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Censures… à l’Indonésienne

Ces dernières semaines, j’ai beaucoup entendu parler de deux films controversés, « Balibo » et « 2012 ». Des propos qui faisaient souvent un amalgame injustifié entre deux cas pourtant bien dissemblables. Je voudrais apporter quelques nuances afin de dissiper la confusion. Tant pis si je soulève la polémique !
« Balibo » retrace la fin tragique de cinq journalistes australiens venus en 1975 au Timor Oriental pour y couvrir l’invasion indonésienne. C’est un film australien qui défend la mémoire de ses ressortissants et le point de vue des Timorais. L’envahisseur y est dépeint avec toute la violence d’une armée en temps de guerre et dénoncé comme responsable de la mort des journalistes.
Le comité de censure indonésien (LSF) a prononcé l’interdiction de diffuser le film à cause de la sensibilité politique de son contenu et parce qu’il « risquait de rouvrir une vieille blessure. » Le ministre de la Culture a déclaré que c’était « pour le bien du pays, la sécurité et le bien-être des gens. »
Ces justifications paraissent bien minces et une censure ne fera jamais mieux que provoquer des sentiments castrateurs. Il faut néanmoins préciser qu’en affirmant que leur film n’était pas simplement « inspiré de faits réels » mais qu’il montrait « une histoire vraie », le réalisateur et les producteurs allaient immanquablement au-devant d’un litige en Indonésie où les autorités défendent une autre version des faits.
Ni les investigations d’un officier judiciaire australien en 2007, ni les aveux d’un ancien colonel de Kopassus (forces spéciales), affirmant tous les deux que l’ordre de tuer les journalistes et de brûler leurs cadavres avait été donné par les militaires envahisseurs, n’ont fait bouger d’un iota les officiels indonésiens. Par conséquent, ce n’est pas le scénario d’un film, soit-il basé sur des témoignages sérieux et une enquête approfondie sur le terrain, qui va soutirer des concessions à un pays qui maintient depuis plus de 30 ans que les reporters ont péri dans le feu croisé des combats.
« Balibo » raconte une histoire passionnante et hautement tragique en adoptant le style d’un documentaire. Un public peu avisé tombera facilement dans le piège de prendre l’ensemble des images pour la reconstitution des faits réels et même le spectateur plus circonspect n’a guère la possibilité de distinguer les détails « dramatisants » rajoutés pour raison commerciale.

Le film a beau raconter une histoire vraie, c’est une œuvre de fiction et non pas un documentaire ! Ses créateurs étaient les premiers à en être conscients et s’ils crient aujourd’hui au scandale parce qu’elle est interdite de diffusion en Indonésie… Ils me paraissent un brin hypocrites !

Le contexte de « 2012 » est tout contraire. Le film n’a qu’une seule prétention : vouloir distraire ! Il nous montre le déluge à grand renfort d’effets numériques. La terre s’entrouvre, des gouffres sans fond avalent des villes entières et l’océan déchaîné déborde jusque sur l’Himalaya !

S’il y a quelque chose que l’on ne peut pas reprocher au réalisateur de « Independence Day » et « Le Jour d’Après », c’est de ne pas savoir fabriquer des films catastrophes puissants et efficaces. Par contre, on peut blâmer Roland Emmerich de partialité dans le choix de ses images. Le spectateur a droit à l’écroulement de la chapelle Sixtine et de toute la basilique Saint-Pierre de Rome. Le monumental Christ au-dessus de Rio de Janeiro est pulvérisé et une déferlante gigantesque arrache une lamaserie d’un sommet tibétain, mais point de dégât sur un site islamique !

En effet, pendant toute la durée du film, Emmerich se garde de détruire les sacro-saints symboles de l’Islam ! Craignant pour sa sécurité et celles de ses proches, il a coupé au montage une scène qui montrait l’effondrement de la Kaaba de La Mecque. Ainsi fait-il le jeu des extrémistes islamistes qui atteignent leur but : semer la peur ! Il est vrai que dans d’autres confessions, on a moins tendance à occire ceux qui ne respectent pas scrupuleusement les concepts religieux. Mais, soyons honnêtes, la presque totalité des musulmans ne tue pas non plus !
Malgré cette attitude prévenante envers la susceptibilité d’une minorité à la foi excessive, le pauvre metteur en scène n’a pas échappé à une fatwa (*). Certaines directions régionales du conseil indonésien des oulémas (MUI) ont crié au blasphème et demandé au gouvernement d’interdire le film parce qu’il annonce le jour de la fin du monde. Ceci apporterait la confusion dans le rang des croyants, la date de l’Apocalypse devant rester le secret de Dieu !

Cependant, la majorité des responsables religieux n’a pas suivi ces critiques obtuses et le LSF n’a pas prononcé l’interdiction du film, devant considérer que les fidèles sont des êtres pensants, capables de faire la différence entre la fantaisie et la réalité.

Les Hindous ne comprennent pas toute cette agitation. Pour eux, le mouvement de la roue de la vie n’a ni début ni fin et les perspectives pour l’avenir sont infinies. C’est une des raisons pour lesquelles les Balinais ressentent un calme et une absence de hâte qui les rendent plus sages, plus tolérants et plus reconnaissants envers l’existence que d’autres.

(*) Contrairement à l’opinion répandue, une fatwa n’est pas une condamnation, mais un avis religieux donné par un spécialiste de la loi islamique qui peut porter aussi bien sur l’aspect culturel, juridique ou politique de la religion musulmane.

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