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Des apparts pour les étrangers ou la logique du jual mahal

Ca y est, l’idée est revenue sur le tapis, en plein dans un ralentissement sans précédent de la croissance du pays et au milieu de la panne des investissements dans les infrastructures pourtant promises par le président, le gouvernement s’apprête à autoriser l’accession à la propriété pour les étrangers. Attention ! Ne nous réjouissons pas trop vite. Il ne s’agit pas là d’ouvrir le marché foncier au reste du monde pour s’étalonner sur les standards internationaux, ni d’autoriser enfin l’achat d’un foyer aux couples mixtes dont l’époux indonésien a perdu ses droits à posséder un toit à son nom, ni même encore de copier la Thaïlande, la Malaisie ou la Chine qui autorisent l’achat étranger de maisons ou d’appartements sous certaines conditions. Non, nous sommes en Indonésie, ne l’oublions pas, et les décideurs se sont donc manifestés avec une idée bien « indonésienne ».

Il s’agirait de vendre aux étrangers des appartements dits « de luxe » dans des condominiums qui leur seraient réservés à Jakarta, Bali, Surabaya ou ailleurs, à un prix spécial bien au-dessus du marché sur lesquels seraient instituées des taxes spéciales, elles aussi bien au-dessus des critères retenus habituellement. Ah bon… Cela n’est pas encore décidé exactement, mais le ticket d’entrée au bonheur foncier dans l’Archipel serait d’au moins 5 milliards de roupies minimum pour le détenteur d’un passeport étranger. « Nous saluons l’ouverture du marché immobilier pour les étrangers. L’impact potentiel est énorme : les développeurs vont en bénéficier et notre économie va croître  », a estimé avec beaucoup d’optimisme Syarif Burhanuddin, ministre des Travaux publics et du Logement, dans Business News.

« Si le gouvernement ouvre ce marché aux étrangers, cela lui profitera car il pourra obtenir plus de rentrées en impôts et le marché immobilier va devenir plus attractif », a affirmé pour sa part sur Bloomberg Anton Sitorus, de la société de développement immobilier Jones Lang Lasalle Inc. Setyo Maharso, un des conseillers du président, a lui fourni l’explication suivante : « Les étrangers achètent déjà des maisons en utilisant leur conjoint indonésien (ndlr. Illégalement car cela est interdit) et l’Indonésie perd ainsi des revenus de leur part. (C’est pourquoi) nous allons autoriser les étrangers à acheter des appartements, pas des maisons ou des terrains, dans certains endroits comme les zones industrielles et touristiques. » L’idée n’est pas nouvelle, déjà fin 2005, alors que le lobby des promoteurs pressaient les députés pour qu’ils changent la loi qui interdit la propriété foncière aux étrangers, nous écrivions dans un article du numéro 8 de la Gazette intitulé « Des appartements en or massif » : « Notons au passage qu’il n’est pas question de posséder la terre, sujet qui reste tabou, ni même une maison, juste cette propriété un peu immatérielle d’un appartement perché dans les étages du condominium pour étrangers. Et à un prix prohibitif.  »

5 milliards de roupies le ticket d’entrée, c’est trop ?

Dix ans après, la même idée, qui consiste à prendre les étrangers ouvertement pour des vaches à lait, refait surface sans que personne n’ait la finesse de déguiser le projet sous des atours plus présentables, ou au moins, plus séduisants en terme d’opportunités et d’investissement. Les gouvernants et autres décideurs indonésiens ont décidément de gros progrès à faire en communication et marketing… Loin de nous l’idée de contester la loi qui interdit la propriété aux étrangers, les Indonésiens sont souverains chez eux et nous comprenons le traumatisme de la colonisation, même si nous aimerions que la situation des couples mixtes sur ce dossier soit reconsidérée. Non, ce qui cloche, c’est d’affirmer des principes avec un certain entêtement mais de finalement revenir dessus pour une contrepartie sonnante et trébuchante… Jual mahal donc.

La communication indonésienne sur ce dossier est si mauvaise que dans The Establishment Post, on s’interroge sur la logique de cette « ouverture » du marché immobilier indonésien avec le titre
suivant : « La barrière de la propriété indonésienne s’ouvre aux étrangers, mais y-a-t-il un piège ? » Et plus loin : « Est-ce que 5 milliards, c’est trop ? Les étrangers en Indonésie sont satisfaits de cette nouvelle politique mais pourraient être décontenancés par le prix plancher supposé de 5 milliards de roupies. » Il reste toutefois à définir si les « étrangers en Indonésie » sont vraiment satisfaits de cette mesure… D’ailleurs, The Establishment Post s’est livré à un petit micro-trottoir. Témoignage d’un étranger travaillant en Indonésie : « Je crois que c’est un peu élevé. La plupart des étrangers d’ici ne sont pas très riches. Ils sont plus riches que l’Indonésien moyen mais pas plus riches que les riches Indonésiens. Ils sont ici pour travailler. Et seront-ils autorisés à emprunter pour acheter l’appartement ? Si non, alors, ça fait pas mal d’argent pour des gens qui travaillent. » Eh oui, les gens qui travaillent ont le sens des réalités et de la valeur des choses. En est-il de même pour les « riches Indonésiens » ?

Double tarification officielle dans l’immobilier

Dans le projet abandonné il y a dix ans, le prix de ces appartements pour étrangers devait se situer entre 1 et 2 milliards de roupies. C’est bien connu, tout augmente ! Surtout dans l’immobilier ! Notons que cette idée avait fait suite, à quelques semaines d’intervalle, à une autre qui proposaient de « vendre » aux étrangers non pas des appartements mais les femmes indonésiennes ! La Cour suprême du pays avait en effet suggéré de modifier la loi sur le mariage entre étrangers et Indonésiennes avec un amendement qui aurait obligé le fiancé à déposer la somme de 50 000 dollars à la Banque d’Indonésie en préalable au mariage (cf. La Gazette de Bali n°6 – novembre 2005). Une question se pose alors : qu’est-ce que l’Indonésie pourrait-elle encore vendre de très cher (jual mahal) aux étrangers pour venir au secours de son économie défaillante ? L’Archipel se retrouve une fois encore pris au piège de son incompréhension du monde extérieur et de la logique qui y prévaut. Une logique qui lui reste… étrangère à force de l’avoir obstinément ignorée sous couvert de nationalisme forcené et de repli sur soi.

Il existait déjà une double tarification dans de nombreux sites touristiques et autres musées, il se peut donc qu’il en existe une autre bientôt dans l’immobilier. Difficile par conséquent de saluer cette « ouverture » du marché, comme l’on fait tous ceux qui espèrent en profiter – du gouvernement aux promoteurs immobiliers – comme une avancée sur un quelconque terrain du droit des personnes ou des valeurs humaines qui dépasseraient les frontières. Enfin, sur un terrain plus local encore, posons la question de savoir si la vente de ces appartements en or massif viendra au secours du marché immobilier de Bali actuellement au point mort, comme l’a remarqué le journal Bisnis Bali. Les arrestations à répétition d’investisseurs opérant à Bali par la commission anti-corruption (KPK) et la supervision de plus en plus serrée des transactions financières sur l’île ont eu pour conséquence directe un affaiblissement significatif du marché cette année.

Transactions en chute de 75% à Bali

Après ce retour à la réalité, qui prouve bien que le marché était entretenu artificiellement par le blanchiment d’argent sale local, une question se pose naturellement : la bulle immobilière aurait-elle explosé à Bali ? Alors que beaucoup d’acteurs de ce marché sont pour l’instant dans le déni, d’autres n’hésitent pas à affirmer que le secteur est carrément en chute de 75% depuis le début de l’année. Dewa Putu Selawa, ancien président de la branche balinaise de l’association de l’immobilier indonésien (REI) affirme que les transactions au-dessus de 500 millions de roupies sont « léthargiques » et que les demeures étiquetées au-delà d’un milliard de roupies sont devenues « difficiles à vendre ». Selawa, directeur de Sepa Karya Buana, une société de développement immobilier, explique pour sa part que la circulation d’argent liquide à Bali a décliné de « façon dramatique » depuis le début de l’année et l’arrestation de nombreux investisseurs. Le marché est donc en… chute libre.

Et c’est à ces étrangers, qu’on a accusés sans cesse depuis des années d’avoir bétonné Bali et aussi d’avoir fait monter les prix artificiellement, qu’on s’adresserait maintenant pour relancer ce secteur économique ? Et de cette façon si indélicate, pour ne pas dire vulgaire. Bien, alors, concluons avec un peu d’humour caustique… Oui, il faut bien dire qu’au niveau où se trouve la devise indonésienne aujourd’hui en raison de l’inefficacité de la politique économique gouvernementale, 5 milliards de roupies, ce n’est pas si cher que ça, non ? Pour ce prix-là, que peut-on acheter à Londres, Tokyo ou Paris ? Et même chez les concurrents directs, à Bangkok, Shanghai ou Kuala Lumpur ? Un pauv’ petit F3 au mieux. Alors qu’ici, on aura droit à un appartement de luxe. Jual mahal, mais pas tant que ça en fait !

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