Footballeur, danseur, designer, né au Cameroun, arrivé en France à 16 ans, il est bien difficile de classer cet homme à cheval sur plusieurs continents et aux multiples talents. Depuis 17 ans qu’il a découvert Sumbawa puis Bali, il crée des bijoux uniques mais aussi des vêtements au gré de ses rencontres et des commandes. Entretien enjoué avec un touche-à-tout de talent.
Votre histoire en Indonésie a commencé avec des coquilles de bulot trouvées sur la plage ?
Oui, en me promenant sur une plage de Sumbawa, j’ai trouvé des coquillages érodés qui avaient une forme de bague, ça m’a donné envie d’en faire des bijoux. J’étais à l’époque styliste pour Zara et Mango, j’ai même fait des stages chez Balmain après l’école Smode mais je ne m’étais encore jamais frotté aux bijoux. Avec des artisans bugis situés à deux heures de voiture sur des chemins bien cabossés, j’ai trouvé moyen de redonner une seconde vie à ces bulots en en faisant des bagues uniques que j’ai présentées dans une boîte comme des escargots au chocolat. Elles ont d’abord été vendues sur l’île d’en face, Pulau Moyo, dans le luxueux resort Amanwana avant d’atterrir entre autres à Selfridges à Londres, chez Colette et à la boutique des Arts Décoratifs à Paris et même comme éléments de décor de vitrines chez Hermès à Paris.
Et après les bulots, vous avez continué avec d’autres coquillages pour faire des sacs uniques qu’on appelle des minaudières, vous pouvez nous expliquer ce que c’est ?
Une minaudière, c’est un petit sac très ouvragé pour le soir, souvent un véritable bijou. J’ai commencé à en faire avec des coquilles d’huitre, ils sont bien sûr tous uniques. Et après je suis passé à des bois précieux, de la loupe de teck et de sono (une sorte de palissandre). J’ai eu l’idée en voyant des chutes de bois qu’utilise mon partenaire Jérôme Abel Seguin pour ses designs de meubles. C’est toute l’histoire de ma vie de redonner une seconde vie aux choses, pas seulement parce qu’en Afrique on recycle beaucoup. Ca remonte sans doute à ma naissance, j’étais mort-né mais je me suis accroché et maintenant je crée des minaudières, et les femmes adorent mon travail (rires).
Qu’est ce qui a changé avec le temps dans votre travail ? Vous créez plus vite qu’avant ?
Non au contraire, je mets de plus en plus de temps, de plus en plus dans la perfection, la fluidité. J’essaie de me mettre à la place de ma cliente qui arrive à un cocktail avec sa minaudière à la main, qui saisit une coupe de champagne, qui ne sait plus comment saluer les gens parce que ses mains sont occupées. Alors j’ai fini par glisser une petite chaîne bien camouflée pour qu’elle puisse la porter en bandoulière.
Sans les artisans indonésiens, vous n’auriez rien pu faire ?
Il y a une alchimie qui doit se créer avec les artisans. Ça commence souvent par un tidak bisa [pas possible] si on ne considère pas l’artisan. Il faut être patient et se mettre à sa place. Dès mes débuts, j’ai su comment leur parler et nous avons obtenu des résultats extraordinaires parce qu’ils sont vraiment doués. Entre autres, je n’utilise pas de vernis, toutes mes pièces ont ce merveilleux aspect grâce à un très patient polissage. Je leur fais aussi réaliser des anneaux en bois si fins, de l’ordre de 3 mn, qu’on croirait qu’ils sont en matière plastique.
Qu’est -ce qui fait la qualité d’un bijou selon vous ?
Son caractère unique entre autres. Pour ma part, j’aime bien qu’on joue avec les bijoux et en fonction de l’heure du jour et de ses envies. On est au bureau, on reçoit une invitation pour boire un verre et du coup, on transforme un sautoir en ceinture ou en bracelet. Je n’aime pas les trucs trop figés sans doute en raison de mes origines. Ado, j’étais à la fois footballeur et danseur, c’est pour ça que je suis venu à Paris pour essayer de faire carrière, mes deux passions étaient antinomiques et finalement, je suis passé à autre chose, on s’adapte et il en va de même des objets protéiformes.
A présent, vous vivez à Bali une partie de l’année…
Oui, je ne me sens pas dépaysé par rapport au Cameroun de mes origines, je suis même très inspiré par la spiritualité à Bali. Ici comme en Afrique, on parle aux ancêtres, on déterre les morts mais je n’ai pas peur des esprits que je sens un peu partout. Ici, si on ne met pas son âme, rien ne se passe. L’île t’accepte ou te rejette.
Est-ce que les gens vous classent comme un créateur africain installé à Bali ?
Ca me dérangerait s’il n’y avait que des femmes africaines qui portaient mes bijoux. Je me sens africain mais j’ai une culture occidentale du design poussée, j’ai beaucoup travaillé à Paris malgré son manque d’humanité. C’est vrai que je crée une partie de l’année à Bali et je vis une autre partie de l’année à Bordeaux, le reste du temps, je voyage. Je fais aussi du consulting, entre autres une mission qui a duré trois ans en Egypte pour gommer tout ce qui pouvait être trop ethnique sur des lignes d’artisanat et ça a été très productif et fructueux.
Et vous continuez à créer des vêtements ?
J’ai parfois des commandes pour des hôtels ou des entreprises. J’apporte un soin particulier au confort intérieur du vêtement parce qu’il est en contact direct avec notre corps. Je me suis amusé un moment à faire des chemises qui ne se fermaient intégralement qu’avec des boutons de manchettes, ça permettait d’intégrer le bijou dans le vêtement, j’aime vraiment les bijoux.
Si vous deviez donner un conseil à de jeunes créateurs ?
Ne jamais regarder Pinterest, ça coupe les ailes de l’imagination (rires). Venir en Indonésie parce qu’il y a vraiment des artisans hors du commun et ça fait toute la différence avec les produits réalisés avec des machines, si parfaits soit-il. Prendre le temps d’observer la nature, tout est là.
Propos recueillis par Socrate Georgiades
FB : christiangraciel
En vente à Bali à Namu, Jl. Petitenget