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Franck Lavigne : on aura toujours des éruptions très violentes

L’idée de départ de cette enquête scientifique et des recherches sur Lombok, c’est qu’une éruption de cette importance (2 fois le Tambora, 8 fois le Krakatau) a obligatoirement produit de grandes quantités de pierres ponces. La présence de nombreuses carrières sur cette île à l’est de Bali en indiquait une intense exploitation. Franck Lavigne a recherché des morceaux de bois carbonisé que la datation a fait remonter au milieu du 13ème siècle. Il n’en fallait pas plus pour monter une expédition sur la caldeira de l’actuel Rinjani. Sur place, les indices se sont accumulés et l’équipe a mis la main sur un lontar en javanais qui raconte l’explosion au 13ème siècle et livre le nom du volcan : le Samalas. Le mystère vieux de plus de huit siècles, qui avait projeté un long hiver sur le monde, annihilé les récoltes et provoqué des famines terribles comme celles de Londres en 1258, était enfin élucidé.

La Gazette de Bali : A partir de quelle découverte avez-vous été sûr d’être sur la bonne piste ?

Franck Lavigne : A partir du moment où la date du 13e siècle a été confirmée par les datations au carbone 14.

LGdB : Les lontar javanais sur l’éruption ont-ils été un élément décisif ?

F L : Pas pour mettre en évidence la présence d’une éruption majeure, car on en avait déjà la preuve, ni pour la datation exacte qui n’est (malheureusement) pas indiquée. Mais ils ont été décisifs pour deux éléments : 1) le nom du volcan oublié, Samalas, qui n’apparaît nulle part ailleurs ; 2) le nom de la capitale détruite par l’éruption, Pamatan, qui doit être ensevelie sous les dépôts.

LGdB : Dans l’article du Monde, il n’est pas fait mention de la possibilité que l’éruption du Samalas soit à l’origine de ce que l’on appelle « la petite glaciation ». Que pensez-vous de cette hypothèse reprise dans la presse anglo-saxonne ?

F L : L’étude de Miller et al. de 2012 qui présente cette théorie est sérieuse, mais cette hypothèse restant controversée, nous nous sommes bien gardés d’y faire allusion dans l’article, même si cet aspect était « vendeur ». Et ce n’était pas notre sujet. En revanche, le fait de connaître désormais la source de l’éruption de 1257 va permettre aux modélisateurs de climat de mieux analyser les impacts d’une telle éruption sur le climat et peut-être de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse.

LGdB : Y a-t-il en Indonésie en ce moment un autre volcan qui pourrait présenter la même intensité d’explosion ?

F L : Difficile de savoir. D’une manière générale, plus la phase de repos d’un volcan est longue, plus le volcan peut se réveiller de manière très violente. Le problème est que l’on ne finance presque exclusivement les recherches que sur les volcans très actifs, potentiellement les plus dangereux, comme le Merapi à Java. Or les volcans actifs voisins comme Sumbing, Sindoro ou Merbabu, dont la dernière éruption date de 2 ou 3 siècles, peuvent aussi faire une éruption violente un de ces jours, mais ils sont très peu étudiés.

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LGdB : Le Rinjani est-il un Samalas en potentiel ?

F L : Peu de chances, quand un volcan a fait une éruption très violente du type de celle de 1257, il faut généralement beaucoup de temps (des siècles) pour que la chambre magmatique ne se réalimente.

LGdB : Qu’en est-il à Bali, l’Agung est-il aussi dangereux ?

F L : Il est dangereux, oui, il a fait des milliers de morts en 1963 et beaucoup d’autres lors des éruptions précédentes. Mais il est très bien surveillé par les volcanologues indonésiens, donc tout signe d’intensification de l’activité est immédiatement décelé.

LGdB : L’explosion du Samalas serait une des plus importantes éruptions des 7000 dernières années avec celle de Santorin en Grèce. Puisque la terre se refroidit, l’intensité de ces éruptions ne va-t-elle pas en déclinant avec le temps ?

F L : Non, il n’y a pas de lien. On aura toujours des éruptions très violentes. Le problème est que depuis celle du Tambora en 1815, donc depuis près de 2 siècles, ces éruptions violentes ont été assez rares : Krakatoa 1883, Pinatubo 1991, et beaucoup moins fortes que d’autres dans le passé comme celle du Samalas. Mais ce n’est qu’un hasard à mon avis.

LGdB : Donc, notre planète est-elle exposée aujourd’hui à une éruption de cette importance ?

F L : Oui bien sûr. Mais on ne sait pas où ni quand la bombe va sauter… Sans vouloir faire de catastrophisme. La Nature est ainsi. Il faut justement poursuivre les recherches sur les événements passés pour mieux anticiper l’avenir. Beaucoup d’éruptions mystérieuses dont on a la trace dans les carottes glaciaires n’ont pas encore de source identifiée…

<img3978|right> LGdB : Pour conclure, quelles seraient les conséquences sur le monde d’aujourd’hui d’une catastrophe comme celle déclenchée par le Samalas au 13ème siècle ?

F L : C’est l’objet d’un article en préparation. En gros, une éruption tropicale de ce type entraîne pendant 1 ou 2 ans des perturbations du climat, qui se caractérisent dans le nord et l’ouest de l’Europe par un hiver plus doux que la normale (pas grave) ; mais surtout par un été très frais et pluvieux, qui détruit la plupart des récoltes. En 1258, qui fut une « année sans été », ce fut la catastrophe car on avait peu de stocks disponibles. Les milliers de morts à Londres recensés cette année-là peuvent être liés à la famine ou aux épidémies suite à cette éruption, mais cela reste à prouver scientifiquement. Aujourd’hui, l’Europe n’est pas du tout préparée à un tel phénomène. Or il faudrait anticiper une perte massive des récoltes dans tout le continent. Un effet immédiat serait une hausse des prix des denrées alimentaires. En Asie, la mousson est aussi perturbée à la suite des violentes éruptions tropicales, aboutissant souvent à des sécheresses en Chine ou en Afrique… La circulation aérienne serait aussi fortement perturbée bien entendu.

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