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Douceur de vivre à Banjarmasin

Il fait nuit noire. Le chant des muezzins résonne dans l’atmosphère moite. Au loin, des lanternes frétillantes éclairent des ombres furtives. En s’approchant, on devine des dizaines d’embarcations silencieuses. Fines et légères, elles glissent sur l’eau. Le toussotement du moteur de notre bateau ne semble pas les déranger. Quant aux riverains, ils sont déjà debout. Sur les rives du fleuve Barito à Banjarmasin, l’aube est un moment d’éternité. Le début d’une journée de déambulations dans cette cité tapie dans l’extrême sud-est de Bornéo.

Le marché flottant de Terapung s’installe tous les matins au même endroit. Depuis 500 ans, c’est le même spectacle fantasmagorique. Dès 5 heures, le rituel commence. Les échoppes sont des jukung, des barques fines, qui arrivent en silence de toutes les directions. Le jour n’est pas encore là que deux femmes discutent déjà du prix du kilo de bananes. Juste à côté, des hommes se saluent d’un geste de la main. Des habitués. Les clients sont les voisins. Dans une ville qui vit les pieds dans l’eau, la plupart des maisons sur pilotis disposent d’une barque. Ici, on vend de tout : des légumes, des fruits (bananes, noix de coco, rambutan…), du poisson, des épices, des herbes (comme le sirih, avec laquelle les femmes se noircissent les dents) des récipients en plastique, des paniers et même des tambuan, un réceptacle en terre cuite dans lequel les Indonésiens enterrent le placenta. Depuis le marché flottant, on peut jouer les
voyeurs en observant la vie quotidienne des Banjir (les habitants de Banjarmasin) au saut du lit. Sur les rives du Barito, tout comme sur le fleuve Mahakam plus au nord de Kalimantan, l’intimité est rendue publique. Au bord de l’eau, les habitants se réveillent en s’étirant, se brossent les dents, lavent leurs enfants, jettent leurs ordures, nettoient leur linge et font leurs besoins. Des cahutes en bois jalonnent les berges…

Petit-déjeuner sur l’eau
Au loin, d’immenses barges chargées de charbon croisent dans la baie. Des milliers de tonnes de ce combustible passent par là chaque mois. Vers 8h30, un monsieur sur son jukung nous propose de prendre le petit-déjeuner. Une cafétéria flottante où le propriétaire bien assis face à son petit réchaud présente fièrement son étal de viennoiseries et quelques fruits. Thé ou café ? Lance-t-il dans un éclat de rire. A 9 heures, déjà, tous les vendeurs ont disparu, à la recherche d’autres clients, ailleurs sur d’autres marchés. C’est l’heure d’aller jeter un œil du côté de l’île Alalak. Ici, on construit des klotos, des bateaux colorés destinés à transporter des marchandises ou des passagers. Ils sont fabriqués en moins de dix jours, en acajou, un bois précieux présent à Bornéo. Mais déjà tous les hommes se tournent vers la mosquée, il est 11 heures. Ici, le chant du muezzin est omniprésent. Les dômes argentés et les minarets décorent le ciel. L’Islam rythme la journée. On compte ici plus de mosquées que nulle part ailleurs en Indonésie. La province du Sud-Kalimantan est l’une des plus religieuses d’Indonésie. 98 % de la population est musulmane. Dans les rues, la plupart des femmes sont voilées. Autre signe de cette prépondérance : sur la route qui arrive du nord de la province, nombreux sont les jeunes Indonésiens qui font la quête pour ramasser de l’argent qui servira à la construction d’une mosquée.

Pour l’heure, nous voilà face à la plus grande mosquée de Bornéo. Enfin, c’est ce que l’on raconte. La mosquée Sabila Muhtadin a été construite en 1980. Sur le parvis glissant, un crachin breton arrose la ville, un homme nous barre le chemin. « Couvrez-vous la tête », nous lance-t-il sans un sourire. On obtempère alors qu’il reste encore plus de cinquante mètres à parcourir avant de passer la grande porte. C’est vrai qu’elle est immense. Imposante et glaciale à l’intérieur, quand les fidèles ont déserté la place. Plus charmante, la mosquée Suriansyah a été bâtie en 1546. C’est la plus ancienne de la ville. Il ne reste pas grand chose de ses origines sinon un dôme carré que l’on doit à la forte influence javanaise. La légende* raconte que le royaume du sud-est de Bornéo a été fondé par Ampu Jatmika, le fils d’un marchand venu de la côte Coromandel, au sud-est de l’Inde. Au 12ème siècle, il s’installa dans la région qu’il baptisa la Negara Dipa. La région devint ensuite un vassal du royaume hindou de Majapahit, à l’est de Java. De là, la cité garda des liens étroits avec l’île de Java. L’islamisation de Banjarmasin a été favorisée par l’essor du royaume musulman de Demak sur la côte nord de Java au début du 16ème siècle.

En 1526, la ville devint officiellement musulmane. Pendant longtemps, le sultanat de Banjarmasin resta l’un des plus puissants de Bornéo avec celui de Brunei au Nord. L’arrivée des Hollandais en 1860 entraîna une guerre de quatre ans pendant laquelle Banjir, Dayak et Bugis luttèrent ensemble contre les envahisseurs. C’est ici que les Bataves installèrent leurs avant-postes commerciaux. Et ils se firent déloger avec l’indépendance de la République indonésienne. Aujourd’hui, on ne voit guère d’Occidentaux dans les rues de Banjarmasin. Ils ne sont pas nombreux à descendre jusqu’ici. Pourtant la ville est agréable à visiter. Rien à voir avec la ville champignon et sans âme qu’est Balikpapan ou la cité un peu triste de Samarinda plus au nord. Surnommée la « Venise de l’Orient » par les brochures touristiques en raison de la présence de ses nombreux canaux, elle est parfaite pour une escapade de deux jours.

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