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CHANEE : DES ILOTS DE VIE SAUVAGE DANS UN OCEAN DE PLANTATIONS

Les lecteurs de la Gazette de Bali suivent depuis 2009 les tribulations de Chanee, le défenseur de la faune indonésienne à Kalimantan et Sumatra à travers sa fondation Kalaweit. Aurélien Brulé de son vrai nom, naturalisé indonésien il y a quelques années, mène un combat unique au monde pour la préservation et la réintroduction des gibbons dans leur habitat naturel. Dans un pays qui connait le plus fort taux de déforestation au monde, on imagine que le combat est celui de David contre Goliath, et qu’il est sans répit. Voici quelques nouvelles d’un vrai aventurier, devenu également présentateur globe-trotter d’un programme animalier à la télévision française. 

La Gazette de Bali : Depuis notre dernière interview en 2014, quoi de neuf sur le front des gibbons ?
Chanee : Plutôt des bonnes nouvelles. Nous continuons à acheter des terrains pour réintroduire les gibbons de notre centre de réhabilitation. A l’heure actuelle, nous sommes déjà propriétaires de 485ha et nous passerons la barre des 500 avant la fin de l’année. Les promesses de dons à l’association Kalaweit présentent actuellement un volume supérieur à notre vitesse d’acquisition de forêts, nous possédons deux sites à Bornéo et un à Sumatra.

LGdB : Peux-tu nous rappeler pourquoi ton association est devenue propriétaire de forêts ?
C : Les gibbons sont des animaux territoriaux, une famille a besoin de 15ha pour vivre. S’il y a des intrus, les gibbons s’entretuent. Nous cherchons donc constamment des espaces vides pour réintroduire nos gibbons, nous en avons plus de 300 en captivité actuellement. Or, il nous faut des forêts vides et il n’y en a plus, elles disparaissent au profit des plantations de palmiers à huile. Donc la seule solution que nous avons trouvée, c’est d’acheter des forêts pour pouvoir y réintroduire nos animaux, c’est un peu une mise sous cloche de la vie sauvage au milieu d’un océan de plantations. Nous avons relâché 4 familles de siamang (ndlr. des gibbons noirs) en 2016, mais c’est bien peu par rapport à tous les animaux que nous avons recueillis l’an passé à cause de la déforestation.

LGdB : Et vous surveillez vos espaces pour vous assurer qu’il n’y aura pas de braconnage ?
C : Oui, bien sûr. C’est une vraie logistique que nous mettons en place pour protéger nos propres réserves avec des patrouilles équestres. Il y a d’abord le braconnage, y compris les oiseaux qui sont attrapés avec des pièges à glu mais aussi la coupe illégale des arbres. Je mène aussi des patrouilles aériennes en paramoteur.

LGdB : Et il t’arrive aussi de relâcher les gibbons au cœur des plantations de palmiers à huile ?
C : Oui, les accords internationaux obligent les compagnies à maintenir des îlots de vie sauvage. Alors, on leur donne bonne conscience. Nous avons relâché par exemple quelques animaux dans un îlot de 1000ha niché au cœur d’une plantation de 25 000ha !

LGdB : Donc, tu nous confirmes malheureusement que les plantations continuent à s’étendre ?
C : Oui, c’est un fait. Le président Jokowi a envoyé de bons signaux en mettant un moratoire sur la déforestation mais nul ne sait combien de permis ont été accordés auparavant et pas encore activés. Et la ruse, c’est que le moratoire sur les tourbières concerne les compagnies mais pas les propriétaires privés. Donc, si on est un particulier, on a le droit de faire de l’huile de palme sur des zones de tourbières même si nul n’est dupe que c’est la compagnie voisine qui va presser la récolte pour obtenir la précieuse huile.

LGdB : C’est pour ça que les incendies de 2015 ont dégagé autant de fumées ?
C : Oui, entre autres. Ce sont les propriétaires privés qui ont profité de la sécheresse provoquée par El Nino pour brûler leurs tourbières. Une semaine après la fin de l’incendie, les espaces étaient déjà plantés avec des palmiers ! Entre un million et un million et demi d’hectares ont été perdus, des zones vierges ont brûlé ou d’autres ont rebrûlé. Une catastrophe pour la Terre entière, pas seulement pour les Indonésiens.

LGdB : Tu as poussé un coup de gueule à ce moment-là ? (ndlr-voir vidéo en bas de page)
C : Outre le problème environnemental, c’était pour nous, qui vivions au milieu des incendies, un problème de santé publique. Mes enfants ont été malades comme tous les enfants à cette époque. Alors je me suis énervé, j’ai pris ma caméra et j’ai interpellé le président Jokowi, en employant un ton direct et véhément… et j’ai mis mon message en ligne sur Youtube. Au bout d’une heure, il y avait 400 vues et le lendemain matin, 40 000, l’effet avait été amplifié par d’autres médias sociaux qui l’avaient relayé. Les chaines d’info m’appellent, certaines débarquent chez moi. Et la ministre des Forêts me convoque à Jakarta 48h plus tard mais ne me reçoit pas en personne. Pas de pression directe mais je comprends que je dois faire attention. Au moment de passer à l’antenne pour une émission de télé, je reçois un coup de fil aussi de ses services qui m’annonce que la ministre me regarde ! La nature de mon action en Indonésie fait que je suis obligé de maintenir de bonnes relations avec les ministères et les officiels, sinon ce sont les gibbons qui en pâtiront !

LGdB : T’es-tu senti en danger ?
C : Ma maison est gardée depuis les premières menaces que j’ai reçues il y a des années mais disons qu’il y a eu à l’époque, une ambiance un peu inquiétante autour de chez moi. Parmi les milliers de messages reçus, certains m’annonçaient que ma tête était mise à prix dans l’industrie de l’huile de palme ! Les intérêts privés et publics sont croisés dans la mesure où tous les hauts fonctionnaires, ou leurs familles, possèdent des parts ou directement des compagnies qui exploitent cet or liquide.

LGdB : Est-ce que le gouvernement a pris des mesures pour que les incendies de 2015 ne se reproduisent plus ?
C : La chance du gouvernement, c’est qu’en 2016, La Nina a succédé à El Nino, donc il a plu. Le gouvernement s’est vanté que c’était grâce à son action que les incendies n’avaient pas repris. C’est vrai que la ministre a pris des mesures mais elles ont été limitées par les lois d’autonomie des provinces. Pas une seule compagnie n’a été condamnée pour les incendies, la ministre s’en est d’ailleurs indignée, mais tous les procès se sont tenus localement et tout le monde a été acquitté. Je vous donne rendez-vous lors du prochain El Nino qui devrait se produire en 2019 ou 2020, on verra à ce moment si les mesures gouvernementales auront porté leurs fruits.

LGdB : Outre tes activités multiples pour la défense des gibbons, tu continues encore à répandre la bonne parole à la radio et à la télé ?
C : Oui plus que jamais sur Radio Kalaweit que nous avons fondée pour sensibiliser la population à la cause de la nature. Et nous avons déjà fait deux saisons sur Métro TV, nous en négocions une troisième actuellement.

LGdB : Et on t’a vu aussi sur la télé française avec ta marraine Muriel Robin ?
C : C’était en mars dernier sur un prime time de 110mn sur les bonobos au Congo. Muriel est la marraine de l’association Kalaweit depuis toujours et devant notre duo qui a si bien fonctionné, France 3 nous a confié la présentation d’un autre numéro de « Sur la Terre ». Je reviens du Kenya où nous avons tourné ensemble cette émission sur les éléphants. C’est terrible de constater que si on mettait des casques bleus pour protéger les éléphants, ils ne seraient pas braconnés pour leur ivoire qui se revend 2000 euros le kilo et ça tarirait la source la plus importante de revenus des terroristes islamistes africains. Même si le sujet est grave, on a trouvé un ton léger tous les deux qui sait faire passer les infos tout en distrayant et c’est l’essentiel !

LGdB : Alors, on te quitte sur une note optimiste ?
C : Oui, je suis heureux en ce moment. Ces tournages aux quatre coins du monde me permettent de rencontrer d’autres ONG qui mènent elles aussi leur combat, ça resitue l’action de Kalaweit et je me sens moins seul.

Propos recueillis par Socrate Georgiades

www.kalaweit.org
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