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Il n’y a pas qu’en France qu’on interdit le voile à l’école

Nous avons souvent relevé dans ce journal que les Indonésiens suivaient avec grand intérêt les débats qui se déroulent en France sur l’interdiction des signes religieux à l’école. Et il n’est pas un incident lié au port de la burqa dans nos banlieues qui échappe aux journaux d’ici. Et comme le sens profond de cette loi républicaine et laïque semble très ésotérique pour l’esprit indonésien, généralement aveuglément croyant, il n’est pas surprenant qu’elle ne suscite ici qu’incompréhension. Contrairement aux musulmans issus de l’immigration en France, qui peuvent réévaluer facilement la place de la religion dans leur vie française de tous les jours, ici, à 15 000 km de la tour Eiffel et dans un pays où le blasphème est passible de prison, difficile de faire la part des choses sur ce sujet sensible.

C’est donc avec une certaine surprise que nous avons appris l’histoire le mois dernier d’une lycéenne de Denpasar qui s’est vue interdire de porter son kerudung par le chef de l’établissement scolaire public qu’elle fréquente. Il faut bien reconnaître que l’affaire n’a eu qu’un écho modéré dans la presse. Comme toujours, on évite de mettre de l’huile sur le feu lorsqu’un potentiel conflit « SARA » (Suku, Agama, Ras dan Antargolongan), c’est-à-dire ethnique, religieux, racial ou intercommunautaire, fait surface. Il n’y a donc qu’une partie de la presse musulmane qui s’en est inquiétée. Retour sur cette affaire peu ordinaire et tentative de décryptage d’un incident qui est passé presque inaperçu.

Tout d’abord avec Arrahmah, quotidien radical et jihadiste dont l’article commence ainsi : « L’interdiction du voile à l’école ne se produit pas seulement dans les pays où les musulmans sont minoritaires. En Indonésie, pays où la majorité de la population est musulmane, on trouve encore des lycées publics qui interdisent aux lycéennes de porter le voile. » Et de rappeler les faits. Anita Wardani, lycéenne de second cycle (SMA) à Denpasar s’est vue notifier par Ketut Sunarta, le chef de l’établissement, le choix suivant : retirer son voile ou changer d’école. La raison invoquée par le directeur n’a rien à voir avec un quelconque respect de valeurs laïques comme cela est le cas en France. Il lui aurait dit, toujours selon Arrahmah : « Lorsque tu mets ton voile, est-ce qu’on voit ou pas le logo de l’école ? On ne voit plus l’emblème, n’est-ce pas ? » Ce à quoi Anita aurait répondu : « Je peux le remonter un peu, Monsieur, comme ça on peut voir le logo. »

On sait que, dans l’éducation indonésienne, l’uniforme, c’est sacré, et le règlement, c’est le règlement. Ni Putu Suka Putrini, une prof de cette école avait déjà fait une première remontrance à Anita en 2012 : « Change d’école si tu veux mettre ton voile ! Quel dommage que le règlement de l’école ne soit pas respecté ! » Et depuis, régulièrement, Anita a subi des pressions de la part des enseignants et de la direction pour qu’elle abandonne son kerudung. Ses camarades de classe eux, n’y voient aucun problème, rappelle pour sa part Republika, un autre journal musulman, plus modéré. Mais Anita, qui est par ailleurs membre de l’association des Elèves musulmans d’Indonésie (PII) a toujours refusé de se plier aux injonctions et a décidé de confier ses tourments à des instances légales qualifiées, jusqu’à ce que l’affaire apparaisse finalement dans la presse.

On a appris depuis que les autres élèves musulmanes de cette école de la capitale balinaise ont cédé à la pression du personnel de l’établissement et remisé leur voile. Anita, elle, a tenu bon. Si sa situation avait été plus médiatisée, elle serait, n’en doutons pas, devenue une sorte de symbole à une époque où la mode du voile bat son plein et s’affiche partout avec fierté (voire les associations de Hijabers et autres concours de Miss muslimah). Mais toujours dans cette optique de minimiser les conflits potentiels, il n’y a eu finalement que certains journaux musulmans qui en ont fait une héroïne. Musliar Kasim, vice-ministre de l’Education et de la Culture (rappelons que ce ministère est aux mains de Mohammad Nuh qui est par ailleurs président de l’Association des intellectuels musulmans d’Indonésie – ICMI), a pour sa part menacé l’école de Denpasar et son directeur. « Il est interdit d’interdire le voile dans n’importe quelle école ! » a-t-il lancé aux journalistes de Republika qui l’ont contacté. « Et si l’établissement de Denpasar ne suit pas les directives ministérielles, cette école fera l’objet de sanctions », a-t-il ajouté. Puis, ce fut au tour de la Commission nationale des Droits de l’Homme (Komnas HAM) de s’en mêler par la voix d’un de ses représentants, Nur Kholis. « L’école doit respecter le choix des élèves si elles veulent mettre leur jilbab », a-t-il affirmé dans Republika. La raison invoquée par le directeur n’a pas non plus convaincu le représentant des Droits de l’Homme… « Si le port du voile fait qu’on ne voit plus le logo ou l’emblème de l’école, ce n’est qu’un simple problème technique visuel. Ca ne peut en aucun cas servir de base à une interdiction du port du voile », a ajouté Nur Kholis.

N’en doutons pas, le prétexte choisi par Ketut Sunarta pour obliger Anita à retirer son voile n’a rien à voir avec cette histoire de logo caché. Le directeur de l’école n’est pas particulièrement à cheval sur le règlement, ni non plus un fervent défenseur des principes laïcs. Il est par contre, comme beaucoup de ses congénères, préoccupé par le flux ininterrompu de pendatang venus de Java pour s’installer ici et qui transforment son île en une banlieue javanaise. Bien sûr, cette problématique n’a pas été exprimée une seule fois, ni dans les journaux, ni au niveau ministériel, ni même par le directeur de l’école et les profs eux-mêmes. L’« indonésianisation » de l’Archipel – et l’islam qui va avec – se produit aussi ailleurs (Kalimantan, Papua, etc.). C’est un fait inéluctable, mais aussi un tabou de l’exprimer clairement. En tout cas, en pleine affaire Dieudonné en France, et bien que le contexte et les valeurs soient opposés, la façon dont l’Indonésie gère les possibles conflits ethniques, religieux, raciaux ou intercommunautaires nous aide à réfléchir sur les sociétés multiculturelles d’aujourd’hui. Qu’elles soient indonésiennes ou françaises.

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