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EDM : L’élégant parcours asiatique d’un éditeur chic

Quel amateur de livres passionné par l’Asie du Sud-est n’a jamais entendu parler des Editions Didier Millet ? Spécialiste de ce qu’on appelle le « beau livre » en jargon de libraire, Didier Millet, 67 ans, éditeur français originaire de la Rive Gauche, a réalisé un parcours sans faute dans ce cercle très fermé du livre anglophone de qualité spécialisé sur l’Asie. A l’occasion de l’« Ubud Writers and Readers Festival », rencontre avec un homme distingué…

L’entretien a lieu à l’hôtel Maya Ubud. Assis confortablement dans les fauteuils d’un des lounges de l’établissement, une terrasse couverte surplombant une vallée magnifique imprégnée de l’humidité des premières pluies de la saison, nous devisons avec cet « entrepreneur » de la culture dont la passion et l’enthousiasme semblent encore intacts après tant d’années. « Tout ça a commencé il y a 40 ans, à l’époque, je faisais ma coopération à Tahiti, puis en Nouvelle-Calédonie pour un programme d’éditions locales, Hachette Pacifique, qui deviendront ensuite Les Editions du Pacifique, ma première maison », explique t-il calmement.

Didier Millet est à Ubud pour la présentation du livre de Jamie James qui a « réinventé » ce voyage de Rimbaud à Java dont on ne sait rien. Mais son actu pour la Gazette de Bali est quadruple, il y a aussi le livre de Manfred Giehmann sur les bijoux de l’archipel (cf. La Gazette de Bali n°63 – août 2010), le livre de Chris Salens, le patron du renommé restaurant Mozaic, et la sortie d’un guide Bali Chic.

Dans les années 80, son chemin d’éditeur va bifurquer lorsque le Straight Times de Singapour, qui souhaitait consolider sa présence internationale, va lui proposer une collaboration. Après quatre années passées dans la ville-Etat, il revient en France convaincu qu’il y a quelque chose à faire sur cette région sud-est asiatique. En 1989, il fonde EDM, sa nouvelle maison d’édition qu’il destine à cette zone. La bonne fortune, qui fera décoller son entreprise dans les années 90, se manifeste par la présence du ministre de la Culture et du Tourisme indonésien de l’époque, Joop Ave, qui entend promouvoir son pays par la publication de livres illustrés. « Il nous a rencontrés à Singapour, il aimait vraiment les livres. Il nous a dit : l’Indonésie est un pays fabuleux, faites-en des livres », se remémore l’éditeur parisien. La fameuse série « Indonesian Heritage », dix volumes, est née. Ainsi qu’un autre livre de référence, « Indonesia, Voyage Through the Archipelago», un recueil de photos réalisé avec 50 photographes de réputation internationale.

Grâce à ce coup de pouce providentiel, EDM est sur orbite dans la région. A l’époque, la concurrence n’est pas aussi rude qu’aujourd’hui et le numérique, ce tueur de livres, n’a pas encore fait sa révolution. « Dans ces années-là, il n’était pas rare de faire un tirage à 50 000 exemplaires sur la Thaïlande par exemple. Aujourd’hui, c’est dix fois moins », poursuit ce chef d’entreprise qui emploie encore aujourd’hui plus de 30 personnes à Singapour, Paris, Kuala Lumpur, Bangkok et Bali. Dans ces années dorées, EDM a employé jusqu’à 60 personnes à Jakarta avant que la crise monétaire asiatique des années 97-98 et la chute de Suharto n’y mettent fin. Les années 90 étaient propices à ces « coffee table books » comme on dit en anglais. D’ailleurs, jusqu’en 1998, ces beaux livres sur l’Indonésie vont représenter 50% du chiffre d’affaires d’EDM. « En tout, j’ai dû faire près de 500 livres, dont près de 200 sont encore à notre catalogue aujourd’hui. En règle générale, nous faisons 20% de choix éditorial, le reste, ce sont des commandes », détaille-t-il.

En ce début de 21ème siècle numérique, EDM s’est regroupé pour faire face. « Les ventes en librairie se sont écroulées aujourd’hui et il y a beaucoup de concurrents. Par contre, le numérique a apporté plus de facilité de fabrication et la chute des coûts, le seuil de rentabilité est donc infiniment moindre », poursuit Didier Millet. S’il constate que le beau livre illustré résiste, il pense que c’est parce qu’il n’a aucun avenir en e-book, contrairement au roman. « Alors, on essaye les livres-objets, comme ce Rimbaud in Java, the Lost Voyage ou on fait comme Taschen, des sorties en plusieurs formats », continue ce collectionneur de cartes postales et d’affiches qui est conscient que son image française est importante pour le prestige d’EDM.

Aujourd’hui, la réputation de son catalogue n’est plus à faire et, faisant définitivement autorité dans cette partie du monde, EDM enchaîne projet après projet. Outre les livres à compte d’auteur, les éditions Didier Millet font aussi beaucoup de livres de commande de personnalités ou d’institutions de la région sud-est asiatique. La famille royale de Thaïlande vient de passer commande d’un ouvrage sur le roi Bhumibol, Singapour vient de commander une version française des mémoires de Lee Kuan Yew, sans parler de celles du président SR Nathan dont EDM a également eu la primeur cette année. On pourrait conclure qu’EDM est apprécié du beau monde et pourrait ainsi rester à l’abri des aléas économiques.

Son patron nous fait quand même part d’un certain pessimiste : « Dans dix ans, la plupart des librairies auront disparu, il ne restera au mieux que des enseignes spécialisées. L’avenir, ce sont les tablettes et tout ça pourrait bien tourner en littérature de blog. » Parions néanmoins que dans dix ans et même beaucoup plus, les beaux livres EDM seront toujours dans nos salons, posés avec élégance sur nos tables basses…

www.edmbooks.com

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