Accueil Le mot du Consul

C’est le dernier…mot du consul, enfin pour moi!

J’en ai écrit 85, autant qu’ont paru de gazettes jusqu’ici. Contrainte mensuelle mais plaisir du challenge. D’abord trouver le sujet. Je ne manquais pas de choix mais prudence, les protagonistes ne devaient pas être reconnus. Ensuite rédiger. Un brouillon manuscrit à l’aide d’un vieux stylo à plume dont la particularité est d’écrire plus vite que ma pensée. Réécrit trois, quatre fois : ratures, ajouts, mentions en marge. Lorsque la forme a bien pris, je dactylographie le texte. La page imprimée passe dans ma poche afin de pouvoir la relire en toutes occasions : je corrige, je rabote, je cisèle.

Enfin, j’envoie mon texte à la Gazette qui souvent patientait pour pouvoir boucler. En effet, j’étais toujours à la traîne comme un de mes prédécesseurs qui faisait attendre ses éditeurs, mais lui s’appelait Balzac.

Dix ans de consul honoraire. Comment et pourquoi avoir postulé pour cette tâche à 56 ans ?

Comment ? C’est le destin qui croise les lignes et qu’il faut savoir saisir : des circonstances en France favorables à un départ, une mission vacante à Bali dont personne ne voulait, l’amitié et l’aide de mon prédécesseur.

Pourquoi ? N’ayant aucune disposition pour les affaires (mon père a tenté en vain que je le suive dans le commerce de vêtements), j’ai opté pour le service au public, métier que j’ai exercé 28 ans à bord des avions, j’en ai trouvé le prolongement ici.

J’ai aussi toujours eu des attaches pour l’Asie. Et enfin bien sûr, pour la richesse du métier de consul honoraire.

Oubliés les épisodes difficiles : l’horreur des deux attentats, la misère des parloirs de prison, l’odeur médicamenteuse des cliniques, les cris des déments à l’hôpital psychiatrique. Moins oubliées, les déceptions : les couples qui se déchirent, les enfants laissés sur le carreau, les femmes battues, les arnaques entre Français. Pour ne garder que le meilleur : le prestige attaché à la fonction, l’honneur de représenter la France, et surtout la reconnaissance des personnes que j’ai pu aider. Cela exigeait de la discipline : disponibilité, écoute attentive, empathie et aussi une distanciation qui a pu passer chez certains pour de la froideur mais indispensable pour rester neutre et arbitre dans la communauté française. J’ai également souhaité installer des structures au profit de notre communauté : des équipes de visiteurs de prisons et d’hôpitaux, un comité des fêtes sans lequel il n’y aurait pas de 14 juillet, le club
« Bien à Bali » pour accueillir les nombreux retraités qui s’installent dans l’île. Il faut que tout ceci reste pérenne.

Je veux vous faire partager ici deux réflexions venues de la lecture d’actes d’état civil au cours de ma mission (les noms sont bien sûr fictifs) : « François Locatelli, ingénieur, est né le 2 février 1966 de Giuseppe Locatelli, maçon, né à Trento (Italie) et de Maria Gonzales, couturière, née à Logroño (Espagne) ». On touche là la richesse de la démocratie et les ressources de l’immigration. « Lise Bernstein, enseignante, née le 8 août 1940, [fille de xxxx et de xxxx], adoptée par la nation le 30 janvier 1948 ». Ici c’est l’horreur des guerres : les deux parents sont morts à Auschwitz, la France se chargera de porter cette orpheline de 7 ans. Gardons cela à l’esprit lorsqu’on parle de la France.

A l’heure où j’écris, le nom de celui qui me succédera n’est pas encore dévoilé. C’est l’ambassadeur qui l’annoncera courant juin. J’en profite pour faire taire ici une rumeur tenace : non ce n’est pas l’Indonésie qui choisit le consul honoraire, c’est bien le gouvernement français. Beaucoup me disent que je suis irremplaçable, que ce ne sera jamais aussi bien, Merci, ces commentaires me touchent. Cependant je dis que rien n’est moins sûr. Mon successeur aura sans doute un autre style, des approches différentes mais le travail sera bien fait. L’ambassadeur a également promis la présence régulière à Bali d’un agent de l’ambassade, élargissant ainsi son champ d’action. Pour ma part, continuant à vivre à Bali, je serai à ses côtés pendant ses premiers mois. Et puis, comme Hemingway (encore un de mes prédécesseurs) l’a fait graver sur sa tombe : « Une génération passe, une génération vient et la terre subsiste. »

Et maintenant, deux dernières anecdotes pour finir en souriant :
Message mél reçu à l’agence consulaire : « Comment faire pour acquérir la nationalité balinaise ? » Réponse : « Attendre que Bali devienne indépendant ». Un Français décède. Sa veuve (indonésienne) me lègue des cartons de livres. Parmi ceux-ci, une vingtaine de classeurs à pochettes plastiques transparentes contenant de belles images. Les plus soft proviennent du catalogue de la Redoute section lingerie féminine, les plus hard de Playboy et consorts. Impossible de mettre ça à la poubelle, on pourrait accuser le consul honoraire de diffuser de la pornographie. Les garder, je n’en ai pas l’usage. Je me charge donc personnellement de vider les 20 classeurs et de broyer les images. Longue besogne de salut public.

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