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DROITS HUMAINS : TOUT VA TRÈS BIEN DANS LES JOURNAUX INDONÉSIENS

Nous parlons souvent dans cette rubrique média de la façon dont les infos concernant l’Indonésie sont traitées et relayées différemment selon qu’elles sont produites en local ou par un média étranger. Une info d’agence internationale comme AP, AFP, Reuters, ne traitera pas la news de la même façon que l’agence de presse nationale Antara et bien sûr la majorité de la presse indonésienne. Enfin, la presse indonésienne anglophone aura, elle encore, une autre façon de faire passer le message. On peut se dire qu’en fonction du lectorat, de sa culture, de son éducation, de son éventuelle « sensibilité » nationaliste, cette pluralité est logique et nécessaire. D’autant que la presse est un business aussi et qu’il faut bien prendre soin de ses lecteurs dans un monde où ils sont facilement distraits par les médias sociaux. Alors prenons un cas précis, celui d’un rapport de la commission des Droits Humains des Nations Unies après une visite à Jakarta le mois dernier et la façon dont l’info a été traitée internationalement et en Indonésie…

A une autre époque, on aurait dit que tous les téléscripteurs de la planète s’étaient mis à crépiter d’une seule voix : Le haut-commissaire pour les Droits Humains de l’ONU Zeid Ra’ad al-Hussein « invective l’Indonésie sur sa volonté de criminaliser l’adultère et l’homosexualité. » C’est le titre retenu par la majorité des agences de presse internationales. L’info fait le tour du monde, le haut-commissaire vient de faire une déclaration à la presse depuis Jakarta et le bilan de sa visite de trois jours, à l’invitation de l’Indonésie, est pour le moins sévère. Il a également rencontré le président Joko Widodo au cours de son séjour et, en ce 7 février, il déclame devant les micros du monde entier : « Ces discussions pour la révision du code pénal trahissent le fait que des courants d’intolérance apparemment étrangers à la culture indonésienne ont progressé ici. » Dont acte.

« La rhétorique haineuse à l’encontre de la communauté LGBT, qui est apparemment cultivée par calcul politique cynique ne fera qu’accroitre leurs souffrances et créer des divisions inopportunes », a ensuite précisé Zeid Ra’ad al-Hussein. Membre de la famille royale de Jordanie, en poste aux Nations Unies depuis 2014, le haut-commissaire avait tout de même rappelé en préambule que l’Indonésie était jusqu’à présent un des états les plus progressistes sur les Droits Humains en Asie du Sud-Est. Il a cependant engagé l’Indonésie à régler les nombreux points noirs qui subsistent encore, comme les pogroms anti-communistes de 1965-66, les abus dans les deux provinces de Papua et le maintien de la peine de mort. Lors de sa visite, le haut-commissaire a rencontré également de nombreux représentants de la société civile, ainsi que des activistes, des associations. Et en attendant, il apparait clairement que les députés, poussés par un projet de révision du code pénal déposés par certains partis musulmans, souhaitent inscrire dans l’illégalité adultère et homosexualité.

La presse indonésienne anglophone au diapason international
L’essentiel de l’info est là, et qu’elle soit reprise par l’AFP ou par Associated Press, dans le Straits Times de Singapour ou pour ABC News, elle est dessinée par les mêmes contours, c’est-à-dire que le haut-commissaire est loin d’être satisfait, c’est un euphémisme, des résultats affichés par l’Archipel sur le dossier des Droits Humains. Mais à domicile, que sait-on de cette visite, pourtant à l’invitation de l’Indonésie ? Pas grand-chose, pour ne pas dire rien. Certes, la presse indonésienne anglophone, Jakarta Post et Jakarta Globe, a pour habitude de reprendre en chœur la rhétorique internationale sur les Droits Humains. Mais cette fois, seul le Globe s’est y collé, avec un papier basé sur de l’info d’agence agrémentée d’une analyse pleine de bon sens sur les dangers que représenterait le passage d’une telle loi pour les libertés individuelles. Démocratique et progressiste, la ligne éditoriale du Jakarta Globe s’accorde parfaitement avec les remontrances de Zeid Ra’ad al-Hussein.

Outre ce titre de presse anglophone, c’est encore la BBC, mais dans sa version en indonésien, qui relate la visite du haut-commissaire à Jakarta. Et là, le rédacteur indonésien du bureau de Jakarta de l’entreprise de presse britannique a trouvé son angle : ce sera la pédagogie. En effet, difficile de relater en indonésien la charge du diplomate sans y mettre certaines formes qui la rende plus acceptable auprès de ses concitoyens réputés susceptibles. Et c’est sous ce titre que l’info est relayée : « Haut-commissaire de l’ONU : Pour combattre l’islamophobie, il faut aussi combattre les discriminations en Indonésie. » Il est vrai que Zeid Ra’ad al-Hussein a bien fait cette remarque à quelque moment de sa conférence de presse, mais nous sommes bien loin du corps de son rapport. Ce n’est pas grave, subtil esprit indonésien s’il en est, le journaliste de la BBC attaque par cet angle, ce qui ne l’empêche pas au fil de son long papier de passer en revue toutes les exactions dont l’Indonésie s’est rendue coupable à travers son histoire, n’oubliant ni l’affaire Munir, ni les dossiers Trisakti, Semanggi I & II, ni même la criminalisation récentes des activistes qui luttent contre des mines d’or illégales.

La presse d’Etat décerne des lauriers toute seule
Faisons alors le bilan de l’écho de la visite de Zeid Ra’ad al-Hussein dans l’Archipel : un papier en anglais que la majorité des indonésiens ne lisent pas et un papier en indonésien de la BBC qui tente le marchandage improbable islamophobie/Droits Humains pour faire passer la pilule. C’est tout ? Non, la perle de la manipulation revient à la radio nationale indonésienne RRI qui, dans un article également publié sur son site décide de voir les choses exclusivement du bon côté. En effet, reprenant le commentaire poli de l’envoyé de l’ONU sur la bonne volonté de Jakarta de l’avoir invité, RRI n’hésite pas à titrer : « Les Nations Unies estiment que l’Indonésie est sérieuse face à ses obligations sur les Droits Humains. » Et là, aucun mot sur la litanie habituelle des exactions irrésolues commises par l’Etat indonésien tout au long de l’histoire du pays mais par contre, tous les propos « diplomatiques » de l’envoyé, déclarés en préambule à sa charge pendant la conférence de presse, sont bien là, relayés dans leur intégralité.

RRI, organisme d’Etat, ne retient que les propos lisses de la diplomatie internationale à l’œuvre et, cerise sur le gâteau, se permet même un petit satisfecit supplémentaire en rappelant que si le pays a notoirement été actif sur le dossier des « Rohingya musulmans », c’est bien la preuve de son engagement pour le respect des Droits Humains. Le tour est joué, l’Indonésie, pays au dossier d’abus des Droits Humains long comme le bras, apparait donc par un tour de passe-passe journalistique comme le pays à l’avant-garde de la protection des frères coreligionnaires et c’est cela qui compte car ici, tout n’est qu’affaire de… communication. Le président du Conseil de la Presse indonésienne Yosep Adi Prasetyo vient de s’enorgueillir du fait que l’Archipel posséderait le plus grand nombre de médias au monde, soit 47 000 titres répartis entre les journaux imprimés, les radios, les télés et les médias en ligne. On le voit, si la quantité est là, il reste du travail à faire sur la qualité.

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