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Cerf-volant : démesure dans le ciel de Padang Galak

A tout juste 33 ans, Kadek Dwi Armika est néanmoins un cerf-voliste sénior. Cela fait déjà 23 ans qu’il a concouru pour la première fois sur l’immense terrain de Padang Galak à Sanur. Et en fait, depuis 2004, année où il est devenu membre du jury qui décide des heureux vainqueurs qui vont emmener avec eux les très convoités trophées de cette compétition, il ne participe bien évidemment plus luimême.
Originaire de Sanur, architecte de profession, Kadek Dwi Armika a contracté la passion du cerf-volant dès le plus jeune âge comme tous les gamins d’ici. Et en 2010, comme pour couronner une carrière extraordinaire, accompagné du fondateur du festival de Sanur Nyoman Adnyana (cf. La Gazette de Bali n° 64 – septembre 2010), il a remporté le trophée de Dieppe, une ville du nord de la France qui accueille le plus important festival de cerfs-volants au monde.

Plus de 1000 de ces machines volantes sont attendues les 13, 14, 15 et 16 juillet prochain à Padang Galak. Ils viendront surtout de tout Bali pour se mesurer car, même si des équipes de Jakarta et Surabaya et quelques concurrents étrangers sont attendus, le festival de Sanur n’est plus aussi « international » qu’avant. « Avant, nous pouvions inviter des compétiteurs étrangers, mais aujourd’hui, c’est plus difficile financièrement car les budgets sont répartis entre un nombre grandissants d’événements à Bali et les fonds manquent », nous explique Kadek. Cela n’enlèvera rien au spectacle qui débute tous les jours à 10h30 et se termine à 18h00 avec en point d’orgue le dimanche 15 où pas moins de 400 participants vont se mesurer. Il y a trois juges par catégories qui se répartissent comme suit : trois traditionnelles et trois « nouvelles créations ».

<img3168|right> Les catégories traditionnelles sont de loin les plus prisées et se divisent entre les bebean, en forme de poisson, originaires de Denpasar, les janggan, en forme de dragon, originaires de Sanur, et les pecukan, en forme de feuille. Les couleurs utilisées correspondent à des codes bien précis, rouge pour symboliser la naissance, blanc pour la vie et noir pour la mort. Du jaune est quelquefois utilisé. Le mot layang-layang veut dire lettre en javanais ancien et comme les Balinais avaient l’habitude de faire voler leurs layang-layang à la fin des récolte, cela revêtait simplement la signification d’une « lettre » envoyée aux dieux pour leur dire que la récolte était terminée. Les trois autres catégories sont modernes et autorisent toutes sortes de formes, quelquefois farfelues. Elles se divisent aussi en trois genres, les plates, les 3-D et les mélangées plates/3-D.

Les plus grands engins ont 75 porteurs

Kadek Dwi Armika est le plus jeune des membres du jury, et de loin, la moyenne d’âge se situant plutôt vers la cinquantaine, tous sous la direction du responsable de la fédération Gusti Putu Rai Andayana. « Nous évaluons les prestations des concurrents en fonction de différents critères qui ont chacun leur coefficient. La construction compte pour 5% de la note finale, les couleurs pour 5% aussi, l’harmonie du vol (55%), la forme (15%), le son (10%) et la tension de la corde (10%) », précise-t-il. Les appareils sont inscrits par les banjar, même s’il y a quelques concurrents « privés » qui ont constitué leur propre équipe. Chaque banjar a un chef d’équipe et des compétiteurs dédiés qui vont porter et faire voler l’engin, leur nombre est bien entendu variable en fonction du poids du cerf-volant et de l’enthousiasme qu’ils suscitent dans leur communauté. Il n’est donc pas rare de voir une centaine de personnes s’affairer sous un cerf-volant auxquels il faut rajouter un orchestre de gamelan qui accompagne le vol de sa musique.

<img3169|left> Ces appareils vont de 4 m d’envergure pour les plus petits à des mastodontes de plus de 20 m de long et 12 m de large qui traînent une queue de… 250 m ! Il faut pas moins de 75 personnes pour porter un modèle de ce type et 300 autres pour tirer la corde qui va le faire s’élever dans les cieux. La majorité des modèles présentés ont cependant des mensurations plus modestes, 6 m d’envergure seulement… Et quelques 9 m aussi. A titre d’indication, la corde pour tirer un 9 m fait dans les 700 m de long. « En compétition, il ne faut pas voler trop haut, 500 m maximum », explique Kadek Dwi Armika. Un modèle de 4 m se construit en une semaine et il faudra trois semaines pour un géant de 12 m. Les meilleurs équipes, qui ont aussi de l’expérience dans la fabrication, ne perdront donc pas trop de temps en vols d’essai et se focaliseront sur leur entraînement et leur coordination. « Etre prêts deux mois avant la compétition est largement suffisant », poursuit-il. Si un petit cerf-volant ne coûte que dans les 4 millions de roupies en moyenne au banjar qui veut que ses plus jeunes membres s’initient aux joies de la compétition, il leur faudra compter jusqu’à 70 millions pour les plus sophistiquées de ces machines volantes taillées pour la gagne. Toutefois, et là nous sommes bien à Bali, ce n’est pas la technologie qui coûte cher mais l’artisanat, notamment la tête de dragon sculpté d’un janggan par exemple qui requerra une part importante du budget de fabrication. Et il ne faudra pas compter sur les prix distribués pour refaire son budget pour l’année prochaine, la meilleure prime au vainqueur n’ est que de troi s millions de roupies. Les coûts sont donc pris en charge par la communauté afin de permettre aux jeunes (et moins jeunes) de concourir. Ils se réunissent sous le bale de leur village pour construire leur cerf-volant quelques semaines avant la date fatidique et procèdent à quelques essais.

Vétéran à 23 ans

Kadek Dwi Armika nous propose justement de rencontrer des membres de l’équipe de Danginpeken, dans l e vil l age d’ Intaran à Sanur. Ce sont de grands compétiteurs, plusieurs fois vainqueurs de la coupe et ils décrochent pour nous un janggan de 6 m d’ enver g ure pendu au plafond du bale. « Celui-ci, c’est l e modèle que nous avions construit l’an passé, nous allons le réutiliser cette année mais nous sommes en train de terminer un modèle plus grand (8 m) afin de nous battre pour la victoire », explique le capitaine de l’équi pe Wayan Sumerta. En effet, sur le côté de ce grand préau luxueux du cœur de Sanur, se trouve la bête sur laquelle se porte tous leurs espoirs. Pas encore terminé, le cerf-volant a toutefois fort belle allure. Traditionnellement fait en bambou, celui-ci a cependant une partie de sa structure en aluminium, recouverte de lamelles de bambous il est vrai, pour se conformer au règlement comme nous l’explique Wayan Sumerta. C’est la queue qui sera la plus longue à fabriquer, pas moins d’un mois à cause de sa longueur, continue dans un sourire ce vétéran de 23 ans qui a fait ses débuts en 1998, à l’âge de 9 ans.

<img3170|left> S’il y a de nombreux festivals de cerfsvolants à travers le monde, celui de Bali est néanmoins unique pour son atmosphère et le spectacle proposé. Dans une tempête de poussière soulevée par ces milliers de personnes, concurrents et spectateurs, des séries de 20 à 30 cerfs-volants soutenues chacun par des dizaines, voire des centaines d’équipiers, s’élèvent dans le ciel de Sanur dans le son obsédant d’autant de gamelans. A l’évidence, de quoi surprendre les plus blasés. Et si le festival de Dieppe est bien le plus important au monde, reconnaissons que celui de Bali est sans aucun doute le plus spectaculaire. Ne manquez pas ce rendez-vous de la mijuillet car c’est
bien à Bali que ça se passe et nulle part ailleurs.

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