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Espionnage : Indonésie et Australie en eaux troubles

S’il quitte un jour la Russie, il y a peu de chance qu’Edward Snowden décide de solliciter un visa pour l’Australie. Les documents révélés par l’ancien employé de la NSA et rendus publics par les médias australiens ont en effet mis à jour que l’Australie avait en 2009 mis sur écoute pendant une dizaine de jours le président Yudhoyono, sa femme Ani, ainsi que plusieurs ministres et collaborateurs.

Ces révélations ont réveillé de vieux démons et provoqué une crise diplomatique entre les deux pays alliés. Le président Yudhoyono, qu’on a connu moins réactif, a vertement condamné ces agissements et utilisé les réseaux sociaux pour demander des excuses au gouvernement australien. Ce dernier, par la voix de son Premier ministre Tony Abbott, ne l’a pas jugé nécessaire. Les conséquences se sont depuis multipliées.

Les Indonésiens ont le nationalisme à fleur de peau et sont toujours prompts à l’exprimer. Il n’en fallait donc pas davantage pour que des manifestations soient organisées devant l’ambassade australienne à Jakarta. Le président Yudhoyono et son parti démocrate, englués dans les performances très moyennes du gouvernement et une implication dans plusieurs affaires de corruption, s’y sont aussi engouffrés. Le calcul politique est simple : à quelques mois des élections législatives puis présidentielle pour lesquelles ils sont annoncés grand perdants, la situation actuelle est un véritable cadeau politique. Ils n’ont ainsi aucun intérêt à faire retomber la pression médiatique et diplomatique qui pourrait leur permettre de redorer quelque peu leur image écornée auprès des Indonésiens.

Après les excuses demandées et refusées, l’ambassadeur indonésien à Camberra a été rappelé. Plusieurs programmes de coopération politique et militaire ont été mis en veille et certaines entreprises indonésiennes ont même suspendu leur collaboration avec l’Australie.

En Australie, l’histoire fait également de nombreuses vagues. Si les medias et la population semblent partagés sur l’attitude à tenir face aux demandes d’excuses de Jakarta, le coût politique de cette crise diplomatique pourrait s’avérer élevé pour Tony Abbott. Fraîchement élu notamment sur un programme radical contre l’immigration illégale et l’arrivée massive de refugiés qui transitent souvent par l’Indonésie, le nouveau Premier ministre a besoin de l’Indonésie pour réduire le flot des candidats à l’exil. Or Jakarta, parmi ses mesures de représailles, a décidé de stopper momentanément sa collaboration. Les compétences diplomatiques de Tony Abbott, réputé être un homme peu transigeant, sont déjà remises en cause localement. Certains de ses collaborateurs n’ont en outre pas aidé à pacifier la situation. Un proche conseiller du Premier ministre a ainsi jugé bon de poster un message sur Twitter comparant physiquement et éthiquement le ministre indonésien des Affaires étrangères Marty Natalegawa à un acteur de films pornographiques philippins des années 70.

Sur le fond, le problème des écoutes du président indonésien par l’Australie ne semble pourtant pas de nature à remettre en cause les relations entre les deux pays de manière durable. Certes, dans l’histoire récente, de telles tensions se sont déjà déroulées. La plus sensible d’entre elles fut certainement quand, en 1999, l’Australie s’engagea militairement auprès du Timor Oriental face à l’occupation indonésienne. Mais aucun des deux voisins n’a intérêt à ce que la crise perdure. Si politiquement et à court terme, le président Yudhoyono a davantage de bénéfice à en tirer que Tony Abbott, Australie et Indonésie sont trop liées économiquement, militairement et socialement, pour que les deux n’en souffrent pas sur le plus long terme.

Après les révélations récentes de l’espionnage du téléphone de la Chancelière allemande Angela Merkel par les Etats-Unis, Barack Obama avait présenté ses excuses, évitant ainsi une crise diplomatique plus importante. Des excuses de Tony Abbott auraient certainement le même effet apaisant.
De son côté, si l’Indonésie a aujourd’hui beau jeu de s’effaroucher devant ces méthodes de renseignements entre pays dits alliés, il fait peu de doutes qu’elle est elle même impliquée dans des opérations de renseignement envers d’autres nations. Tous les pays y ont certainement recours, et le contraire serait même dangereux pour toute nation. Un ancien responsable du renseignement gouvernemental indonésien a d’ailleurs affirmé que son pays avait dans le passé usé des mêmes méthodes contre des personnalités australiennes.

L’histoire des relations australo-indonésiennes a été jalonnée de crises et conflits plus ou moins violents. Après 1999, les attentats de Bali en 2002 furent un autre épisode de l’histoire tumultueuse entre les deux pays. Mais les deux géants régionaux ont toujours su se rapprocher car leurs intérêts respectifs et communs l’imposent. Cette nouvelle anicroche, loin d’être le plus dramatique de la liste, ne devrait pas faire exception. Aux réactions passionnées et émotionnelles et aux calculs politiques à court terme devrait à nouveau succéder une démarche raisonnable de rapprochement. Les deux pays doivent désormais trouver une sortie honorable à cette crise. La politique montrera alors un visage bien plus positif.

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