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Dr. MADE BUDIANA : BALI EST AUJOURD’HUI DEVENU UN « PARADIS DES CHIENS »

Personne n’est sans avoir remarqué que le marché des animaux de compagnie a explosé ces dernières années, nous en voulons pour preuve le nombre incroyable de pet shops qui ont ouvert récemment. Et détrompez-vous, ce ne sont pas les Occidentaux qui ont élu domicile à Bali qui stimulent ce marché, mais bien les Indonésiens qui se découvrent ici une passion pour les boules de poils à quatre pattes. Pourquoi Bali ? Difficile de répondre sans froisser les susceptibilités cultuelles de certains mais il faut bien avouer que, là encore, tout comme pour les humains, l’île est aussi une terre de liberté pour les canins. D’ailleurs, dans cet entretien avec le vétérinaire Made Budiana, celui-ci n’hésite pas à qualifier Bali de « paradis des chiens ». Amusant, surtout lorsque l’on sait que les Balinais considéraient traditionnellement les chiens comme d’hideuses incarnations poilues et malodorantes de démons mineurs…

La Gazette de Bali : Docteur Budiana, depuis quand avez-vous ouvert cette clinique vétérinaire ?
Made Budiana : En 2012. Avant je faisais partie de l’équipe de vétos du docteur Dharma.

LGdB : D’où vous vient cet intérêt pour les animaux ?
M B : Depuis l’enfance, je suis originaire de Karangasem et aussi loin que je m’en souvienne, nous avions toujours des chiens à la maison. Mon père ramenait constamment des chiots.

LGdB : C’est une vocation alors ?
M B : Non, pour être tout à fait franc, je me destinais à la médecine générale mais comme j’ai échoué à l’admission, j’ai fini par choisir vétérinaire sur les conseils de mon père. Je reconnais quand même que j’ai toujours eu beaucoup d’intérêt pour les bêtes et que je me passionnais pour les programmes du National Geographic à la télé.

LGdB : Avez-vous exercé en dehors des animaux de compagnie ?
M B : Oui, bien sûr, au début de ma carrière professionnelle, j’ai effectué des missions pour plusieurs départements sanitaires officiels, notamment dans l’élevage des vaches à Bali où j’ai institué des programmes de nutrition à l’usage des paysans. Sinon, j’ai été régulièrement appelé pour soigner les éléphants dans plusieurs parcs d’attractions qui en emploient ici pour les touristes.

LGdB : Il y a eu cet accident récemment, un cornac a été tué par un éléphant qu’il soignait depuis longtemps. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
M B : Ces animaux sont exploités de façon intensive. Cela leur crée du stress et des accidents arrivent… Leur charge de travail est généralement trop importante. Les règles définies par le département Konservasi Sumber Daya Alam de Bali (BKSDA) devraient être mieux suivies, mais c’est aussi un business avec ses contraintes…

LGdB : Comment se répartissent vos activités journalières de vétérinaires aujourd’hui ?
M B : Eh bien, là, je reviens de visites chez les particuliers et maintenant je suis de permanence dans ma clinique. C’est une journée type. Mes clients ont surtout des chiens, des chats et des chevaux. Je me déplace également dans plusieurs centres équestres.

LGdB : Allez-vous aussi consulter dans les delphinariums, qui sont de plus en plus contestés ici à Bali ?
M B : Ils m’ont contacté, mais je n’y suis pas allé…

LGdB : Le marché des animaux de compagnie est en pleine expansion en ce moment ?
M B : Oui, c’est indéniable, je dirais qu’il a été multiplié par 5 depuis que j’ai commencé en 2000. Le nombre de vétérinaires et de cliniques vétérinaires ne cessent de croitre et pourtant il n’y en a jamais assez. La répartition, c’est deux chiens pour un chat.

LGdB : Votre emploi du temps est donc bien chargé…
M B : Oui, je commence à 8h00 du matin et finis à 8h00 du soir. Et si on m’appelle pour une urgence, je me déplace, même à 2h00 du matin… Je ne prends qu’une demi-journée de repos par semaine, le dimanche. Nous sommes 5 docteurs à exercer dans ma clinique. Il y a également trois autres employés.

LGdB : Que faites-vous pendant votre temps libre ?
M B : Je suis en train de construire un refuge dans mon village d’origine où je vais pouvoir mettre tous les chiens que les gens ont abandonnés ici. Il y en a une quarantaine dans la cour derrière et les voisins se plaignent du bruit. Là-bas, ils auront un terrain de 17 ares pour s’ébattre, ce sera mieux pour eux aussi. Si tout va bien, en juin, le site est ouvert.

LGdB : Mais comment avez-vous donc récupéré toutes ces bêtes ?!?
M B : Il arrive souvent que des gens m’apportent leurs chiens malades et ne viennent jamais les reprendre, voire ne payent jamais les soins… Nous essayons de les faire adopter mais ce n’est pas toujours facile, certains sont vieux, pas très beaux… On les donne, ils sont vaccinés et stérilisés mais c’est malgré tout difficile de trouver des acquéreurs… Souvent, quand on donne des animaux, on essaye de vérifier qu’ils sont bien traités par leur nouveau propriétaire. Tout est possible ici, y compris de les voir finir chez le boucher !

LGdB : On sait que les étrangers sont plutôt attirés par les chiens locaux, qu’en est-il du marché des propriétaires indonésiens ?
M B : Les races à la mode auprès de mes compatriotes en ce moment sont les bulldogs anglais, les pitbulls, les caniches et les petites races comme les loulous de Poméranie, les chihuahuas et les beagles. Effectivement, les étrangers adorent les chiens de rue d’ici et les Kintamani.

LGdB : Cet engouement pour les pitbulls n’est-il pas un peu inquiétant ?
M B : Oui, un peu… Le pitbull est assez agressif avec les autres races. Mais quand il est bien dressé depuis petit, c’est un chien plutôt facile. Il ne faut pas qu’il se retrouve à se battre, c’est là qu’il devient extrêmement violent. Certains ici s’amusent à les croiser avec des chiens locaux et après, cela fait des chiens avec un potentiel de dangerosité inquiétant qui se retrouvent lâchés dans la nature.

LGdB : On voit souvent des chiens de traineaux ici, vous n’en avez pas parlé…
M B : Oui, ce n’est pas un très bon choix à cause du climat… Certains de mes clients sont fanatiques d’une seule race dont ils collectionnent un nombre important, jusqu’à 25 têtes… Ils en élèvent et en font commerce parfois. Au sujet de ces chiens de traineaux, je connais effectivement ici des amateurs de l’Husky de Sibérie et du Malamute d’Alaska.

LGdB : Que dire au sujet du marché des chats ?
M B : La plupart du temps, les gens ici ont des chats locaux pour se débarrasser des souris. Les amateurs indonésiens de félins se répartissent essentiellement en quatre catégories : les persans, les angoras, les bengals et les siamois. J’ai parmi mes clients des gens qui font des shows de dressage avec des persans.

LGdB : Quelles sont les pathologies les plus courantes que vous rencontrez ?
M B : En numéro un, les parasites cutanés, comme les gales. Puis bien sûr les parasites intestinaux, toutes sortes de vers. Viennent ensuite les soins à prodiguer à cause des accidents liés au trafic routier, puis aux combats entre chiens, organisés ou pas. Et bien sûr les vaccinations et stérilisations. Sans oublier les empoisonnements.

LGdB : Et la rage ?
M B : C’est effectivement un problème récurrent à Bali depuis une bonne dizaine d’années maintenant mais des progrès ont été enregistrés récemment avec une diminution certaine des cas. Ici, dans le sud, elle est inexistante. En ville, les gens ont une meilleure conscience de la façon dont ils doivent traiter leurs animaux. Dans les villages, c’est une autre histoire…

LGdB : Justement, que faut-il faire pour améliorer le sort des bêtes ?
M B : En premier lieu, le contrôle des naissances, c’est le plus important. Il faut les stériliser. Les propriétaires doivent être responsabilisés. Souvent, ils les adorent petits puis, quand ils ont grandi, qu’ils sont devenus encombrants, ils les abandonnent. La responsabilisation est nettement meilleure parmi ma clientèle occidentale.

LGdB : Existent-ils des initiatives officielles pour améliorer le sort des bêtes ?
M B : Non, rien d’officiel, mais il y a des associations qui vont dans les écoles avec des programmes éducatifs qui expliquent aux enfants comment bien traiter les animaux. A dire vrai, cette information devrait se faire également dans chaque famille. Malheureusement, avec toutes les chaines de télé qui existent aujourd’hui, aucune n’a encore eu l’idée de faire une émission régulière sur ce sujet…

LGdB : Que pensez-vous de la loi indonésienne qui interdit l’importation et l’exportation des animaux ?
M B : Cela favorise bien évidemment le marché noir et les combines. Il serait préférable de faire des règles strictes et de veiller à ce qu’elles soient suivies. La situation en ce moment est hors contrôle et favorise tous les trafics. Je pense à l’exemple japonais, là-bas, les règles d’importation sont très strictes, mais pendant le pic de l’épidémie de rage à Bali, ils continuaient quand même d’importer des chiens de Kintamani et n’ont eu aucun souci de contamination sur leur sol.

LGdB : Le marché du chien de compagnie s’est-il aussi bien développé sur les autres îles, notamment les îles de confession musulmane ?
M B : Non, pas autant, Bali reste évidemment un paradis du chien. Mais dans certaines grandes villes de Java, il y a quand même un marché important. Je connais aussi beaucoup de musulmans qui résident à Bali et qui possèdent des chiens.

LGdB : Parlez-nous de la façon dont les Indonésiens envisagent cet univers de l’animal de compagnie ?
M B : Il est indéniable qu’il y un aspect de statut social. Avoir un chien de race qu’on a payé cher pose son propriétaire. C’est le cas en ville, à Denpasar, à Badung, mais de retour au kampung, ce n’est pas le cas, on se contentera d’un chien du cru. En ce moment, avec la mode du bulldog anglais, les prix s’envolent. Certains spécimens avec une certaine combinaison de couleurs de fourrure peuvent se négocier entre 150 et 200 millions de roupies. De l’autre côté, un golden retriever ne coûte qu’entre 1,5 et 3 millions.

LGdB : Est-il pertinent d’avoir un golden retriever à Bali ?
M B : C’est un chien qui coûte cher en soin, qui mange beaucoup. Et qui a besoin de se dépenser. C’est donc un chien encombrant qui a besoin d’espace. C’est une misère de les voir en cage comme c’est souvent le cas ici.

LGdB : Y a-t-il des espèces à éviter quand on est en Indonésie ?
M B : Oui, je dirais les chiens de traineaux et justement ces bulldogs qui ont la côte en ce moment, ils ont trop chaud ici. Les bulldogs ont des problèmes respiratoires sous les tropiques, il n’est pas rare d’en voir décéder à cause de cela. Ou à cause d’une insolation.

LGdB : Quels sont les prix du marché des chats ?
M B : Le plus cher, c’est le bengal, entre 15 et 25 millions de roupies. L’angora, entre 5 et 10 millions. Le persan, entre 1,5 et 5 millions. Enfin, le siamois, entre 3 et 10 millions.

LGdB : Quels conseils de nutrition donnez-vous ?
M B : Peu de sel et sucre. Peu de carbohydrates. Avec tous ces pet shops partout aujourd’hui, ce n’est pas difficile de choisir une bonne alimentation.

LGdB : Et pour conclure, quels animaux avez-vous vous-même ?
M B : Eh bien, la quarantaine de chiens abandonnés que je vais placer dans mon refuge en juin. Ainsi que deux dobermans, 1 chihuahua, 1 chat… Ah oui, 6 autres chiens de petites races diverses. Et j’oubliais : 1 cheval…

Interview par Eric Buvelot

Clinique Made Budiana, Jl. Kerta Dalem Sari III/4, Sidakarya, Denpasar.
Tél. (0361) 727202

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