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En route vers le Bali d’avant avec Astrid Friedrich

« La première fois que j’ai mis les pieds à Bali en 1985, j’avoue que je n’ai pas aimé. Je logeais dans un losmen à Legian, il y avait des toiles d’araignées et plein de bestioles, des geckos, cette vie grouillante me faisait peur, j’avais plutôt l’habitude de descendre dans de bons hôtels. Un an et demi plus tard, je suis revenue, contre mon gré, avec mon compagnon de l’époque parce qu’on m’avait dit qu’il était possible de produire des vêtements. Je voulais changer de vie, j’exerçais jusqu’alors la profession de mannequin de cabine, ça n’avait rien de valorisant, je rêvais d’autre chose. En arrivant à Tegalallang, au nord d’Ubud, mon œil a plutôt été attiré par de petits bananiers en bois, c’était un très bel artisanat. Nous en avons achetés un demi-container et avons été les premiers à en importer à Paris en 1986. Ils s’arrachaient à très bon prix au point que nous les envoyions parfois par avion pour satisfaire nos clients. Il faut dire qu’à l’époque, c’était la croix et la bannière pour obtenir des containers, il n’y avait dans mon souvenir que Alfa Sigma qui s’en chargeait. Nous faisions de constants allers-retours entre Bali et Paris, tous les deux mois. Nous avons développé nos propres gammes d’artisanat et ça marchait du tonnerre, il y avait peu de concurrence et la qualité était très belle. En 1995, les grandes grèves en France ont mis fin brutalement à notre commerce : les containers sont restés bloqués, nous avons raté les salons, les documents douaniers étaient aussi coincés par la poste, nous avons déposé le bilan en 1996 et avons décidé de nous installer à Bali […] Dans les premiers temps où j’ai commencé à travailler ici, en 1986, il y avait un vieux monsieur que je trouvais toujours chez moi, tout était évidemment ouvert à tous vents, il s’éclipsait dès mon retour. Je le trouvais sans gêne, je ne comprenais pas la raison de sa présence. Quand j’ai réalisé qu’il était chargé par sa famille, mes voisins, de garder mon bungalow contre les voleurs, je m’en suis voulu de mon comportement de parisienne stressée. Je n’ai jamais ouvert un livre pour apprendre l’indonésien mais j’ai passé beaucoup de temps avec les habitants pour apprendre leur langue en direct. J’étais fascinée par leur notion de la beauté et leur habileté manuelle […] J’ai fini par découvrir de nombreux points communs avec mon île natale, la Guadeloupe, surtout dans le domaine de la magie et des mythes. Par exemple, nous avons la même légende d’un œuf qu’on couve pendant 40 jours et d’où sort ensuite un petit démon à qui on peut tout demander, y compris de dévaliser des banques, ça s’appelle chez nous cwl bois (cheval-bois), tuyul en indonésien. J’ai aussi entendu la même histoire des soukougnans qu’on appelle ici leak. J’ai quitté la Guadeloupe parce que je ne supportais pas cette névrose et ce sentiment d’infériorité, ce RMI qui a tout pourri et qui retire toute dignité aux gens. Ici, les gens ne sont pas impulsifs comme chez nous, j’ai appris la patience à leurs côtés, j’aime beaucoup leur caractère et leur culture. Ils me croient l’une des leurs, en provenance de Papua, ils n’arrivent pas à réaliser qu’on peut-être noire et française […]
Je ressens que les Balinais commencent à perdre un peu leur sang-froid, ça me fait mal au cœur, la vie devient stressante dans le sud, je viens de déménager vers l’Est, j’y retrouve un peu plus d’authenticité. »

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