Theo Meier est un des artistes les plus célèbres qui a vécu à Bali durant la période coloniale avant-guerre, pendant l’occupation japonaise et lors des premières années mouvementées de la république d’Indonésie. Georges Breguet (cf. La Gazette de Bali n°17 – octobre 2006), qui travaille sur une nouvelle biographie de l’artiste à l’aide des documents originaux, a pris sa place pour cette interview imaginaire car Theo Meier est décédé depuis maintenant 30 ans.
« Je suis né à Bâle en 1908 et j’ai décidé très jeune de vivre la vie de bohème. En 1936, je suis arrivé à Bali depuis Singapour, pour une courte excursion. J’étais en route pour Tahiti où j’étais déjà allé sur les traces de Paul Gauguin. Bali, avec ses cérémonies, a été le choc de ma vie car j’y ai découvert ce que je recherchais : une civilisation qui n’était pas touchée par la notion de pêché. Les hasard de l’histoire ont fait que je n’ai quitté l’île qu’en 1955.
Avant-guerre, Bali avait peu de routes, peu de voitures et un tourisme réservé à de riches étrangers que je guidais parfois pour survivre. Je me suis installé à Sanur avec ma première épouse, Ni Mulugan, une danseuse, et nous avions l’impression de vivre au paradis avec notre petite fille Leoni née en 1939. Mais tout a basculé quand les Japonais ont débarqué en 1942 en bombardant ma maison. Je me suis enfui à Saba avec ma seconde épouse, la belle Ni Pegi. Puis nous sommes allés nous installer à Iseh, au pied du Gunung Agung, dans le petit studio que m’avait confié Walter Spies avant d’être déporté en 1940. Cette période a été pénible mais j’avais pris l’habitude de vivre simplement au milieu des Balinais. Sachez que je devins un spécialiste de la cuisine locale, mais la plus grande partie de mes activités consistait à peindre.
Malgré mon amitié avec le président Sukarno, la bureaucratie indonésienne me rendit la vie difficile et, en 1956, à mon retour de Suisse, je n’ai pu rentrer à Bali, ce qui a été le grand drame de ma vie car couplé avec ma rupture avec Ni Pegi et notre fille Ani née en 1948. Toutefois, je fus accueilli en Thaïlande par le prince Sanidt et je me suis à nouveau marié, avec une Thaïlandaise nommée La’iad (Jettli). Heureusement, j’ai pu régulièrement retourner à Bali jusqu’à ma mort à Berne, en 1982.
Que reste-t-il aujourd’hui de mon passage à Bali ? Une nombreuse descendance, car mes deux filles ont eu plusieurs enfants, et mes peintures dont la plus grande et plus belle collection se trouve au Museum Pasifika à Nusa Dua. Mon œuvre est ma fierté, non pas parce que ces peintures sont devenues hors de prix, j’ai toujours vécu simplement, mais parce qu’elles montrent la beauté de ce qu’était Bali pas encore blessée par le progrès. »