Accueil Billets Les pieds dans le plat

Flou, flou, flou…

Je suis à mon ordi, très concentrée.
– « Ikan », lance Ketut, ma femme de ménage.
– « Ikan ? », rétorqué-je
– « Ikan! »
– « Quoi, ikan ? »
– « Ikan!! »
Punaise ! Que vient faire le poisson entre la poire et le fromage, enfin je veux dire la mangue et le lassi ?
J’ai lâché mon ordi et commence à m’exciter.
– « Mais comment ça, ikan ?? Tu veux du poisson ?? »
– « Ikan… kucing! » précise Ketut.
– « Comment ça, kucing ??? Que viennent faire les chats là-dedans ??? »
– « Ikan buat kucing! »
– « Ah, le poisson pour les chats ! Et donc ?? »
– « Beli! »
– « Ah… acheter ? Ah, je vois, tu as besoin d’argent ! »

Ouf ! C’était un peu poussif. Ce style elliptique où l’on supprime tout ce qui n’est pas indispensable au sens, y compris les pronoms personnels, a des avantages : c’est une manière d’esquisser délicatement sans imposer, de passer sur la pointe des pieds et ça prête aussi à la poésie. Mais ce flou artistique est aussi source d’ambigüités, parfois même intentionnelles !

Ca me rappelle mes débuts à Bali lorsqu’une Indonésienne me disait « sakit ». Sakit, c’est être malade ou avoir mal – un peu, beaucoup ou pas du tout. Mais était-ce une question dans sa bouche ou bien une affirmation ? Son intonation montait si timidement que j’hésitais : « C’est qui qui est sakit ? Toi ? Moi ? Tu crois que j’ai sakit ? Alors au final sékikésakit ?» Et, pour couronner le tout, mon interlocutrice se contentait de répéter « Yes, yes » avec un sourire ! J’étais bien avancée ! D’un autre coté, elle n’avait pas l’air de se formaliser alors pourquoi le serais-je, moi, puisque je n’ai mal nulle part ? Impressionnant le nombre de malentendus causés par ces « Yes, yes » automatiques qui nous enduisent d’erreur comme j’aime à dire. Des « Yes, yes » destinés à nous faire plaisir, à avoir l’air de suivre la conversation ou juste d’avoir la paix.

Il m’est arrivé de réaliser que ça faisait des années que j’appelais une personne en me trompant de nom mais que cette dernière n’avait jamais jugé utile de rectifier. Et lorsque je m’excusais platement, elle me répondait avec un grand sourire que ça n’avait aucune espèce d’importance ! D’ailleurs, ici, on peut se faire appeler comme on veut. Comme mon voisin, décorateur d’intérieur, qui s’est fait rebaptiser Bungalow. Ah quoi bon se faire des nœuds au cerveau inutilement !

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