célèbre des Malaisiens auprès des Indonésiens et l’homme le plus recherché d’Asie du Sud-Est, fera plus pour le rapprochement des deux peuples que des années d’efforts diplomatiques. L’espoir fait vivre.