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En Indonésie, les organisations mafieuses ont pignon sur rue

Le GRIB, l’organisation dirigée par Hercules, est accusée d’utiliser l’intimidation pour extorquer de l’argent aux commerçants d’un quartier de Jakarta. Pour les Jakartanais, bien plus que l’existence des gangs, bien connue, c’est la nouvelle de l’arrestation d’un de leurs leaders qui interpelle. Parce que ceux-ci bénéficient bien plus souvent de l’immunité que leur confèrent leurs liens aux plus grands partis politiques de l’archipel. « Ces gangs sont très souvent protégés par de très influents individus ou partis politiques, explique Eko Haryanto, criminologue à l’Université d’Indonésie. Ils n’oseraient pas apparaitre en face de centaines de policiers, comme cela est arrivé, armés de couteaux et pistolets, s’ils n’étaient pas aussi confiants d’être intouchables. »
Les gangs prospèrent dans la capitale. Ils sont souvent basés sur des critères ethniques et voient dans les milliers de migrants attirés par le pouvoir économique de Jakarta, sans qualification et sans emploi, des recrues dociles et faciles. La capitale n’est pourtant pas le seul terreau fertile pour ces organisations. A Bali, les « Laskar Bali » revendiquent plus de 20 000 membres. Leur pouvoir de nuisance et la peur qu’ils inspirent ont été crument décrits par la journaliste australienne Kathryn Bonella dans son livre « Hotel Kerobokan » sur la vie à l’intérieur de la fameuse prison balinaise de Kerobokan.
L’histoire de ces gangs n’est pas récente et leur existence a épousé l’histoire de l’archipel. C’est néanmoins sous le régime de Suharto que leur développement s’est accéléré. L’un des gangs les plus puissants et les plus visiblement utilisés à des fins politiques est les « Pemuda Pancasila ». Gang criminel appuyé par une large base populaire, cette organisation est aussi parvenue à se présenter comme le défenseur ultime du nationalisme indonésien et de l’Ordre Nouveau de Suharto. Créé au début des années 80 à Sumatra, ce gang s’est développé sur l’ensemble du territoire national pour compter jusqu’à 10 millions de membres à la fin des années 90. Souvent utilisés pour des missions militaires et d’intelligence, les Pemuda Pancasila contraignaient à soutenir le Golkar, se chargeaient des opposants au régime, extorquaient la communauté chinoise pour des donations politiques, menaient des activités charitables en soutien aux communautés locales et offraient un accès privilégié à l’emploi.
En raison de leurs liens très serrés avec le régime de Suharto, les Pemuda Pancasila ont vu d’un mauvais œil l’avènement de la reforme démocratique entreprise à partir de 1998. Ils se sont transformés en parti politique officiel mais ne sont jamais parvenus par la suite à recueillir le soutien des électeurs. Les Pemuda Pancasila existent toujours aujourd’hui en tant que gang de rue et organisation pour la jeunesse mais ils doivent désormais partager le pouvoir sur le marché criminel et dans l’espace politique en raison de la prolifération des gangs déguisés en organisations politiques.
Les gangs criminels ayant émergé après la chute de Suharto ont mis en lumière la diversité et les clivages politiques de l’Indonésie. La plupart sont restés des gangs ethniques, tels ceux de Flores, des Moluques et du sud Sulawesi opérant à Jakarta. Sans surprise, les gangs urbains les plus influents sont ceux ayant réussi à gagner le soutien de la nouvelle classe dirigeante indonésienne, notamment les gangs Betawi (de l’ethnie native de Jakarta) comme le FBR et Forkabi. En leur apportant leur soutien, les politiques et autres forces de sécurité du pays croient avoir une meilleure capacité à contrôler les violences ethniques et la criminalité.
Plus récemment, dans les années 2000, les gangs Betawi ont embrassé le discours islamiste dans la lignée de la nouvelle ère d’islamisation de l’Indonésie. Sur la base de ce postulat, ils ont parfois d’eux-mêmes décidé de faire appliquer la charia et d’harceler les minorités chrétiennes et Ahmadiyah, essentiellement dans l’ouest de Java. Cette posture les rend politiquement utiles pour les partis mobilisant leur électorat sur des idées islamistes et leur permet de générer des revenus nécessaires à leur fonctionnement. Ce rapprochement idéologique les a également rendus attractifs auprès de l’armée et des forces de police qui se sont elles-mêmes islamisées depuis le début des années 90. C’est cette islamisation généralisée dans les plus hautes sphères politiques et de maintien de l’ordre qui permet d’expliquer la recrudescence des attaques violentes contre les minorités religieuses (264 attaques recensées en 2012, une hausse de 20% par rapport à 2010 ; plus de 430 églises fermées par la force depuis 2005).
Tous ces gangs, notamment en raison de leur proximité avec des terroristes quand certains de leurs membres furent emprisonnés, ont aussi servi de soutien à des activités terroristes sur le territoire indonésien. La grande question est maintenant de savoir si les gangs criminels indonésiens, en raison de ces nouveaux liens avec la frange terroriste, vont s’affranchir de leurs liens politiques et vouloir œuvrer indépendamment, certainement d’une manière plus violente, sur le modèle des gangs sud-américains, ou si le système politique indonésien va parvenir à maintenir son influence sur ces groupes pour son bénéfice personnel tout en en contrôlant les éventuelles velléités autonomes.

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