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Fin de mission pour l’ambassadeur Jean-Charles Berthonnet

L’Ambassadeur de France en Indonésie, Jean-Charles Berthonnet, quitte son poste cet été après trois ans de fonction dans l’archipel.
A l’occasion des festivités du 14 juillet, il nous a accordé un entretien-bilan, l’occasion de revenir sur les avancées, les difficultés et les nouveaux défis de la présence française en Indonésie.

Bali-Gazette : A la fin de la présidence de N. Sarkozy, un accord de partenariat stratégique avec l’Indonésie avait été signé. Il semble un peu passé aux oubliettes. Pourriez-vous citer des exemples concrets d’aboutissement de ce partenariat ?
Jean-Charles Berthonnet : Ce partenariat stratégique visait à exprimer le fait qu’il y a une relation dense avec l’Indonésie, dans tous les domaines dont les relations politiques. On peut citer les visites depuis deux ans de F. Hollande, de J-M. Ayrault, de M. Mahjoubi ou de J-B. Lemoyne. Le Ministre indonésien du Plan -Bambang Brodjonegoro- était même à Paris, au Medef, pour promouvoir l’image de son pays et attirer les investisseurs français. Il y a eu en juin une rencontre en marge du sommet du G20 d’Osaka, entre les présidents Macron et Joko Widodo. Ces visites permettent de parler de grands sujets tels que le multilatéralisme, le changement climatique ou la lutte anti-terroriste. A cet égard, nous avons créé un poste d’officier de liaison en charge de renforcer notre coopération dans la lutte antiterroriste. Et il y a un accord de libre-échange qui se négocie avec l’UE. Le dialogue avec l’Indonésie est bien réel. Naturellement, on souhaiterait toujours plus, l’Indonésie et la France sont éloignés, on ne se connait pas toujours très bien, les sociétés civiles ne se connaissent pas suffisamment à mon sens, même s’il y a beaucoup de touristes français ici. Au final, je pense que le bilan du partenariat stratégique est positif, même si on peut et l’on doit faire plus.

La présence française a-t-elle reculé dans l’archipel ? L’intensification de l’implantation de grandes entreprises françaises telles que Michelin et Décathlon en Indonésie fait-elle figure d’exception ? Qu’en est-il pour des acteurs historiques comme Total ?
Total avait la gestion d’un important gisement de gaz pendant une cinquantaine d’années, ce permis s’est arrêté. Le gisement était en phase de recul et d’épuisement. Il a été repris par Pertamina, la compagnie nationale, c’est dans l’ordre des choses, c’est la vie des affaires. Il faut que d’autres prennent le relai.
Dans un autre registre, je pense notamment à Michelin qui investit sur toute une chaîne de production, depuis le caoutchouc naturel soutenable, en passant par l’usine de caoutchouc synthétique, on parle là de centaines de millions de dollars d’investissement. Il y a également Décathlon ou encore l’Oréal. Peut-être que l’avenir ne sera plus fait d’un seul investisseur qui occupe tout le paysage mais d’une multitude d’acteurs dans une multitude de domaines.Il y a un simple renouvellement, c’est normal.

Qu’en est-il des énergies renouvelables -pour lesquelles la France possède une réelle expertise- et quelles avancées concrètes en termes de partenariat ou de contrat dans ce domaine, depuis la visite du président Hollande ?
Je crois que les entreprises françaises répondent présentes sur ces nouvelles activités de projets solaires et éoliens.
ENGIE a des gros projets sur la géothermie avec 2 projets majeurs en Indonésie, dont l’un va entrer en production dès cette année.
Les choses avancent, pas toujours aussi vite qu’on le souhaite. Cela tient essentiellement au fait que les énergies renouvelables restent un peu plus chères que le charbon ou le pétrole et donc les producteurs d’électricité, comme PLN -l’EDF indonésien- sont un peu réticents à racheter l’électricité produites par ces énergies renouvelables, qui sont de plus en plus intermittentes. Quand il n’y a pas de soleil il n’y a pas d’énergie solaire, il faut domc stocker dans des batteries, c’est compliqué. Il y a, au-delà des obstacles techniques, un circuit réglementaire et financier qui prolonge un peu l’application de ces projets. Mais je crois qu’il y a une prise de conscience et il y a aussi la baisse du coût de ces énergies
renouvelables : à un moment donné, les courbes vont se croiser. Je sens une évolution positive chez les différents acteurs de l’énergie indonésiens. L’Ambassade tente d’encourager ce processus et je suis confiant sur la marche à venir.

Avez-vous le sentiment que l’Indonésie fait peur aux investisseurs européens, qu’elle se replie sur elle-même ou bien qu’elle est plus tournée vers la Chine depuis l’ère Jokowi?
Que la Chine soit un acteur majeur en Indonésie, ça n’est pas lié spécialement à la présidence de Jokowi, c’est une superpuissance économique mondiale, c’est un voisin de l’Indonésie donc c’est tout à fait normal. Maintenant personne ne souhaite une forme de monopole.Il y a d’ailleurs un accord de libre-échange qui est en train d’être négocié entre l’U.E. et l’Indonésie : c’est un gage d’ouverture supplémentaire du marché indonésien pour les entreprises européennes et notamment françaises. Il n’y a pas lieu de craindre un repli de l’Indonésie.

Donc vous n’avez pas l’impression que l’Indonésie peut faire peur aux investisseurs français ?
C’est un mot un peu fort. Effectivement, il y a l’éloignement et certains facteurs qui peuvent faire hésiter comme la taille du marché indonésien. Parfois, des pratiques protectionnistes peuvent exister c’est pour ça qu’il est important d’avoir un bon partenaire indonésien pour ouvrir un peu les portes de l’administration. Une fois que l’on a pris en compte ces contraintes, et qu’on a fait preuve d’un peu de patience, au bout du compte on a tout de même accès à un marché de 260 millions d’habitants avec une classe moyenne qui explose, et un pouvoir d’achat en forte croissance. Face à ce constat, aucune entreprise, et française notamment, ne peut faire l’impasse sur ce marché et son potentiel.

À présent, plus de Français vivent à Bali qu’à Jakarta, est-ce que ça va se traduire à l’avenir par des moyens accrus pour Bali, en particulier pour le consulat ? Que répondez-vous à ceux qui pensent que Bali est un peu délaissée?
Sur les chiffres, il ne faut rien exagérer car l’écart entre Bali et Jakarta est de moins de 200 Français sur le registre consulaire. ça serait un faux débat d’opposer les deux. Certes, les populations, les besoins et les démarches ne sont pas toujours les mêmes, mais Bali fait l’objet de toute l’attention des autorités françaises à travers l’existence d’une agence consulaire, d’une consule honoraire extrêmement active, relayée par chaque fois qu’elle le peut par notre Consule à Jakarta qui se rend fréquemment à Bali. Avec la dématérialisation de beaucoup de procédures administratives, on peut très bien faire faire son passeport de manière plus rapide qu’avant, et ça va continuer en ce sens. Ce qui fait qu’on peut faire beaucoup de choses à distance qu’on ne pouvait pas faire avant.
Nous accordons une attention toute particulière à la question de la sécurité et nous avons ainsi organisé plusieurs comités de sécurité, spécifiquement consacrés à Bali. Nous sommes en contact avec les chefs d’îlots très dévoués, nous avons renforcé leurs moyens de communication en les dotant de radio pour communiquer entre eux et avec Jakarta. Nous avons égalemment constitué des stocks de nourriture de réserve en cas de catastrophes naturelles. Nous sommes parfaitement conscients de l’importance de cette communauté à Bali.

Mais d’où vient ce sentiment alors exprimé par une partie de nos lecteurs ?
Je ne sais pas, il faut leur demander. Mais en tout cas nous faisons de notre mieux pour leur rendre le plus de services possibles. Nous travaillons actuellement par exemple à un exercice de simulation de crise avec l’U.E. parce qu’il y a beaucoup de touristes européens qui viennent à Bali, et donc c’est assez logique que les différents pays se coordonnent pour faire face une éventuelle crise. Preuve que l’on ne néglige pas Bali, on a justement choisi cette île pour “tester” le mécanisme de réaction à ces crises.

Le Printemps français a disparu ainsi que le festival de cinéma français, est-ce que la France a tiré le rideau sur sa présence culturelle ?
L’analyse du service culturel, à l’époque, a été de dire qu’il y avait un manque de coordinations avec ses festivals qui, en plus, étaient concentrés sur une même période. On négligeait d’autant plus le reste de l’année pour diffuser notre présence culturelle. Le choix qui a été fait est une réorientation stratégique : ne pas avoir notre propre festival, mais de s’agréger et ainsi participer activement à des festivals indonésiens. Par exemple pour le cinéma, vous avez European Screen (le festival de film Européen) qui est diffusé dans l’ensemble de l’Indonésie, et d’ailleurs comme on a un réseau nous-mêmes assez exceptionnel d’antennes de l’Institut Français et d’Alliances Françaises, on est très présent dans ce festival. Mon successeur aura l’occasion de vérifier si le choix a été payant. Il y aura aussi un nouveau conseiller culturel à la rentrée.

Un point sur le dossier « Mathias Echène », détenu à Bali depuis juillet 2017 et dont l’état de santé s’est dégradé ?
Il y a une demande d’extradition par Hong Kong qui relève de la décision souveraine des autorités indonésiennes. Nous apportons à Mathias Echène une aide consulaire telle que définie par la Convention de Vienne, nous assurant de ses conditions de détention et de son état de santé. Nous suivons cela de très près dans le cadre d’un dialogue régulier avec les Indonésiens.
Et qu’obtenez-vous comme réponse ? Nous souhaiterions notamment que l’hospitalisation aille beaucoup plus vite. Nous sommes pleinement mobilisés en ce sens.

Que retenez-vous de vos bientôt trois années passées en Indonésie, qu’est-ce qui vous a le plus plu, intrigué ou surpris dans ce pays ?
Il y aurait beaucoup de choses à dire mais pour résumer je pourrai dire : dynamisme et diversité. Dynamisme de l’économie qui est assez frappante ici. Il y a cette croissance de cette classe moyenne, ces “mall” qu’on voit beaucoup à Jakarta : une soif de consommation qui présente des opportunités pour nous. Ce moteur de la croissance mondiale qui se trouve ici en Asie du sud-est est un phénomène frappant, et cela au quotidien.
Et puis il y a la diversité des religions : c’est assez connu et à Bali c’est encore plus frappant qu’ailleurs. Mais pas uniquement. Il y a aussi la diversité des ethnies, des costumes, des langues et des couleurs. C’est une espèce d’exubérance tropicale avec des paysages, des fleurs etc, tout ça sont des images fortes que je garderai de mon séjour en Indonésie. En sachant que cette diversité est parfois fragile, il y a des tensions. Ça serait absurde de les nier. Mais j’ai confiance dans la société indonésienne et en l’actuel dirigeant pour faire ce qu’il faut afin de la préserver, c’est l’un des atouts majeurs de ce pays. Et s’il y a des touristes à Bali, c’est aussi pour s’imprégner de ce climat d’ouverture et de tolérance qui fait le charme de ce pays et de Bali en particulier.

Propos recueillis par Meryam El Yousfi

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