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Corinne Breuzé : nos ambitions sont grandes en Indonésie

La Gazette de Bali : Madame l’Ambassadeur, tout d’abord, comment se sont passés vos premiers mois en Indonésie, depuis votre prise de fonctions ? La vie à Jakarta a du bon ?
Corinne Breuzé : D’abord l’accueil a été excellent, très chaleureux, très agréable – manifestement l’ambassade de France est bienvenue. C’est toujours agréable de débarquer dans un pays totalement inconnu – puisque c’est ma première affectation en Asie – où on se sent attendu. La vie à Jakarta a certainement des tas de côtés agréables ; c’est difficile de les trouver au début. […] Donc c’est une habitude à prendre mais au-delà de ça c’est extrêmement agréable d’être en Asie du Sud-est, d’être en Indonésie et d’être à Jakarta.

LGdB : Vous étiez familière de la région avant de venir en tant qu’ambassadeur ?
C B : Pas du tout ! Le pays le plus asiatique que je connaissais, c’était Oman. Donc vous imaginez qu’il me manquait encore une grande partie du monde à connaître. C’est mon premier séjour et ma première affectation en Asie du Sud-est.

LGdB : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs et nous faire un résumé de votre carrière ?
C B : Je suis diplomate depuis 1984. J’ai fait toute ma carrière dans la diplomatie et je ne sais faire que ça d’ailleurs. J’ai fait beaucoup de cabinets ministériels et pas mal d’affectations à l’étranger puisque j’ai été en poste en Lybie, à Tripoli, en Italie, à Rome, au Brésil, à Brasilia, au Maroc, à Casablanca, à Koweït – c’était mon premier poste d’ambassadeur – et en Jordanie qui était mon deuxième poste et d’où je viens directement. J’ai fait des études de lettres et des études d’arabe à la Sorbonne.

LGdB : Après la Jordanie, votre poste en Indonésie va sans doute vous paraître plus tranquille ?
C B : Il me semble très exotique déjà, avec des problématiques extrêmement différentes de celles que j’avais connues dans mes deux affectations précédentes et notamment en Jordanie où c’étaient surtout les crises politiques qui dominaient la scène, et la crise syrienne. En revanche, dans un pays assez peu gâté en ressources naturelles et qui est un pays très pauvre, les affaires économiques étaient beaucoup moins présentes ; même si les relations bilatérales sont très importantes. Donc ici, c’est plutôt un pays à dominante économique et ça me convient très bien – c’était le cas de mes précédentes affectations au Maroc et au Koweït et je trouve que c’est très enthousiasmant. Et ça l’est d’autant plus qu’on a le sentiment que la France a été relativement absente depuis une quinzaine d’années, depuis la crise de 1998.

LGdB : Oui, justement, pour différentes raisons, le poste que vous occupez a été un peu laissé à l’abandon ces dernières années. Allez-vous poser vous aussi, comme votre prédécesseur Philippe Zeller en 2009, ce « regard d’ambition » sur l’Archipel et reprendre le fil d’une nouvelle relation interrompue entre les deux pays ?
C B : « Poste laissé à l’abandon », je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous ; le terme est un peu fort. C’est vrai que, malheureusement, le poste de Jakarta et l’Indonésie dans son ensemble a pâti de mauvais concours de circonstances successifs. Mais qui, j’en conviens, reflète aussi le fait que l’Indonésie a été négligée et qu’elle paraissait sans doute loin. Et qu’elle pâtissait elle-même de l’image relativement mauvaise qu’elle avait diffusée dans les années 1998-début des années 2000, au moment de la crise asiatique et de la crise ici à la chute de Soeharto. Je pense aussi qu’en France, que ce soit dans nos entreprises – pas toutes bien sûr, on y reviendra, mais dans un certain nombre – et auprès de nos dirigeants, on est resté pendant longtemps sur des schémas qui étaient anciens et totalement obsolètes sur l’Indonésie. […] Philippe Zeller a lui aussi porté ce « regard d’ambition » sur l’Indonésie et je pense que le fait que de grandes entreprises françaises aient mis l’Indonésie au-devant de leurs priorités va aider à ce que ce pays vienne aussi au-devant des priorités des autorités françaises. Et c’est le cas puisque Mme Bricq (ndlr : ministre du Commerce extérieur) est venue avec une grosse délégation d’entreprises au début du mois de juin, on a Laurent Fabius qui vient avec une délégation d’entreprises aussi début août, nous devrions avoir à l’automne Mme Hélène Conway-Mouret qui est la ministre des Français de l’étranger, et puis bien évidemment un projet de visite présidentielle […].

LGdB : Avant Philippe Zeller, Renaud Vignal, qui avait pris ses fonctions en 2002, s’était dit « frappé par l’insuffisance de la présence française » en Indonésie, « si peu de moyens, si peu de crédits pour un si grand pays », avait-il dit dans la Gazette. Plus de dix ans après, faites-vous le même constat ?
C B : Alors, c’est vrai qu’on n’a encore pas vraiment beaucoup de moyens, en revanche ce qui est sûr c’est que notre pays lui-même traverse une crise difficile, que les moyens sont en diminution partout mais sur l’Indonésie en moindre diminution par rapport à d’autres pays. Donc, on a maintenant pris conscience que, certes on doit serrer les boulons partout, mais que sur l’Indonésie, il faut peut-être les serrer moins qu’ailleurs. […] Comme nos ambitions sont grandes, nos moyens vont-ils suffire pour servir nos ambitions ? Ça va être mon travail, je vais m’y atteler avec l’aide de la communauté française résidente et future résidente en Indonésie. C’est vrai que le pays est gigantesque et là encore je pense que la perception de l’Indonésie en France est fausse […], on regarde le pays déjà sur la carte et on ne voit qu’une seule île – Java. Sans se rendre compte que l’Indonésie, c’est en termes géographiques, l’équivalent de Reykjavik à Moscou, […]. Et j’ai l’intime conviction que c’est une perception que l’on n’a pas en France. Il y a bien sûr des raisons historiques mais je pense que c’est aussi notre façon de voir l’Asie, notre prisme. […].

LGdB : La visite de François Fillon en 2011, alors Premier ministre, avait incontestablement redynamisé cette relation, notamment en stimulant les échanges commerciaux qui sont plutôt modestes. Où en sommes-nous exactement deux ans après ?
C B : C’est vrai qu’en 2011, l’Indonésie avait déjà fait l’objet de l’attention des pouvoirs publics puisque François Fillon était venu – après la visite de Mme Lagarde d’ailleurs – signer ce partenariat stratégique qui était le premier partenariat que la France signait avec un des dix pays de l’ASEAN ; […]. C’est vrai que cet intérêt a été un peu mis en sommeil mais ça tient aussi au fait que – on l’a dit tout à l’heure – pour des circonstances malheureuses, il y a eu une succession de vides à l’ambassade à Jakarta et qu’il a été peut-être plus difficile pour les équipes en place d’assurer un suivi cohérent de ce qui avait pu être décidé à l’occasion de la visite de François Fillon. Mais depuis un an, on a remis le train sur les rails, on a eu le dialogue stratégique en matière de défense qui a tenu sa première réunion cette année à Jakarta au début du mois d’avril, […]. Il faut aussi dire que l’Indonésie est très discrète en France, pour moi elle est trop discrète. […].

LGdB : La presse indonésienne affirme souvent que l’Indonésie a besoin de la France pour avoir ses entrées au sein de l’UE. La réciproque est-elle vraie, la France a-t-elle besoin de l’Indonésie pour ses relations avec l’ASEAN ?
C B : La France a ses entrées dans l’ASEAN. Je rappelle que la France a un représentant dans les dix pays de l’ASEAN – c’est un des seuls pays européens d’ailleurs. Je suis le deuxième ambassadeur auprès de l’ASEAN et j’ai rencontré le secrétaire général lundi dernier pour lui présenter ma lettre d’accréditation. Je pense que l’ASEAN, c’est une zone que l’on ne connaît pas trop mal, en revanche on connait mieux certains pays de l’ASEAN que d’autres et notamment ceux de la péninsule indochinoise. Donc, est-ce que la France a besoin de l’Indonésie pour pénétrer l’ASEAN ? Je ne crois pas, en revanche, elle ne peut pas l’ignorer pour y être présente. L’Indonésie c’est quand même 40% du PIB de l’ensemble des pays de l’ASEAN.

LGdB : Existe-t-il des partenariats culturels entre les deux pays ?
C B : Oui, on a beaucoup de partenariats culturels. On a d’abord quelques évènements majeurs, et notamment deux grandes saisons : le Printemps français ; […]. Et puis nous avons une deuxième saison importante qui est celle du cinéma et qui elle a lieu à la fin de l’année entre décembre et mi-janvier, […]. Dans un pays en forte croissance et avec une croissance de population aussi importante, notre partenariat culturel vise surtout à attirer les jeunes. Et nous avons au-delà du partenariat culturel, un partenariat académique universitaire important : nous avons plus d’une centaine d’accords universitaires entre les universités françaises et indonésiennes, nous avons eu, en 2012, 440 visas pour études, soit sept fois plus que trois ans plus tôt. Et on a trois centres de recherche, dont deux centres de recherche scientifique, le Cirad (ndlr : Centre de coopération internationale en recherche agronomique) et l’IRD (Institut de recherche pour le développement) qui travaillent sur la recherche et le développement et la relation entre recherche et entreprise, et puis l’Ecole française d’Extrême-Orient présente à Jakarta et qui continue de réunir des chercheurs.

LGdB : A quand une visite de François Hollande ?
C B : Je sais de source très proche que l’Indonésie est à son agenda. Quant à savoir s’il viendra sous le mandat du président Yudhoyono ou s’il attendra le mandat du prochain président, je pense que ça va aussi dépendre des sujets de politique intérieure française, et de savoir si le président a le loisir de se déplacer aussi loin pendant suffisamment de temps. Parce que se déplacer en Indonésie – c’est comme il l’a fait en Chine, au Japon ou en Inde – c’est se déplacer plusieurs jours, mais ce dont je suis sûre, c’est que pendant le mandat du président Hollande, il y aura une visite en Indonésie. […].

LGdB : A défaut de l’implantation d’un consulat de plein droit à Bali, le consul en poste à Jakarta se rend désormais régulièrement à Bali pour faciliter les démarches administratives des résidents français. Est-il prévu d’améliorer encore les services à nos ressortissants ?
C B : C’est vrai que Bali n’a pas pu bénéficier d’un consulat de plein exercice, pour des raisons qui tiennent notamment aux difficultés budgétaires que connaît l’Etat français ; ce n’est pas spécifique à Bali. On a malgré tout désigné une consule honoraire qui est maintenant reconnue par les autorités indonésiennes donc qui peut vraiment exercer la plénitude de ces pouvoirs. C’est un point extrêmement positif. […] Et puis, comme vous l’avez rappelé, on a aujourd’hui des moyens techniques à notre disposition, notamment cette fameuse valise qui permet – lorsque qu’elle fonctionne, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas – de rendre des services notamment pour les passeports et les cartes d’identité aux Français et bien évidemment le consul qui va succéder à l’actuel aura pour instruction très claire de se rendre au moins une fois par trimestre à Bali. […] Et puis les Français sont aussi suivis par l’Ecole française : je rappelle que l’on a une commission des bourses, que la directrice de l’Ecole française à ce titre se déplace deux fois par an à Jakarta, et qu’à chaque fois qu’elle le peut, elle fait elle aussi remonter les informations dont elle dispose sur les éventuelles familles françaises en difficulté à Bali. Et puis nous avons aussi créé un comité de sécurité à Bali, nous avons trouvé des chefs d’îlots que l’on a doté de radios, donc ça c’est encore un nouvel élément en faveur de la communauté française de Bali ; que nous sommes loin de négliger puisque c’est la communauté française la plus importante après Jakarta en nombre enregistré, mais probablement bien supérieure en comptant les non-enregistrés.

LGdB : Concernant nos ressortissants en prison – les quelques uns qu’il y a à Java ou à Bali, ce sont des sujets encore conflictuels dans les relations franco-indonésiennes ? Pourrait-il y avoir une issue favorable au sort de Serge Atlaoui, condamné à mort, par exemple ?
C B : Les Français détenus sont toujours un sujet de préoccupation, notamment lorsque c’est le cas de condamnés à mort comme Serge Atlaoui. La France, elle, continue de réaffirmer son opposition formelle à la peine de mort, quelles que soient les circonstances et quels que soient les lieux. C’est un sujet que l’on aborde extrêmement régulièrement avec les autorités indonésiennes et je pense que le ministre ne manquera pas de le faire. Ceci dit, il y a une justice en Indonésie et il lui appartient de juger les ressortissants étrangers comme elle juge les ressortissants indonésiens, donc ce qui nous importe c’est qu’il n’y ait pas de discrimination dans le traitement de nos ressortissants par rapport aux locaux. […] Et on entretient bien évidemment des liens avec eux, leur famille, leurs proches et leurs défenseurs et on les suit de très près. Et nous suivons le cas de Serge Atlaoui de très près. […].

LGdB : Pour conclure, un message à nos lecteurs ?
C B : La France porte un intérêt tout particulier à l’Indonésie, aux Français d’Indonésie, aux Français qui œuvrent au bénéfice de la coopération et de la relation franco-indonésienne. Je suis à l’écoute de tous les Français de l’Indonésie mais beaucoup aux Français de Bali parce que vous êtes loin de la capitale et il faut être doublement attentif quand on est loin. Et je voudrais faire mentir l’adage français « loin des yeux, loin du cœur ». Donc je dirais « loin des yeux, près du cœur » aux Français de Bali.

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