Après les Gili (cf. La Gazette de Bali n° 95 – avril 2013) et Sumba (cf. La Gazette de Bali n°99 – août 2013), nous poursuivons notre quête d’un ailleurs possible hors de Bali. Cette fois, c’est vers Nusa Penida, Nusa Ceningan et Nusa Lembongan que nous avons navigué à la recherche de Français qui ont tenté une aventure entrepreneuriale différente. A l’occasion du premier festival culturel jamais organisé sur ces trois îles situées dans le détroit de Badung, rencontre avec ces exilés à 15 km au sud-est de Bali…
A l’origine, Nusa Penida, la plus grande des trois îles, c’est l’île des bannis. C’est là qu’on exile ceux qui, pour une raison ou une autre, sont devenus indésirables à Bali. Aujourd’hui, elle est surtout connue pour être un sanctuaire d’oiseaux. La fondation des Amis des Parcs Nationaux y a introduit et sauvé une espèce d’étourneaux spécifique à Bali, l’étourneau de Rothschild (cf. La Gazette de Bali n°38 – juillet 2008). Peuplée d’environ 45 000 habitants, Nusa Penida s’est peu développée au tourisme, contrairement à Nusa Lembongan, pionnière dans le domaine. Coincée entre les deux, Nusa Ceningan, reliée par un pont suspendu à Nusa Lembongan, est la plus petite des trois îles.
Le festival sera aussi l’occasion de présenter au public le cepuk, un tissu traditionnel de Nusa Penida. On pourra y goûter le ledok, un plat local peu connu, assister aux courses de jukung, les bateaux du coin, et visiter plusieurs villages de ces îles pendant les quatre jours de festivités. Iles tranquilles avec peu de véhicules à moteur, on y circule facilement à pied, à mobylette ou en voiture. Si on peut faire facilement le tour à pied de Nusa Lembongan ou Nusa Ceningan, attention toutefois à la taille de Nusa Penida (202 km²), qu’on ne visite pas nécessairement en un jour avec un véhicule motorisé. Les trois îles sont facilement accessibles en bateau depuis Sanur ou Pandangbai, en perahu traditionnels ou speed-boats.
Il y a 29 ans, Frédo Taffin a mouillé à Lembongan pour la première fois. Cet architecte français (cf. La Gazette de Bali n°18 – novembre 2006) était arrivé un an plus tôt en Indonésie sur son voilier. A Tanjung Sanghyang (« la pointe sacrée » qu’on appelle à présent plus prosaïquement Mushroom Bay), il n’y avait alors que des petites barques de pêche. « J’étais descendu à terre, on était un peu avant le coucher du soleil, le mont Agung s’enflammait en face sur Bali, un paysage du premier jour », se rappelle-t-il. « Un petit paysan m’a proposé une coco pour me rafraichir et peu après, il m’a dit : – tu l’aimes bien mon terrain ? Prends-le. Je n’avais pas d’argent mais j’ai commencé à gamberger, il n’y avait presque pas d’électricité sur cette île mais il n’y en avait pas non plus à Seminyak à l’époque. Et c’est comme ça que le premier hôtel de Nusa Lembongan est né. J’ai trouvé des partenaires français et balinais, construit un catamaran, le WakaLouka, pour emmener depuis Bali des touristes au Waka Nusa qui comprenait 10 bungalows, on a même réussi à faire venir des télés. En 97, j’ai revendu mes parts et suis parti en Australie pour élever mes enfants. »
Ce n’est qu’en 2011, presque 15 ans plus tard, que l’architecte remet les pieds sur cette île à l’invite d’amis qui avaient des soucis avec la construction de leur maison. Il découvre alors, en rencontrant un instituteur de l’île, qu’il était devenu une légende : « j’ai dû aller à l’école pour rencontrer les jeunes. On leur enseignait qu’un jour un étranger était arrivé sur son bateau, avait jeté son ancre et que tout avait démarré à Lembongan. » Frédo ne reconnait pas l’île qu’il a quitté 14 ans plus tôt, les terrains se négocient alors à 300 ou 400 millions l’are, trop cher pour lui. Il passe alors le petit pont de bois suspendu et se rend sur l’île voisine de Ceningan. « Cette île était hors circuit, personne n’y allait », précise-t-il. Il repère un beau terrain de 85 ares encore bon marché, avec accès mer et face à Bali, et démarre avec ses partenaires un programme de 6 villas. « Mais bon, pour lancer l’île, il manquait une bulle de vitalité », affirme cet architecte dont le nom est associé pour toujours à la construction du Ku De Ta à Seminyak. « J’ai repéré un autre terrain de 9 ares, face au couchant et au lagon, les pieds dans l’eau, et c’est comme ça que Le Pirate est né en juin 2013, il y a tout juste un an. Pour la première fois de ma vie, j’ai mené l’opération tout seul, sans partenaires, ça rentrait dans mon budget. »
Grâce à sa réputation sur l’île de Lembongan voisine et le rôle de facilitateur que joue le fils du petit paysan de son premier resort, il n’y a pas eu de difficulté pour monter ce nouveau projet et pour recruter 100% du personnel sur place. « Mais Lembongan, comme toutes les petites îles, doit faire face à ses problèmes d’infrastructures et de gestion des déchets. J’ai beaucoup d’espoirs dans la personnalité du nouveau bupati de Klungkung, il est originaire de cette île défavorisée et il a bien en tête tous les enjeux pour l’avenir. » En attendant, Frédo Taffin a été sollicité pour étendre son nouveau concept du Pirate à d’autres îles d’Indonésie, il travaille actuellement à des projets sur Pulau Seribu, une île de l’archipel des Komodo et l’île de Biak au nord-ouest de la Papua. Sans le coup de baguette magique de cet architecte très en phase avec son temps, qui aurait pensé un jour que Ceningan et ses cultures d’algues servirait de laboratoire pour un nouveau type de resort ? [->www.lepirate-beachclub.com]
Louis Fontanier, qui figurait également dans notre dossier sur Sumba, est arrivé à Nusa Lembongan en 2002, à une époque où l’île n’avait de l’électricité que le soir. « Il n’y avait qu’un bateau par jour, le matin, au départ de Bali et de Nusa Lembongan, maintenant, il y a une douzaine de compagnies qui opèrent toute la journée », explique ce Toulousain de 61 ans installé en Indonésie depuis 1995. A la tête de l’hôtel-restaurant Bunga Bungalo depuis 2003, il revendique une petite entreprise modeste basée surtout sur un choix de vie privilégiant la qualité au rendement. « Je suis un lève-tôt et quand je vois le soleil se lever sur la plage où j’ai mon hôtel, je me dis que j’ai fait le bon choix », explique-t-il. Le Bunga Bungalo, c’est huit chambres en bord de lagon et surtout un restaurant réputé sur toute l’île pour ses pizzas cuites au feu de bois et ses poissons grillés les pieds dans le sable.
« Quand je suis arrivé ici, nous étions une quinzaine d’établissements, maintenant, il y en a presque cent. Au début, les touristes étaient essentiellement des surfeurs, maintenant, ce sont surtout des plongeurs », poursuit ce père de deux enfants marié à une Indonésienne. Sa clientèle ? Des familles, des Européens pour l’essentiel, beaucoup de germaniques, pour une durée de séjour comprise entre deux et quatre nuits. De l’ambiance « à la roots » des débuts, on est passé aujourd’hui à une clientèle plus exigeante. Et quand certains de ses clients lui demandent pourquoi Bunga Bungalo n’a pas de piscine, Louis Fontanier leur montre le lagon qui s’étale devant chez lui. Si l’île s’est développée vers un tourisme plus haut de gamme petit à petit, Louis Fontanier affirme que ce développement « est resté discret et qu’il n’est pas défigurant. »
Son établissement propose huit chambres en bungalows en bord de plage avec un confort qu’il définit comme « routard plus ». De style balinais, il n’a pas construit cet hôtel qu’il a loué à un notable du coin qui l’avait bâti mais n’avait pas su l’exploiter. Aujourd’hui, avec le succès de l’île auprès des touristes, même en basse saison, le remplissage est correct et les affaires vont bien, affirme cet ancien restaurateur. Les tarifs, très abordables, vont de 200 000 rp à 470 000 rp la nuit selon le standing et la période de l’année. D’ailleurs, la majorité de sa clientèle arrive encore chez lui par hasard plutôt que par réservation. « Ici, c’est la liberté, on roule à mobylette sans casque, il y a bien des policiers mais on ne les voit pas. C’est un parfum de Bali comme avant », poursuit-il tout sourire.
[->www.bunga-bungalo.com]
Avec la folie immobilière qui règne à Bali et Nusa Lembongan, c’est difficile de comprendre comment Nusa Penida est restée à l’abri du développement. Le démon Ratu Gede Mecaling porte certainement sa part de responsabilité dans la psyché balinaise. On l’accusait de véhiculer à travers le détroit de Badung toutes sortes d’épidémies sur l’île de Bali. En fait, il y a fort à parier que les très forts courants qui entourent cette île et transportent les plongeurs et les pêcheurs imprudents en un clin d’œil au large de Java ont largement contribué à la sinistre réputation de l’île. Ajoutez à cela que la surface de l’île supérieure à celle de Bukit abrite toutes sortes de mystères : on a cru longtemps que s’y logeait une base militaire, on a entendu parler ensuite d’un projet de centrale nucléaire en partenariat avec l’Inde, puis d’une centrale à charbon… Plus sérieusement, l’île abrite de nombreux temples dont la fameuse grotte Giri Putri qui est un objet de pèlerinage pour les pieux Balinais, l’île s’est protégée jusqu’alors contre la civilisation et le tourisme de masse. Mais les choses changent, l’électricité arrive et une visite remarquée du gouverneur l’an dernier a donné le coup d’envoi au développement maîtrisé de cette île très sauvage et magnifique.
Sarah Teinturier vit avec son mari François Leghima et leur fille Nina Lou à Bali depuis 8 ans. Une de leurs amies balinaises leur a fait découvrir cette île en les hébergeant dans sa famille dans le village de Sakti, ils y sont retournés régulièrement. Des habitants leur proposaient fréquemment des terrains de plusieurs hectares (d’un seul tenant pour éviter les complications au cadastre), ils n’étaient pas intéressés. Mais un jour, un petit monsieur édenté du banjar les a émus en leur déclarant : « On a envie que notre île se développe et que nos enfants arrêtent d’aller travailler à Bali. » L’un de ses amis leur propose alors d’acquérir une parcelle de 60 ares sur son terrain, et ils ont décidé d’y monter un projet d’hôtel, Namaste Bungalows, avec des partenaires. Il n’y avait jusqu’alors qu’un seul hôtel à Penida et quelques losmen au confort très sommaire. Première question au banjar : comment fait-on pour l’électricité ? Le besoin était estimé à 16 KVA pour 10 bungalows, un restaurant et une piscine. Réponse : on n’en sait rien. Première visite à PLN et réponse alarmante : « avec 16 KVA, vous allez faire sauter Penida ! » Coup de chance inouï, en 2013 la fourniture en électricité est rehaussée sur l’île et on peut accéder à leur demande. « J’avais fait un devis de 32 millions de roupies mais la première estimation de PLN était presque 5 fois plus élevée, précise Sarah qui avait passé beaucoup de temps sur son business plan. Finalement, le devis est redescendu à un prix plus raisonnable, quelqu’un du banjar a sans doute passé un coup de fil pour aider à la réalisation de ce projet qui comptait beaucoup pour le village. »
Autre sujet de préoccupation pour un hôtel, la fourniture en eau. Il n’y a pas de puits individuels à Penida et l’eau de la ville (PAM) arrivait à 1,8 km du lieu de construction : « on a payé le raccordement, ça a couté environ 20 millions et les habitants là encore nous ont aidés à enterrer les canalisations. » Une fois ces deux questions réglées, la construction a commencé et n’a pris que 6 mois, dont trois mois de présence à plein de temps de la future hôtelière : « dans notre aventure, nous avons eu la chance aussi qu’un homme du village nous transporte tous nos matériaux depuis Padangbai et se joue des tracasseries causées par les dockers de Bali. L’autre chance, c’est qu’une jeune Balinaise expérimentée dans l’hôtellerie se soit mariée il y a peu de temps avec un homme du village, ça nous a beaucoup aidés à atteindre rapidement un très bon niveau de service dans le restaurant.» En d’autre termes, l’hôtel Namaste Bungalows n’aurait pu voir le jour sans leur acharnement et l’aide indispensable des locaux. L’hôtel a ouvert ses portes le 1er juillet 2013, le taux d’occupation sur l’année n’a été que de 37 %, « conforme aux prévisions du business plan » et l’hôtel a fait le plein de réservations pour cet été. « On est étonnés de recevoir une clientèle si variée et surtout autant d’Indonésiens qui semblent lassés par les hôtels de luxe de Bali et retrouvent chez nous un peu de l’ambiance de leur kampung, avec tout le confort nécessaire », précise Sarah.
[->www.namaste-bungalows.com]