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Castes… à la balinaise (III)

Nous retrouvons Jean lors de son énième séjour à Bali. La principale raison pour ses venues récurrentes est qu’il se sent irrésistiblement attiré par l’Ile des Dieux où la spiritualité semble omniprésente. Jean se veut athée et n’est pas prêt à embrasser une religion quelconque, ni hindoue, ni autre. Mais à Bali, il perçoit des vibrations et se sent frôlé par un souffle cosmique.

Il peut même s’imaginer d’avoir été balinais dans une vie antérieure, tant il se sent à l’unisson avec ce peuple à la gentillesse légendaire. Ce qui est sûr, c’est qu’il trouve ici les conditions requises pour contrebalancer le stress engendré par son quotidien professionnel. Entouré par la douceur du paysage et des habitants d’une indulgence innée, il arrive à éliminer la pression accumulée par les contraintes de sa vie de tous les jours.

Désormais, Jean prend l’avion pour venir sur son île où il a ses repères. Il y retrouve son hôtel avec le personnel qui le connaît assez bien pour anticiper ses désirs. Il ne fréquente plus que le bureau de change en qui il a confiance. Et il sait où se procurer les fringues les plus branchées, son t-shirt Bintang ayant été offert depuis longtemps à son meilleur copain !

La voiture, il la loue toujours à la même agence. Au fur et à mesure que Jean devient un client habitué, les prix de location baisse. Exigeant chaque fois le même chauffeur, celui qui connaît tous les chemins carrossables de Bali, il s’est lié d’amitié avec lui. Nyoman, après une longue journée à sillonner l’île avec son passager, invite celui-ci parfois dans sa maison pour lui offrir un Coca-Cola tiède.

Dans ce cas, Jean n’oublie jamais d’apporter des oleh-oleh pour la famille : des sucreries pour les enfants, des fruits importés pour leur mère, et des kretek pour le grand-père. Il décline poliment l’offre de partager leur repas : les habitations exiguës et la cuisine locale sont beaucoup trop chaudes à son goût. D’autant plus qu’il ne se débrouille pas bien pour manger avec les doigts.

Par contre, lorsque le calendrier indique la nécessité d’une cérémonie, ce qui est assez fréquent à Bali, Jean n’hésite jamais à accepter l’invitation pour participer aux festivités. C’est ainsi qu’il a assisté à des mariages, des crémations, des limages de dents et à une foule d’autres rites, mais rarement jusqu’à la fin.

Spécialement les odalan, les fêtes qui honorent la venue des divinités au temple, et les spectacles de wayang kulit, ce théâtre d’ombre extrêmement populaire parmi les petits et les grands, peuvent durer toute la nuit ; étonnant pour les Balinais qui sont des couche-tôt invétérés. De retour en France, les amis de Jean doivent écouter les récits de l’ethnologue amateur et visionner les centaines de photos prises à chacune des occasions. En général, tant d’exotisme leur passe au-dessus de la tête.

Ultime preuve de confiance de la part de son ami balinais : Nyoman l’a emmené à un combat de coq. Perdu au fin fond de la campagne, caché derrière une dense barrière de buissons, l’endroit servant d’arène fourmillait d’individus surexcités. Certains éléments de cette foule exclusivement masculine semblaient même plus combatifs que les coqs.
Du coup, Jean a dû réviser son point de vue sur la douceur des autochtones. En suivant ses voisins parieurs, il a paumé ce jour-là plusieurs beaux billets de cent mille rupiah. Moins toutefois que Nyoman.

Fort de ses connaissances d’insider, il prête volontiers son concours au newcomer pour lui expliquer pourquoi plus rien n’est comme avant à Bali. Le voilà lancé à dénoncer le tourisme de masse qui engendre toutes sortes de calamités : surdéveloppement urbain, criminalité, prostitution et perte d’une culture ancestrale qui résiste mal aux contraintes de la modernité. En tant que spécialiste ès balinité, il se permet même d’analyser les effets néfastes du surpeuplement : ressources naturelles en baisse et pollution en hausse.

En France, Jean occupe un poste de fonctionnaire subalterne. Toute l’année, il doit donc suivre les suggestions de ses collègues et obéir aux ordres de ses supérieurs. Peut-être est-ce pour cela qu’il se venge pendant ses vacances, car les suggestions qu’il adresse aux Sans-Castes ressemblent singulièrement à des ordres : « Il faut absolument
aller voir ce temple ! »

Grand connaisseur des infrastructures locales, il partage volontiers les informations les plus confidentielles. Ainsi, il se vante d’avoir dégotté une adresse vraiment exceptionnelle : « Le meilleur restaurant, c’est un rumah makan typiquement balinais, avec un rapport qualité prix imbattable. D’ailleurs, tous les expats y vont. »

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