Ils s’en sont bien évidemment indignés. Artalyta moins. Artalyta Suryani est une femme d’affaires devenue célèbre il y a plusieurs mois quand elle a été condamnée pour corruption. Elle avait très grassement payée un procureur pour tenter d’obtenir une issue positive après une enquête concernant un de ses proches. Manque de clairvoyance, le
KPK fut témoin de la passation de valise.
Quelle ne fut donc pas la surprise d’Artalyta Suryani quand des représentants gouvernementaux sont entrés sans frapper dans sa « cellule ». Elle était en plein milieu d’un soin pour le visage. Car reliée à sa cellule, Artalyta Suryani bénéficiait en effet d’une pièce de plus de soixante mètres carrés meublée, avec réfrigérateur, air conditionné, télévision, téléphones portables et ordinateurs. Une employée de maison était aux petits soins pour elle, et son chauffeur en mode veille dans l’attente d’un déplacement de sa patronne.
Plusieurs organes de presse ont estimé qu’un tel traitement de faveur devait coûter entre 75 et 150 millions de roupies par an. Une bagatelle pour les gros corrompus, pour qui on l’aura compris, la prison est loin d’être une vraie punition. Dans un grand élan d’indignation symbolique, le responsable national des pénitenciers, qui a d’ailleurs publiquement estimé qu’il ne voyait rien d’illégal ou de choquant dans ces différences de traitement, a été limogé. Quant à Artalyta Suryani, elle a été transférée dans une autre prison où elle doit maintenant partager une modeste cellule avec deux autres détenues. Il paraît même, selon les journaux, qu’elle refuse de se nourrir depuis qu’elle est revenue au même régime alimentaire que les autres. Il y a cependant fort à parier que dès le soufflet médiatique retombé, elle pourra essayer de retrouver son canapé en cuir et sa cuisinière.
Avec les gros poissons de la corruption, l’autre catégorie de prisonniers pouvant s’offrir de tels services sont les dealers de drogue. L’un d’eux, d’origine nigériane, expliquait il y a peu dans le Jakarta Post qu’il était même beaucoup plus sûr pour lui de continuer à s’occuper de ses affaires de l’intérieur de la prison. Ou quand un lieu punitif devient résidence protégée… Pour mémoire, rappelons également l’arrestation en octobre 2007 de Muhamad Sudrajat, alors chef de la sécurité de la prison de Kerobokan, à Bali. Les inspecteurs de police de l’île avaient expliqué candidement que « la prison était devenue le QG d’un véritable trafic », un état de fait pourtant de notoriété publique. Concrètement, les murs de l’établissement abritaient ni plus ni moins un laboratoire et la revente s’organisait de l’intérieur vers l’extérieur… Au moment de son arrestation à son domicile, le chef de la sécurité avait tenté de mettre fin à ses jours avec une arme blanche.
Menées dans le cadre de l’opération « Eradication de la mafia de la justice » lancée par le président SBY au début de son nouveau mandat, ces visites surprises ont fait couler beaucoup d’encre. L’occasion de crever l’abcès ? L’ensemble de la classe politique a feint de découvrir ces inégalités et ces traitements de faveur car bien évidemment, comme tous les Indonésiens, ils connaissaient parfaitement ce « rahasia umum », ou secret de polichinelle, concernant le fonctionnement des prisons du pays.
A La Gazette de Bali, nous avions eu il y a deux ans la rare opportunité de nous rendre à Cipinang (cf. La Gazette de Bali n°37 – juin 2008), la plus célèbre et la plus sécurisée des prisons indonésiennes, sise dans l’Est de Jakarta. Nous préparions là-bas un article sur des cours de droit dispensés à l’intérieur des murs. L’occasion de discuter avec plusieurs détenus, dont Sihol Manullang, à l’origine de cette initiative louable. Voilà ce que nous écrivions : « Au cours de l’heure passée à échanger avec lui, et bien qu’un employé de la prison soit resté avec nous en permanence, Sihol fait usage de son téléphone portable en toute quiétude. Une autre particularité du milieu carcéral local. Un autre condamné, qui attend la peine de mort depuis dix ans pour un crime commis aux Etats-Unis, ne cache pas sa préférence pour une peine purgée en Indonésie. « La vie est finalement assez simple ici, affirme t-il dans un grand sourire. Vous pouvez plus ou moins obtenir tout ce que vous voulez, comme Internet ou la télévision. Vous n’avez ensuite qu’à demander l’addition à la fin du mois.»
Rien de bien nouveau sous le soleil donc. Beaucoup se souviennent des photos de Tommy Suharto sirotant un café à la terrasse d’un Starbucks. Le fils de l’ancien dictateur purgeait alors une peine de prison pour avoir commandité le meurtre d’un juge de la Cour Suprême qui avait osé le condamner dans une des nombreuses affaires dont il faisait l’objet à l’époque. Rappelons enfin que sur les 15 ans de prison prononcés dans la sentence, qui ont été réduits à 10 par la suite, Tommy n’en a réellement effectué que… 4. L’Indonésie vient donc de découvrir officiellement que la vie qu’elle propose en prison est exactement la même qu’en dehors : tout peut s’acheter et tout à un prix. Gageons que malgré la valse de quelques têtes et l’installation de quelques caméras de vidéo surveillance dans un souci de contenter l’opinion publique, le fonctionnement actuel ne devrait pas s’en retrouver trop affecté. Et si le gouvernement veut véritablement s’attaquer aux injustices au sein de ses prisons, peut-être devrait-il commencer par se pencher sur l’état de celles-ci, le nombre de places disponibles en cellule ainsi que sur la formation et les salaires du personnel.