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Elections: Jakarta enfin vers le changement ?

C’est à un jeu risqué et difficile que s’attaque la Gazette de Bali ce mois-ci : évaluer les chances des différents candidats à l’élection du gouverneur de Jakarta qui se déroulera en juillet prochain et ainsi prédire qui seront ceux (l’élection fonctionne par couple gouverneur/vice-gouverneur, et aucune femme n’est candidate) qui auront la très lourde tâche de faire évoluer Jakarta vers une ville agréable, organisée, accueillante et efficace.
Pourquoi s’intéresser à une élection locale dans la partie de notre magazine généralement réservée aux sujets nationaux ? Parce qu’en tant que capitale de l’Indonésie, Jakarta concentre en un seul lieu tous les maux et tout le potentiel de l’archipel. Parce que bien que désormais décentralisé, le pays continue de considérer Jakarta comme son cœur démographique, politique et économique. Parce qu’enfin, et peut-être surtout, cette élection va opposer six paires de candidats aux profils très différents et qu’elle pourrait, en cas de succès, représenter un véritable élan démocratique nouveau et bénéfique au reste du pays.

Il y a cinq ans les Jakartanais élisaient pour la première fois leur gouverneur au suffrage universel direct. Cette évolution démocratique majeure avait été quelque peu dévaluée par le fait que seules deux paires de candidats avaient pris part à l’élection. Soutenu par la très grande majorité des partis politiques, Fauzi Bowo avait ainsi été élu assez facilement en un tour de scrutin. La problématique est toute autre cette année. Si Fauzi Bowo est toujours là et ambitionne un second mandat, cinq autres paires de candidats lui feront face et certains de certains d’entre eux peuvent raisonnablement espérer faire sortir le sortant.

Le premier élément d’importance dans l’élection à venir est qu’avec six paires impliquées, l’élection se jouera vraisemblablement en deux tours, le second tour étant prévu en octobre. Tout l’enjeu de juillet réside ainsi à devenir l’une des deux paires qualifiées pour le second tour. L’un de ces deux tickets vers le second tour devrait être occupé par le gouverneur sortant. Bien que décrié par beaucoup pendant son premier mandat, Fauzi Bowo fait figure de favori au premier tour. Il a l’immense avantage d’être connu de tous à Jakarta. Comme tous les sortants, il possède aussi l’arme d’être au pouvoir jusqu’à l’élection et dès lors de pouvoir lancer des programmes populaires jusqu’au bout afin de satisfaire les votants.

Le bilan de Fauzi Bowo à la tête de Jakarta est discutable. Malgré la création de plusieurs couloirs de bus supplémentaires pour le TransJakarta, le fonctionnement des transports publics reste plus que chaotique dans la capitale. Jakarta est également toujours victime d’inondations. Néanmoins la construction du canal de l’Est a diminué ses effets dans plusieurs quartiers de la capitale et nul doute que ces électeurs là s’en souviendront. Fauzi Bowo reste aussi largement apprécié auprès des classes populaires à qui il a facilité l’accès aux soins et à l’école. Les classes aisées et éduquées ne voteront elles qu’en minorité pour Fauzi Bowo, mais elles sont aussi historiquement celles qui se déplacent le moins pour voter à Jakarta. Enfin, Fauzi Bowo est originaire de Jakarta. Même si la donnée ethnique tend à diminuer dans le choix des gouvernants, il est à parier que la majorité des Betawi (habitants originaires de Jakarta), qui représentent un quart de la population, votera pour Fauzi Bowo et son vice-gouverneur Nachrowi Ramli, lui aussi de Jakarta.

La deuxième place vacante pour le second tour devrait se jouer entre les paires Joko Widodo (Jokowi)/Basuki T. Purnama (Ahok) et Hidayat Nur Wahid (HNW)/Didik Rachbini. La première citée est composée du maire sortant de Solo, Jokowi, élu meilleur maire du pays, réputé pour son humilité, son intégrité et son efficacité et d’Ahok, un parlementaire d’origine chinoise qui doit être l’un des seuls membres incorruptibles du parlement. Cette paire représentant l’intégrité jouit d’un élan populaire important au milieu d’une classe gouvernante hyper corrompue qui dégoûte les Indonésiens de la chose politique. HNW est une personnalité populaire à Jakarta. Ancien président du parti islamique PKS et ancien élu de Jakarta au parlement, il a lui aussi l’image d’un homme humble et intègre. Sa campagne peine à décoller mais la base importante du PKS dans la capitale (environ 20% des voix aux dernières élections) devrait être derrière lui.

L’enjeu pour le deuxième ticket vers le second tour est crucial. En effet, si Jokowi accompagne Fauzi au second tour, il existe une vraie possibilité pour que le gouverneur sortant soit battu. A l’inverse si HNW se qualifie pour le second tour, il est improbable qu’il parvienne à attirer sur son nom beaucoup plus que le vote musulman et Fauzi Bowo serait dès lors le favori logique. L’arbitre de ce match devrait être Faisal Basri. Economiste réputé et intègre, celui-ci a décidé de se présenter en indépendant pour ne pas avoir à subir les pressions des machines partisanes. S’il est improbable de le voir au second tour parce que ses ressources sont limitées, il peut recueillir sur son nom une part non négligeable des votes, essentiellement de la part de l’électorat éduqué, et ainsi prendre des voix essentielles à Jokowi qui pourraient compromettre la présence au second tour de ce dernier.
Une autre paire indépendante s’est lancée dans la course, Hendardji Soepandji/Reza Patria. Hendardji a un passé militaire mais sa candidature ne décolle pas malgré sa promesse de construire un métro à Jakarta s’il est élu. La dernière paire est composée du gouverneur sortant de Sumatra-Sud Alex Noerdin et de Nono Sampono, ancien militaire. Bien que soutenue par la machine Golkar, cette paire improbable n’a que peu de chances d’être présente au second tour. Ce ticket représente ce que la classe politique locale engendre de pire : un candidat soupçonné de corruption et un populisme poussé à l’extrême. Alex Noerdin ne promet rien de moins que la fin des embouteillages et des inondations à Jakarta en trois ans et la gratuité de l’école et des soins dans la capitale dès le lendemain de son élection. Quant à savoir comment et avec quel financement reste une question subsidiaire à laquelle il n’a pas encore apporté de réponse.

Les vraies réponses ne seront quant à elles connues qu’à la suite du scrutin du 11 juillet prochain. Mais cette élection a le potentiel d’être un tournant politique majeur pour la capitale. Si tel est le cas, le reste du pays ne pourra qu’en bénéficier.

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