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ENTERRER SA VIE DE GARCON A BALI PEUT COUTER CHER

L’affaire s’est produite en février dernier. Elle a d’abord été tenue secrète par les victimes, 16 Australiens, qui ont pu rentrer chez eux après un séjour à Bali qui a tourné au cauchemar. Et puis la presse aussie s’en est mêlée et l’affaire a fait grand bruit ces dernières semaines. Un bruit amplifié par la tension accrue entre les deux pays en raison des exécutions des deux membres des Bali Nine. Beaucoup de bruit en Australie donc où la cote d’amour des Indonésiens est sérieusement en baisse ces derniers temps. Beaucoup moins de bruit ici, tout du moins au niveau national, où l’affaire est passée il est vrai quasiment inaperçue dans les grands médias. Reste qu’à Bali, elle a résonné quand même assez fort, car elle met à mal l’image touristique de l’île et elle implique des policiers contre qui leurs autorités ont bien fini par se sentir obligées de sévir. Retour sur une affaire qui n’a malheureusement rien d’exceptionnel…

C’est a priori l’histoire banale d’une bande de copains en séjour à Seminyak pour l’enterrement de la vie de garçon d’un des leurs. Lors de leur dernière nuit sur l’île, le 26 février, ils ont organisé un diner dans la salle privée d’un restaurant chic du quartier. Avec l’accord du propriétaire de l’établissement, un striptease est prévu. Au moment où la danseuse commence son show, la salle à manger est soudainement prise d’assaut par des gardes privés lourdement équipés, notamment avec des Taser, qu’ils n’hésitent pas à utiliser. D’autres fêtards reçoivent des coups de bouteilles sur la tête. Des menaces de mort sont proférées. Les 16 Australiens sont neutralisés et regroupés rapidement et leurs téléphones confisqués pendant qu’un des vigiles appelle la police.

« J’ai compris que nous étions mal barrés quand la police est arrivée et qu’ils ont salué les vigiles chaleureusement  », a expliqué un des Australiens dans le journal The Age. Les policiers les poussent alors dans des camionnettes, direction le commissariat où on les parque dans une cellule en attendant qu’une traductrice soit appelée. La policière anglophone explique alors aux 16 Australiens, qu’en raison de la législation indonésienne sur les bonnes mœurs, les stripteases sont formellement interdits et qu’ils vont être poursuivis pour un délit qui peut les mener en prison pour dix ans. Elle leur explique en outre que les policiers qui viennent de les arrêter sont tous de fervents musulmans et qu’ils ont été particulièrement offensés par leur comportement dans le restaurant.

250 millions de roupies retirées à l’ATM

« Elle était en train de négocier avec deux amis de Mark et elle nous a bien fait comprendre qu’il était préférable de ne pas contacter le consulat, car cela stopperait les négociations et nous irions dès lors passer des mois en prison jusqu’au procès. Elle nous a dit que nous pourrions plutôt payer une amende et que tout serait ainsi réglé. Ils connaissaient bien la manœuvre et il était évident qu’ils n’en étaient pas à leur coup d’essai  », explique un des infortunés dans le Daily Mail Australia, un autre quotidien de « Down Under ». Après 24 heures de garde à vue, deux membres de la bande de fêtards sont amenés vers des ATM avec les cartes de retrait de tout le groupe pour retirer 250 millions de roupies sous la surveillance d’un policier armé et de la policière traductrice. Toute l’équipe est alors libérée et ils peuvent rentrer en Australie, même s’ils ont tous raté leur vol de retour.

Après le buzz australien, la presse balinaise s’est donc aussi emparée du dossier, déclenchant la colère du chef de la police nationale qui a ordonné une enquête interne. Pourtant, dans le même temps, le responsable du commissariat de Kuta, Ida Bagus Dedy Januartha, niait avec une certaine véhémence que les hommes sous son commandement s’étaient livrés à cet acte délictueux. Dans [BeritaBali.com->BeritaBali.com], on pouvait cependant lire que l’enquête préliminaire interne avait bien établi que Januartha et plus d’une dizaine de ses hommes étaient impliqués dans une extorsion se montant à… 20 millions de roupies. Le porte-parole de la police de Bali Hery Wiyanto a affirmé début septembre : « Dans cette affaire, il y a 12 officiers du commissariat de Kuta qui ont admis leur implication. Mais sur ce total de 12, seuls 8 ont reçu une part des fonds illicites, alors que les 4 autres n’ont rien perçu. »

Des extorsions qui affectent des touristes en vacances

Comme d’habitude dans ce genre d’affaire en Indonésie, c’est d’abord le déni officiel, accompagné de la suspicion orchestrée envers l’accusation qu’on soupçonne d’être biaisée puisqu’elle est étrangère, et c’est enfin une reconnaissance partielle de la faute, qu’on délaye parcimonieusement dans le temps qui passe, le plus sûr allié de ceux qui ne veulent pas perdre la face. Le menu fretin est aussi sacrifié rapidement. Le porte-parole Hery Wiyanto a nommé deux hommes du commissariat comme les meneurs, deux petits chefs. Alors que Januartha est supposé avoir reçu sa part, comme cela a été indiqué dans de multiples témoignages, il a fallu plus de temps avant qu’on ne reconnaisse officiellement son implication. Le porte-parole a promis que des sanctions exemplaires attendaient les fonctionnaires coupables, comme notamment une audition devant le comité d’éthique « qui pourra retarder toute promotion et ses bénéfices, décider d’une rétrogradation et même imposer une période de confinement. »

Le Jakarta Post a affirmé que Januartha avait même déjà été puni de la façon suivante : on l’a forcé à se tenir debout en plein soleil dans la cour du commissariat devant ses collègues, ce qui constituerait un acte d’humiliation publique, pour avoir nuit à l’image du contingent. L’opinion s’est aussi mobilisée pour demander des sanctions plus dures à l’encontre des policiers fautifs. Ainsi, l’universitaire Gede Made Swardhana a rappelé que ces pratiques étaient « courantes » dans la police indonésienne : « Ces extorsions affectent beaucoup de gens, incluant des touristes en vacances à Bali, qui n’ont plus aucune confiance dans la loi indonésienne. » Plus curieusement, alors que la fameuse loi anti-porno indonésienne définit avec intransigeance tous les contours des bonnes mœurs depuis son passage en 2008, le porte-parole de la police a aussi affirmé que le striptease organisé dans la salle privée ne pouvait constituer un délit passible de poursuites judiciaires et que les policiers fautifs s’en étaient servis comme d’un prétexte fallacieux. Car dans la sphère privée ?

Le recours, une procédure qui prend des mois

Mais qu’encourent vraiment les policiers, à part quelques sanctions administratives ou punitions qui prêtent à rire ? Iront-ils en prison ? Les 250 millions extorqués seront-ils restitués ? Et les vigiles, qui sont-ils ? Quel est leur rôle ? Qui les a avertis ? Combien ont-ils touché ? Ces questions ont toutes les chances de rester sans réponse malheureusement. L’opacité de l’institution policière y veille scrupuleusement malgré les effets de manche devant les journalistes et l’opinion publique. Et il est probable qu’aucun des coupables ne sera amené devant un tribunal. Un éditorial publié sur [Balidiscovery.com ->Balidiscovery.com ]explique avec intelligence pourquoi. La loi pénale indonésienne exige que la victime dépose une plainte formelle devant la police avant toute démarche judiciaire. C’est uniquement sur cette plainte que sera basée l’accusation du procureur. Et la procédure prend des mois… comme on peut imaginer du fait des légendaires lourdeurs administratives indonésiennes.

Ce fait est bien connu des gens qui enfreignent la loi, de leurs avocats, et bien sûr également des policiers, comme ceux impliqués dans ce schéma d’extorsion de Seminyak qui l’ont explicité sans ambages à leurs victimes dans leur cellule du commissariat. Bien évidemment, la justice indonésienne ne dispose pas de fonds pour faire venir à la barre des plaignants étrangers, comme c’est le cas dans tous les pays où la justice a atteint un certain degré de maturité. Dans le cas de touristes en vacances, méconnaissant la loi par définition, et qui doivent rapidement rentrer chez eux pour reprendre leur vie active normale, le criminel joue ici sur du velours. Il est bien sûr que personne ne viendra témoigner contre lui au tribunal. Et sans ce témoignage, point de réquisitoire malgré toute la bonne volonté du procureur ou du juge qui instruit le dossier. Que cela soit une particularité du système judiciaire indonésien ou une tactique cynique utilisée par les criminels et leurs avocats n’a encore que peu d’importance comparé au fait que les étrangers ayant à faire à la justice en Indonésie voient rarement leur cas jugé de façon impartiale par les tribunaux, ajoute encore l’éditorialiste.

Et de rappeler le cas de cette Australienne victime de gestes déplacés de la part d’un fonctionnaire de l’immigration à l’aéroport de Bali contre qui aucune procédure n’a abouti. Il n’a eu qu’à attendre que sa victime rentre chez elle pour échapper à la justice et n’a eu qu’à endurer de ridicules sanctions administratives. A l’heure où le président Jokowi fait des pieds et des mains pour attirer les investisseurs étrangers dans un pays en grande panne économique et où le ministre du Tourisme Arief Yahya fait des projections de plus en plus mirobolantes de fréquentation touristique, appuyé par une politique de suppression du visa tourisme payant, il serait bon que les garants du système légal indonésien reconsidèrent les conditions de protection des étrangers ici. Là aussi, une revolusi mental est souhaitée. Comme le disait l’historien Jean Rocher dans l’interview qu’il nous a accordée en juillet dernier, « la gentillesse des habitants ne peut pas tout » et il faudra tôt ou tard que transparaissent dans la loi et dans l’esprit qui la dicte les contours d’une meilleure appréciation des étrangers présents dans le pays. C’est aussi comme ça qu’on devient un pays fréquentable internationalement.

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