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Feu vert pour les mendiants de Bali

Le Balinais moyen a son idée sur la question. D’un geste dédaigneux, il affirmera qu’il s’agit de Javanais venus chercher un meilleur sort à Bali. Un autre affirmera que c’est une tradition ancestrale, depuis toujours les paysans des régions sèches viendraient mendier dans les plaines riches du sud. Un autre affirmera encore qu’une maffia organise ce business minable, un peu à la manière de ce que nous connaissons en Europe. En rencontrant Daniel Elber, Suisse originaire de Zurich et fondateur de l’ONG « Future for the Children », qui s’occupe de ces familles déshéritées de Muntigunung, on découvre que toutes ces histoires sont fausses. La réalité est bien plus simple et tout aussi tragique.

Les contreforts arides de Muntigunung abritent quelques 5000 âmes réparties entre 35 hameaux étalés sur une trentaine de km2. Le dénivelé varie entre 200 et 900 mètres au dessus du niveau de la mer. Il n’y pleut que 4 mois par an et les forages pour trouver une hypothétique nappe phréatique n’ont jamais rien donné. Les femmes de cette contrée inhospitalière, mais très belle au demeurant, doivent donc se lever tôt le matin pour aller puiser de l’eau au lac Batur ou à d’autres sources aussi distantes et ramener au foyer les quelques litres nécessaires au quotidien. Cela au prix de plusieurs heures de marche, chargées comme un baudet. On comprend donc que cette activité vitale ne laisse pas beaucoup de temps et d’énergie pour le travail rémunéré. La solution de mendier s’est imposée d’elle-même et s’est organisée au fil du temps, nous explique-t-on à l’association. Les femmes, accompagnées des enfants, font donc des rotations dans le sud d’une durée moyenne de 5 jours avant de remonter et d’être remplacées par une autre équipe de mendiants. Cette activité génèrerait 100 000 roupies par mois et par tête.

Pour briser cette malédiction, il a fallu s’attaquer au problème numéro un : l’eau. Le responsable suisse, qui ne souhaite aucune publicité personnelle, affirme que tout le travail est effectué par et pour des Indonésiens et rappelle que le but de sa fondation est surtout de financer. Sur place, c’est la yayasan « Dian Desa », une association réputée de Yogyakarta, qui gère l’action entreprise. En pièce maitresse de ce projet humanitaire
démarré en décembre 2006, on trouve la réparation et l’assainissement des citernes familiales et la construction de réservoirs communautaires dans chacun des 35 hameaux. Avec l’apport d’une ingénierie simple et éprouvée, les dons récoltés en Suisse servent à la construction de toits collecteurs d’eau de pluie et de réservoirs étanches de 300 mètres cube pour les plus gros. Le but étant de fournir 25 litres d’eau propre par jour et par personne. A ce stade du projet, de trois semaines d’autonomie en eau par an, on est désormais passé à une autonomie annuelle.

Les villageoises qui ont commencé à en bénéficier ont donc pu repenser complètement leur emploi du temps et se mettre à travailler. Mais comment, dans une région où il n’y a pas ou peu de travail ? C’est la deuxième phase de l’action de la yayasan « Masa Depan untuk Anak Anak ».A Bali, tourisme oblige, la première idée a été d’organiser des randonnées dans cette magnifique région. Les guides, toutes des femmes qui avaient l’habitude de parcourir les pentes du volcan, emmènent donc les touristes pour une marche d’une journée, du lac Batur à la côte. Sinon, dans une registre plus terre à terre, les noix de cajou, qui poussaient déjà sur place, mais étaient vendues à l’état brut, sont désormais préparées par les villageois pour êtres vendues exclusivement à la fondation qui les revend ensuite aux grands hôtels. Le bénéfice est réinjecté dans les projets. Les responsables sur le terrain ont également pensé à introduire de nouvelles espèces cultivables. Avec l’arrivée des points d’eau, il est désormais possible d’arroser, la rocelle, une fleur sauvage dont on fait des infusions, des confitures, des sirops et des bonbons est désormais plantée à Muntigunung et les grands hôtels sont encore une fois acheteurs. Certains en font même leur « welcome drink ». Du sucre de palme est aussi produit sur place, ainsi que de l’huile extraite des graines du jatrophe, un arbre qui pousse facilement en zone sèche. Enfin, comment ne pas parier sur l’habileté des femmes balinaises, les responsables de l’ONG ont introduit un artisanat de tressage de feuilles de lontar, pour faire essentiellement des chapeaux, qui semblent trouver des débouchés commerciaux.

Ce tour d’horizon des solutions possibles et désormais appliquées, qui semblent avant tout basées sur le bon sens et une écoute attentive des protagonistes, nous fait nous poser des questions. Pourquoi le gouvernement régional a-t-il mis si longtemps avant de s’intéresser à cette population ? Pourquoi ces oubliés de Muntigunung ? Victimes par le passé d’un projet de déportation par la « transmigrasi » qui a largement échoué, cela a-t-il scellé leur statut de parias ? Un coûteux et compliqué projet de pompage et d’acheminement des eaux du lac Batur a pourtant été démarré il y a quelques mois. Après avoir injecté des milliards de roupies, le gouvernement a stoppé les travaux, puis les a repris. Des routes sont maintenant en construction, ainsi que des dispensaires, et des projets agricoles ont été entrepris sous la houlette du gouvernement local.

Enfin, pourquoi ne parle-t-on que des femmes dans cette histoire. Où sont les hommes ? Ce sont les femmes qui mendient, ce sont les femmes qui portent l’eau, ce sont les femmes qui travaillent dans les projets de l’ONG. On raconte que les hommes de Muntigunung deviennent polygames pour… accroitre leurs revenus ! Là aussi, les mentalités devront changer et cela passera par l’éducation des nouvelles générations. Pour l’instant, il n’y a que trois écoles dans cette région. Les yayasan « Peduli Muntigunung », « Dian Desa » et « Future for the Children », cette dernière se consacrant plus particulièrement aux questions de santé, sont conscientes des enjeux liées à la scolarisation. Elles tablent sur dix ans d’effort pour résoudre le problème des mendiants de Bali. En attendant, leur nombre aux feux rouges semblent malgré tout s’accroître d’année en année.

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