Accueil National

Du côté de chez Bach

Contrairement à la mosquée Istiqlal sa voisine, la cathédrale de Jakarta est peu imposante. Le bâtiment originel de1810 a brûlé en 1826, s’est écroulé en 1890, a été reconstruit en 1901 en style néo-gothique, c’est-à-dire en gothique avec des flèches métalliques. Il faut dire que la communauté catholique est très minoritaire : à peine 500 000 fidèles pour plus de 10 millions d’habitants, si l’on en croit l’archevêché. Trois volontaires se relaient pour faire visiter le petit musée rassemblant objets religieux et documents historiques, s’occuper des touristes et des enfants de l’école catholique voisine. La communauté n’est pas très dynamique, déplore Ibu Lisa. « C’est difficile d’avoir de l’aide, les gens ne sont pas disponibles, on ne les voit que le dimanche ». La tradition catholique est récente : en 1950, il n’y avait encore qu’une soixantaine de prêtres en capitale. Pour l’essentiel, les catholiques sont des Tiong-Hoa (Indonésiens d’origine chinoise), ou des Javanais musulmans abangan (c’est-à-dire peu assidus), convertis dans les années 60. Ibu Lisa admet elle-même avoir choisi la religion catholique en partie « parce qu’il n’y a pas beaucoup d’obligations ». L’important pour elle, c’est la conviction et la participation à la vie communautaire, plus que les rituels. Ainsi, pendant plus de dix ans, elle a poussé son fils à apprendre l’orgue, afin qu’il participe aux services religieux. Même si pour finir, il n’est pas devenu organiste, mais architecte.

L’orgue historique de la cathédrale, hors d’usage, a été déplacé à Kelapa Gading, l’une des quelques 50 paroisses de Jakarta et l’orgue actuel a été acheté en Belgique en 1988. L’homme qui s’en occupe est aussi le professeur bénévole du fils d’Ibu Lisa. C’est la philosophie qui a conduit Romo Sutanto à la théologie, et la théologie en Hollande où, étudiant dans les années 70, il a appris à « soigner » les orgues et à en jouer, voire plus : c’est ainsi qu’il a construit un orgue en bambou pour l’église de Cililitan. « Je ne l’ai pas fait tout seul, se défend-il avec un petit sourire modeste, mais c’était une expérience très intéressante ». Longtemps prêtre à l’église Saint-Francois-Xavier de Tanjung Priok, au nord de la ville, le père Sutanto n’y vient plus qu’une ou deux après-midi par semaine, pour enseigner le chant choral, le piano et l’orgue. Les autres jours, téléphone portable aidant, on peut le joindre… aux quatre coins de la capitale, soit à la cathédrale (Jakarta centre), soit à l’église de Pasar Minggu ou à celle de Cililitan (sud), à moins qu’il ne soit dans sa paroisse de Kampung Sawah (ouest) ou à l’est, à l’UNJ (université d’Etat de Jakarta), où il est professeur, salarié cette fois, de théologie et de musique. « J’ai dépassé l’âge de la retraite, mais on m’a demandé de continuer ; il n’y a pas beaucoup de gens pour enseigner ces matières bizarres », explique-t-il.

Il est seize heures. Dans la cour de St François-Xavier, une vingtaine de joyeux drilles interrompent leurs parties de foot et de cache-cache pour accueillir le professeur de musique qui joue une petite introduction afin d’obtenir un calme… relatif. Le cours fonctionne à la manière des auditions théâtrales : à tour de rôle, un élève organiste présente un morceau pour accompagner les choristes. Certains suivent, d’autres essaient de rattraper la musique, quelques petits lancent des notes au passage… L’important, c’est de participer ! Le professeur dirige, commente, on change de morceau et, quand tout le monde est passé, les élèves se réunissent en petits groupes pour étudier de manière plus systématique, sous la supervision des plus expérimentés. Une profession de foi pédagogique : « Ici, les élèves ne paient pas, mais ils s’engagent à aider les plus jeunes ». Romo Sutanto fait partie de cette génération de septuagénaires javanais infatigables, qui n’aiment pas parler d’eux-mêmes – et qui, d’ailleurs, préfèrent le geste à la parole. Il faut s’adresser aux dames de l’église pour savoir qu’un petit accident de voiture l’a empêché de jouer la semaine dernière. Un regard vaguement contemplatif sur l’attelle qu’il porte au bras droit, pas de commentaire : il a déjà changé de salle, afin d’auditionner deux petits nouveaux. Le professeur s’installe au clavier. Quelques gammes, concentration, regard attentif, grand sourire et affectation immédiate à un groupe d’étude. Un quart d’heure plus tard, il est déjà sur le départ ; il a rendez-vous à la cathédrale, à l’autre bout de la ville. Quand il a un moment, le père Sutanto compose ou se joue de la musique. « Du Bach. J’aime tout de Bach. Et Rameau », ajoute-t-il après un temps (par politesse javanaise, peut-être). Mais il y a bien des années qu’il n’a pas joué en concert. Les églises, catholiques ou protestantes, se prêtent assez volontiers à l’organisation de manifestations culturelles, mais c’est, la plupart du temps, à l’initiative de concertistes étrangers, de passage en Indonésie. En tous cas, pour l’instant, rien de prévu à l’horizon 2008…

En trente ans d’exercice, Romo Sutanto estime avoir formé une vingtaine d’organistes de niveau supérieur – dont l’un marié et installé en France, précise-t-il, sans doute pour faire plaisir à la Gazette. Il a en ce moment une cinquantaine d’élèves. « Je ne délivre pas de diplôme, mais mes élèves sont bien reçus dans les académies de musique », commente-t-il. Un geste en direction des poubelles : « Vous savez, on y trouve des perles fines. Et autrement ces enfants, qui sont issus de familles modestes, n’auraient pas accès à la musique ». On veut bien le croire : à la Yayasan Musik Indonesia (en fait, une branche de Yamaha musique), la crème en matière d’apprentissage musical selon la rumeur publique, la demi-heure de cours collectif est facturée 300 000 Rp… « Je suis bien content, conclut cet homme discret. Je pensais que je devrais parler français, et ça m’inquiétait un peu… ». Ah bon, polyglotte, aussi ?

LAISSER UNE RÉPONSE

Please enter your comment!
Please enter your name here