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Education : plus j’en sais moins, moins t’en sauras plus

Alors que la France est encore sous le choc des résultats de l’enquête PISA (Program for International Student Assessment) de l’OCDE qui la voit reculer de la 20ème à la 25ème place par rapport à l’évaluation précédente, qu’en est-il de l’Indonésie ? Qu’en est-il de l’état des qualifications des citoyens de ce pays qui affiche chaque année des taux de croissance parmi les plus impressionnants au monde ? Basée sur les trois matières que sont les maths, les sciences et la lecture, l’enquête PISA évalue les niveaux de connaissance des élèves de 15 ans dans 65 pays. L’Indonésie, qui se rêve en poids lourd de l’économie mondiale dans les années à venir, a-t-elle les moyens de ses ambitions ?

Le verdict que donne PISA est sans appel… Des 65 pays enquêtés, l’Archipel se classe 60ème en lecture et 64ème en maths et en sciences. 74% des élèves n’ont pas le niveau en maths, 66% n’ont pas le niveau en sciences et 20% ne savent pas lire correctement. Et il n’y a bien sûr aucune raison que la situation soit plus reluisante au niveau universitaire. En 2013, l’Indonésie a fini tout en bas du classement Universitas 21 qui a évalué l’état de l’enseignement supérieur dans 50 pays. Et si, entre 2005 et 2012, le nombre de ses diplômés a doublé, le nombre d’admissions en études supérieures demeure l’un des plus faibles de la région. Seulement 22% des lycéens vont à l’université et seulement 68% des collégiens finissent le second cycle.

Cette chronique d’une catastrophe annoncée est régulièrement pointée du doigt par des rapports de la Banque mondiale et de la Banque asiatique de développement. Dans un pays qui a plus que nul autre besoin d’améliorer les qualifications de sa main d’œuvre pour concrétiser ses promesses de développement et attirer les investisseurs, l’éducation se doit d’être une priorité. Mais le problème revêt plusieurs facettes et trouve ses racines dans l’histoire du pays. Cet ensemble d’îles de l’Insulinde fut longtemps gouverné par la Compagnie des Indes néerlandaises (VOC) qui n’avait que faire d’éduquer les autochtones. Et la passation de pouvoir avec le gouvernement hollandais n’a que légèrement amélioré la situation puisque dans les années 30, il y n’avait encore que 6500 diplômés « indigènes » du secondaire. Ensuite, les premières années de la république, qui ont vu des progrès réels dans l’éducation, déboucheront malheureusement sur le chaos de la fin des années 50, puis sur le coup d’état rampant de Suharto qui engendrera l’élimination physique des intellectuels et de nombreux universitaires du pays. Retour à la case départ.

Un cinquième du budget pour l’éducation

A sa chute 32 ans plus tard, certains pouvaient alors dire que laisser le peuple dans l’ignorance avait du bon. L’élite de ces années suhartiennes, notoirement corrompue, a ponctionné les richesses du pays de manière quasi mafieuse, laissant la majorité des Indonésiens se développer chichement dans une économie de bol de riz et de bakso alors qu’elle s’accaparait les richesses, entre amis proches du palais et des multinationales. Si la reformasi et la décentralisation de ces dernières années a permis à la fois l’avènement de la démocratie et le vrai décollage économique avec la naissance d’une classe moyenne, les conditions de l’enseignement ne se sont guère améliorées. Et la corruption des élites n’a fait que se répandre, cette fois au niveau local, gangrénant tous les pouvoirs, décuplant dommages et préjudices et hypothéquant une fois encore l’avenir des nouvelles générations.

Pourtant, ce n’est pas faute d’allouer les budgets nécessaires à l’éducation. Car l’éducation nationale est bien une priorité. Les législateurs sont d’ailleurs tenus par la constitution de donner un cinquième du budget à ce secteur. On peut toutefois questionner les décisions prises récemment par le ministre de l’Education Mohammad Nuh pour améliorer la situation. Ce ministre issu d’un parti musulman de la coalition au pouvoir a estimé que les élèves indonésiens avaient trop de matières à étudier et a décidé en 2013 d’en réduire le nombre en supprimant par exemple les sciences au primaire et en cantonnant l’anglais au facultatif. Quant à la géographie et l’histoire, elles ont été évacuées au profit de l’enseignement de la… religion, du civisme et des maths. Cela a créé un tel choc que le ministre a revu à la baisse l’application de sa réforme pro-religion, non pas en changeant son contenu mais en la démarrant dans 6000 écoles seulement au lieu des 100 000 prévues. Là encore, on cherche la logique si ce n’est celle de faire passer la pilule en douceur. Mohammad Nuh s’est justifié en affirmant qu’il avait pour préoccupation d’améliorer la moralité de la jeunesse…

Une mentalité de bureaucrate, pas d’éducateur

L’application progressive de cette nouvelle disposition a donné l’occasion à TVOne de diffuser un reportage en direct de l’école primaire de Menteng qui a été fréquentée par Barack Obama de 1969 à 1971, comme une plaque commémorative le rappelle. Le journaliste interrogeait profs et direction de l’établissement sur cette réforme qu’ils doivent désormais mettre en place, dans la salle de classe même où le président américain a usé ses culottes courtes. Inutile de dire que le corps enseignant de SD Menteng était unanime pour regretter ce changement au sujet de l’anglais qui devient désormais une matière facultative en dehors du curriculum. L’école d’Obama qui se voit interdire d’enseigner l’anglais, voilà qui est un peu fort ! Notons au passage pour l’anecdote que le président américain n’a pas de grand souvenir de son passage dans l’éducation nationale indonésienne, excepté qu’il se faisait régulièrement taper sur les doigts avec une règle parce qu’il était gaucher…

On peut aussi tenter de mesurer la difficulté de scolariser et d’éduquer décemment les enfants d’un pays aussi vaste, aux disparités aussi nombreuses. Pourtant, les profs ne manquent pas, à tel point que le ratio enseignant/élèves est d’un pour seize dans le primaire et d’un pour douze dans le secondaire, soit bien mieux qu’aux Etats-Unis ou en France par exemple. Mais comme le rappelle la journaliste scientifique américaine Elizabeth Pisani dans un article d’Inside Indonesia qui préfigure son livre sur le sujet à paraître cette année « les écoles sont remplies de personnes dont le but est de devenir des bureaucrates, pas des éducateurs. Et ils se comportent comme n’importe quels autres bureaucrates en Indonésie. » Cela veut-il dire que les enseignants sont incapables ?

Toujours dans son désir d’améliorer la situation, le gouvernement a également entrepris de certifier ses enseignants avec un cycle de cours de 90 heures sanctionné par un test. Ceux qui le réussiraient verraient ainsi leur salaire doublé. Selon les résultats de ce test, entrepris à l’échelle nationale et dont les rendus ont finalement été révélés au public, 90% des profs sont « très incompétents » en termes pédagogiques. Et plus de la moitié des enseignants du primaire et près d’un tiers de ceux du collège sont même « très incompétents » dans la matière qu’ils enseignent. Toutefois, comme souvent ici, tous ceux qui ont entrepris le cycle ont « passé » l’examen et reçu leur augmentation. Comme leurs profs, les élèves indonésiens semblent aussi réussir leurs examens à tous les coups. En 2013, le ministère de l’Education ne s’est-il pas enorgueilli, comme les années précédentes, d’un improbable taux de réussite à l’examen annuel de 99,5% ?

Triche et corruption

Cela pose la question de la triche. Chaque fin d’année scolaire, les histoires de triche à l’examen national (Ujian Nasional) alimentent la chronique. Les résultats sont connus d’avance, « fuités » par l’imprimeur de ces feuilles d’examen qui se présentent le plus souvent sous la forme de quizz QCM (question à choix multiples) dont il faut cocher les bonnes réponses. Des agents les vendent ces réponses, quand ce n’est pas les profs eux-mêmes, ou alors ils passent les feuilles d’examen et indiquent les cases à cocher, écrivent les réponses au tableau… La décentralisation introduite par la démocratie a accru les responsabilités au niveau local. Et aussi la pression de la performance. Les écoles doivent afficher de bons résultats. Et la triche est devenue ainsi l’activité scolaire numéro un. Officiels, profs, élèves, parents et journalistes, dans une sorte d’hallucination collective, se félicitent eux des 99,5% de réussite…

Puisque l’Indonésie dépense sans compter pour son éducation, les écoles perçoivent des fonds spéciaux distribués en plus du budget normal. Il s’agit de l’Assistance opérationnelle des écoles (BOS) et du Fonds d’allocation spéciale (DAK). Une manne providentielle pour certains. Comme le rappelle l’Indonesia Corruption Watch dans une enquête récente dont les grandes lignes ont fait l’objet d’un article dans le Jakarta Post, la corruption dans le milieu scolaire et universitaire est sur la pente ascendante depuis dix ans. 296 affaires ont été portées en justice pour des pertes pour l’état s’élevant à plus de 50 millions de dollars. « Des irrégularités budgétaires se produisent dans six écoles sur dix en Indonésie », a affirmé un porte-parole de cette ONG. Et ce sont les départements régionaux du ministère de l’Education qui ont le plus haut niveau de corruption avec plus de la moitié des 296 cas cités.

Faux diplômes en quantité abyssale

Incompétence, corruption, triche, le dossier sur l’enseignement à l’indonésienne et ce qu’il conditionne pour l’avenir du pays ne serait pas complet sans parler de la falsification des diplômes. Puisque le but d’entreprendre des études, c’est d’obtenir un diplôme, pourquoi ne pas l’acheter ou se le fabriquer soi-même afin d’aller plus vite. En Indonésie, qui a une longue tradition de faux diplômes, on peut désormais commander le sien en ligne. L’équivalent du bac coûte un million de roupie, il faut en compter deux pour un deug d’université. Sur leur site, les faussaires affirment que leurs offres sont « sécurisées, légales, enregistrées officiellement au collège ou à l’université, utilisables dans la fonction publique, l’armée, la police, les entreprises d’Etat et le secteur privé. » La Commission électorale nationale a affirmé récemment que la plupart des candidats à des élections locales n’avaient pas les aptitudes requises au mandat qu’ils briguaient. La majorité d’entre eux sont titulaires de faux diplômes.

Heureusement, le problème n’échappe pas aux Indonésiens eux-mêmes. Du moins, ceux qui sont allés voir ailleurs. Un séminaire vient d’ailleurs de se tenir à Bali (Indonesian Resource Summit 2013) dans le but d’évaluer clairement les raisons du manque de compétitivité des Indonésiens sur le marché global du travail. Et l’une de ses conclusions majeures explique que l’actuel système éducationnel ne cherche à mettre en valeur ni le talent, ni les capacités, ni le leadership des élèves. « En plus, la culture indonésienne favorise l’ancienneté, la répartition professionnelle par sexe, le groupe (préférer travailler en équipe pour éviter les responsabilités personnelles). Communication implicite et évitement des risques représentent un handicap pour que les professionnels du pays puissent avoir une chance d’être performants au niveau international », a expliqué Sonita Lontoh, présidente de la Fondation de la diaspora indonésienne.

Dans une société patriarcale où le patron – toujours un sénior – a forcément raison, l’attribution des responsabilités et promotions se fait à l’ancienneté et jamais au mérite. « La façon de communiquer des Indonésiens – exprimant les choses de façon implicite de peur d’heurter la sensibilité de quelqu’un – l’évitement des risques et de toutes confrontations ne sont pas bons en milieu professionnel », a poursuivi cette Indonésienne qui travaille à la Silicon Valley. L’Indonésie devrait donc s’assurer de la qualité de son éducation et que celle-ci soit accessible à tous, a conclu ce séminaire de trois jours qui s’est tenu à Nusa Dua.

Pour faire face au défi de l’avenir et concrétiser les promesses qu’il a laissé entrevoir depuis ces dernières années, l’Archipel devra urgemment entreprendre une réelle réforme de son système d’éducation. Sinon, le pays se verra contraint d’ouvrir de plus en plus sa porte aux entreprises et à la main d’œuvre étrangères pour assurer son développement. C’est d’ailleurs ce qu’il vient de faire en élargissant le nombre d’activités accessibles aux étrangers à la pharmaceutique, aux aéroports (avant de faire volte-face) et aux télécommunications, contredisant ainsi une longue tradition de rhétorique soutenant la préférence nationale dans le management des moteurs de l’économie du pays et dans l’embauche. Cette réforme viendra-t-elle ? On peut en douter tant le pays semble pour l’instant piégé dans un cercle vicieux. Le déficit de matière grise d’aujourd’hui étant la conséquence de celui d’hier et la cause de celui de demain. Il lui sera donc de plus en plus difficile de sortir de cette spirale d’échec.

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