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Droit de l’Homme : sévère remontrance des Nations Unies

Il y a peu de temps, à la suite de l’éruption de violence déclenchée par le film « Innocence of Muslims » uploadé sur YouTube par des Egyptiens coptes exilés aux Etats-Unis, le gouvernement indonésien, à l’initiative de son président, s’était rendu aux Nations Unies pour demander qu’une loi internationale condamne le blasphème comme cela existe déjà ici. Outre que cette requête semble pour le moins saugrenue – au nom de quelle logique et par quelle construction mentale peut on envisager sérieusement que l’ONU puisse un jour édicter des lois remontant au Moyen-âge ? – la réponse ne s’est pas faite attendre sous la forme d’un rapport plutôt alarmant sur les atteintes « légales » aux Droits de l’Homme dans l’archipel. Ironie du sort, hasard des calendriers, ce dossier a été rendu public quelques jours avant qu’un accord longuement attendu sur les Droits de l’Homme soit signé par les membres de l’ASEAN. Notons quand même au passage que, dans le plus pur style diplomatique de l’Asie du Sud-est, les pays signataires n’ont pas obligation de se conformer aux termes de l’accord…

La haute commissaire aux Droits de l’Homme Navi Pillay a exposé les rendus de son enquête sur l’Indonésie lors d’une conférence de presse à Jakarta le mois dernier, adressant ainsi une mise en garde sévère au pays. « L’Indonésie a une riche culture et histoire de diversité et de tolérance. En même temps, elle risque de les perdre si une action ferme n’est pas entreprise pour remédier aux niveaux croissants de violence et de haine envers les minorités religieuses et les interprétations étroites et extrémistes de l’islam », a affirmé la Sud-africaine. La haute fonctionnaire a rappelé que l’Indonésie était déjà signataire de huit traités internationaux (ndlr – avant le dernier de l’ASEAN précédemment cité) sur les Droits de l’Homme mais qu’elle avait du mal à « traduire ses obligations internationales dans sa loi nationale. »

Ahmadistes, chrétiens, chiites, représentants des croyances ethniques, Navi Pillay a rencontré de nombreuses minorités lors de son séjour. « J’ai été attristée d’entendre tous ces témoignages d’attaques violentes, de déplacements forcés, de refus de carte d’identité et toutes autres formes de discrimination ou de harcèlement à leur encontre », peut-on lire sur le site de l’ONU où son rapport est résumé. Et de noter le rôle de la police dans cette dégradation : « J’ai été très marquée aussi d’entendre que la police n’a pas rempli sa tâche de protection dans tous ces cas ». Puis de lancer cette recommandation devant les officiels indonésiens : « L’Indonésie demeure une jeune démocratie, qui a souffert pendant des décennies de l’autoritarisme militaire et qui doit encore renforcer les mécanismes d’imputation destinés à identifier les responsabilités dans les atteintes aux Droits de l’Homme passées et présentes », poursuit-elle. Du travail en perspective assurément.

En écho direct à la démarche récente du gouvernement indonésien auprès de l’ONU, Navi Pillay a noté l’urgence d’« annuler » la loi de 1965 sur le blasphème et les décrets ministériels de 1969 et 2008 sur la construction des lieux de culte, ainsi que l e décret de 2008 i nterdi sant l a branche musulmane d’origine pakistanaise Ahmadi yah. Navi Pillay a affirmé ses préoccupati ons devant l’applicati on « arbitraire et discriminatoire » de la charia à Aceh qui autorise « des peines brutales comme la lapidation et le fouet et permet de faire des raids contre les salons de coiffure et autres endroits où les gens se réunissent, créant une atmosphère d’intimidation et de peur. » En dehors des questions de liberté de culte, la représentante des Nations Unies a aussi exprimé son inquiétude sur la persécution dont font l’objet les activistes des Droits de l’Homme dans le pays, tout particulièrement en Papua. Elle a également exigé une nouvelle enquête sur le meurtre de l’activiste Munir Said Thalib (cf. La Gazette de Bali n°89 – octobre 2012), ainsi qu’une réévaluation du procès de l’ancien vice-président de l’agence nationale de renseignement (BIN) initialement impliqué dans l’affaire.

Sur les dossiers concernant plus particulièrement les femmes, la représentante de l’ONU s’ est dite alarmée par le nombre de témoignages d’Indonésiennes affirmant avoir été victimes de violences, de discriminations et d’injustices. « J’encourage aussi le gouvernement à assurer les droits sexuels et de la reproduction des filles et femmes non mariées », a-t-elle ajouté. La loi indonésienne est en effet encore loin de reconnaître les filles-mères, sans parler des difficultés que rencontrent les enfants de père inconnu avec, par exemple, leur problématique inscription à l’école. Enfin, sur les minorités sexuelles, là aussi un lourd tabou en Indonésie, Navi Pillay s’est montrée « très préoccupée par la violence de la police à l’encontre des membres des communautés gay, lesbienne et transsexuelle » et a demandé au gouvernement d’assurer leur protection.

Lors de son séjour, la haute commissaire a été en mesure de mieux appréhender « l’étendue et la nature extrême » des violations passées des Droits de l’Homme dans le pays, des massacres de communistes en 1965 à l’élimination des étudiants dans les années 90, jusqu’aux crimes perpétrés à Aceh et dans ce qui est devenu aujourd’hui le Timor Leste. « J’ai été plutôt encouragée d’apprendre l’existence d’un certain nombre d’enquêtes de haut niveau et le passage d’une loi en 2000 sur l’établissement d’un tribunal des Droits de l’Homme mais je regrette que ces avancées semblent avoir calé et n’aient pas donné jusqu’à maintenant l’occasion de condamner les coupables », a-t-elle conclu devant les officiels indonésiens présents.

Navi Pillay n’a cependant pas rencontré le président SBY et n’a donc pas pu lui remettre les résultats de l’enquête en main propre. « Un meeting n’a pas pu être arrangé », a-t-on affirmé sommairement. La presse nationale, dont il faut pourtant bien reconnaître le rôle important dans l’établissement d’une Indonésie plus démocratique ces dernières années, a cédé à ses vieux démons nationalistes et, comme toujours lorsqu’un él ément étranger fait des remarques désobligeantes, a largement occulté l’info. Idem pour le ministre des Affaires étrangères Marty Natalegawa qui s’est refusé à tout commentaire. Seule la presse en langue anglaise a accordé l’attention nécessaire aux rendus de cette enquête et – aurait-il vraiment pu faire autrement ? – le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme Amir Syamsuddin. Il est vrai dans le plus pur style langue de bois indonésienne.

« Il y a peut-être eu des endroits où des attaques sur certaines minorités se sont produites. Toutefois, elles sont d’importance secondaire »,a-t-il dit, avant de concéder l’impuissance des autorités à gérer les tensions qui peuvent survenir dans une population de 240 millions avec cette remarque : « Nous avons trop de gens à nous occuper. » Et de continuer avec des affirmations qui ne trompent personne :« Nous sommes toujours mal compris. Nous avons par exemple apporté notre protection aux membres de l’église Taman Yasmin. » Si la police a bien fini par garantir la protection de cette congrégation de Bogor dans un autre lieu de prière, le gouvernement n’a jamais agi contre le maire de cette ville de Java-Ouest qui s’est entêté à refuser à cette communauté le droit de construire son église malgré toutes les autorisations légales et une décision favorable en justice.

Idem au sujet de la communauté chiite attaquée par la majorité sunnite à Madura. « Nous avons fait pareil à Sampang, lorsque nous l es avons dépl acés ver s un abri afin de les protéger de futures attaques », a poursuivi le ministre. Les intéressés ont bien évidemment pris ces « mesures de protection » pour le moins comme une restriction de leur liberté, si ce n’est une résidence surveillée. Rappelons également que Tajul Muluk, le leader de cette communauté chiite, a été immédiatement emprisonné pour « blasphème » après les attaques envers son groupe. Quant au ministre de la Religion, l’inénarrable Suryadharma Ali, il n’avait trouvé rien de mieux à dire que la seule solution de règlement de ce conflit était « la conversion des chiites à l’islam majoritaire sunnite. »

« Nous apprécions son avis. C’est une personne crédible, en position de donner des conseils sur les Droits de l’Homme », a conclu laconiquement Amir Syamsudin au sujet de la représentante de l’ONU. Mais de là à accéder à la requête de l’instance internationale, formulée depuis un certain temps déjà, d’accepter la présence d’un rapporteur spécial sur « la liberté de culte et les disparitions forcées », il y a un pas que le gouvernement, drapé dans son nationalisme à toute épreuve, n’est bien évidemment pas encore décidé à franchir.

<img3386|left> Les massacres de 65-66 ne sont pas une violation « grave » des Droits de l’Homme

Continuons dans la série. Telle est en effet la conclusion du procureur général de la république Basrief Arief après avoir pris connaissance des 850 pages de l’enquête de la Commission nationale des Droits de l’Homme (Komnas HAM) sur les massacres des membres du PKI et autres citoyens de gauche pendant le coup d’Etat « rampant » du général Suharto dans les années 60. En corollaire de cette déclaration lue dans le Jakarta Post survient évidemment la décision de ne rien faire pour condamner les acteurs de cette holocauste qui a fait entre 500 000 et 1 000 000 de morts (cf. La Gazette de Bali n°89 – octobre 2012). « Les conclusions de la commission sont insuffisantes pour justifier une procédure légale », a affirmé sobrement Basrief Arief avant de retourner le dossier à l’organisme qui avait pourtant enquêté pendant quatre ans, une première dans l’histoire du pays qui laissait espérer une amélioration de la gestion de son passé sanglant jusqu’à maintenant délibérément occulté. Le déni est donc maintenu.

<img3387|right> Walhi : Gendo passé à tabac par des gros bras.

Nous avons récemment consacré un long article à l’organisation écologiste Walhi (cf. La Gazette de Bali n°89 – octobre 2012), notamment sur son action récente contre la construction d’une autoroute à péage sur pilotis reliant Nusa Dua, l’aéroport Ngurah Rai et Benoa. Selon Gendo Suardana, le charismatique leader de cette association, les développeurs n’ont pas respecté le cahier des charges initial au sujet de la protection de la mangrove sur laquelle cette voie rapide est implantée. Et des magouilles seraient déjà en cours pour l’attribution de projets immobiliers sur les parties trop abîmées pour être restaurée. Walhi a appelé au boycott du prochain forum de l’APEC (Asia Pacific Economic Cooperation) pour lequel cette voie est initialement construite et a assigné en justice le gouverneur de Bali Made Mangku Pastika pour les manquements de son administration.

Ce dernier a affirmé que l’association « était manipulée par un certain groupe » en échange de « largesses financières » (Bali Post). Walhi est pourtant notoirement constituée de bénévoles – tous les membres ont un métier à côté et mènent leurs activités militantes dans un modeste (pour ne pas dire décrépi) bureau de Denpasar – et le financement provient de donations collectées pour l’essentiel auprès de la population. Mais Gendo Suardana dérange, son verbe haut et sa détermination militante ne lui valent pas que des amis ici, au pays du « sopan santun » où il faut surtout éviter de perdre la face. Il vient donc d’être victime d’un passage à tabac en règle par une bande de preman tatoués qui sont venus l’agresser dans le cabinet d’avocats où il exerce. Nous lui souhaitons tous nos vœux de prompt rétablissement.

L’action du FPI contre les caricatures de Charlie Hebdo

La publication des caricatures du prophète Mahomet par l’hebdomadaire satirique, en plein pendant l’effervescence provoquée par le film anti-islam « Innocence of Muslims », a fait craindre aux autorités françaises les pires représailles des extrémistes musulmans, y compris ici en Indonésie. Notre surprise fut donc grande de ne rien voir dans les journaux sur de quelconques actions antifrançaises

dans l’archipel, nous résignant à admettre que l’importance de la France en Indonésie était donc réduite à ce point de presque anonymat… Il n’en fut rien mais nous venons seulement de l’apprendre grâce à un article du Point. L’incident est resté secret. Fin septembre, les militants du FPI ont, avec la complicité de la police, envahi le Centre culturel français de Surabaya et exigé des « excuses » écrites de la France dans « un délai d’une semaine », menaçant de recourir à la violence.

« Le Quai d’Orsay avait choisi de gérer cette crise dans la discrétion (…). Mais en coulisse, la réplique de la diplomatie française en direction de Jakarta a été ferme », apprendon dansl’article de l’hebdo d’info. « A Paris, l’ambassadeur d’Indonésie a été immédiatement
convoqué pour exiger un retour au calme. Sous pression, le pouvoir
central réagit et remet au pas les miliciens excités de Surabaya (…).
Et les médias locaux, qui avaient filmé l’entrevue aux allures de tribunal d’inquisition (…) sont priés de mettre l’embargo sur ces images. En quelques heures, tout rentre dans l’ordre et aucune information sur l’incident ne filtre », peut-on lire plus loin. On notera le ton martial employé au sujet de la détermination de Paris, qui semble donner ses ordres à la volée à Jakarta. Un ton inapproprié et sûrement bien loin de la réalité pour qui connait les rouages de la communication diplomatique, qui plus est avec l’Indonésie…

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