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Bullying ou harcèlement, comment pacifier nos jeunes ?

Première partie. Lorsque j’ai dit à la directrice de mon école que j’allais écrire un article sur le bullying, étant parfois elle-même confrontée à des parents qui appellent bully tout acte bénin de la part d’un enfant, elle m’a sagement conseillé de clairement définir ce terme pour mes lecteurs. C’est là que toute la subtilité de la langue s’est une fois de plus révélée à moi. Le langage est magique, il ne sert pas seulement à communiquer, il nous est nécessaire pour voir l’invisible. Pour qu’un objet ou un phénomène existe, il faut le nommer. Tout comme pour un enfant qui ne fixe ses souvenirs qu’après avoir maîtrisé la langue, les adultes restent sourds et aveugles à tout ce qui n’a pas de nom. Nommer, c’est donner la clé qui nous permettra de voir enfin ce qui se passe derrière une porte fermée. Apprenez à un enfant ce qu’est un rectangle et il verra soudain des rectangles partout. La fenêtre, la table, la porte qui pourtant étaient déjà là avant le nom, vont soudainement lui révéler une vérité physique invisible jusque là. Pour ce que nous, Français, appelons le harcèlement, c’est la même chose. Cet acte répété dont tout être humain scolarisé a été au mieux le témoin, au pire la victime ou l’auteur, faute de nom, a été nié ou minimisé durant des générations. Finalement, les consciences se sont réveillées et nos amis anglo-saxons ont sorti le phénomène des limbes en nommant cet acte to bully. La traduction française de ce verbe précis est « harceler ». Or, harceler en anglais se dit to harass. To bully and to harass is not exactly the same, right? Je ne suis pas en train de donner un cours de langue et dévier complètement de mon sujet.
Je cherche juste à pointer la malheureuse imprécision du verbe harceler quand il s’agit de ce phénomène répandu en milieu scolaire.

Bullying ou harcèlement à l’école, qu’est-ce que c’est exactement ? La meilleure définition est sans doute celle de Dan Olweus, un psychologue suédois qui a commencé ses recherches sur le harcèlement scolaire dès les années 1970. « Un élève est victime de harcèlement lorsqu’il est soumis de façon répétée et à long terme à des comportements agressifs visant à lui porter préjudice, le blesser ou le mettre en difficulté de la part d’un ou plusieurs élèves. » Olweus est considéré à juste titre comme le pionnier en matière des recherches concernant le bullying. Il a très tôt mis en évidence les trois caractéristiques du harcèlement en milieu scolaire : la violence (verbale, physique ou psychologique), la répétitivité et l’isolement de la victime. Le harcèlement se fonde sur le rejet de la différence ou la stigmatisation de certaines caractéristiques physiques ou comportementales (la couleur des cheveux, l’embonpoint, un bégaiement, l’appartenance à un groupe social ou culturel particuliers, voire des centres d’intérêts différents…) Il revêt des aspects différents en fonction de l’âge et du sexe et les risques de harcèlement sont plus grands en fin d’école primaire et au collège.

Les idées reçues ont la dent dure et l’imaginaire collectif présente systématiquement
le harceleur comme un garçon fort, en dysfonctionnement scolaire et familial, le harcelé comme un petit être fragile, sans défense, qui porte des lunettes, a des problèmes de poids, est premier de la classe… La réalité est rarement aussi manichéenne. Premièrement, tous les harceleurs ne sont pas issus de familles violentes ou socialement défavorisées. Parfois même, les harceleurs ont développé ce sentiment d’impunité précisément parce qu’ils ont été choyés et ont grandi avec un sentiment de toute-puissance alimenté par leurs parents.

Par ailleurs, les filles peuvent être d’excellentes harceleuses et il n’est pas rare qu’elles harcèlent des garçons, pas nécessairement plus jeunes ou plus chétifs. Les victimes, quant à elles, ne sont pas toujours vulnérables par essence. Elles peuvent être choisies parce qu’elles se trouvent en période de vulnérabilité ponctuelle liée à des problèmes familiaux ou de santé. Cette fragilité les rend plus sensibles, moins armées contre l’agressivité des autres, sans ressources pour se défendre. L’agression va alors entrainer la jouissance immédiate du harceleur qui voit avec jubilation que ses attaques ont un effet. Le harcèlement devient un jeu auquel le bourreau gagne systématiquement. Hélène Romano, psychologue spécialisée dans les traitements des psycho-traumatismes écrit très justement « comme un pitbull ne desserre pas les crocs quand il mord, le harceleur ne va pas non plus lâcher sa proie s’il constate qu’il lui fait mal. »

Il existe trois sortes de harceleurs. Le moins dangereux sur le long terme est l’enfant qui s’inscrit dans une dynamique de groupe et dont le but n’est pas forcément de faire du mal mais de restaurer une estime de soi déficiente. Il harcèle pour ne pas être harcelé, et lorsqu’il est démasqué, il accepte la sanction parce qu’il sait que ce qu’il a fait n’est pas juste. Il y a l’ex-harcelé qui devient harceleur. Ce n’est pas une fatalité mais ça n’en est pas moins une réalité. A mon avis, une seule et même personne peut appartenir à ces deux premières catégories.

Le plus inquiétant et le plus toxique est l’enfant au profil psychopathique asocial pour qui l’autre n’existe pas, l’autre est nié en tant que victime et en tant que personne, l’autre n’est qu’un outil à utiliser pour sa propre jouissance. Ce harceleur est d’autant plus dangereux qu’il peut être manipulateur et séducteur, allant jusqu’à se faire passer pour le meilleur ami de sa victime.

Ici, à Bali, nos enfants ne sont malheureusement pas à l’abri de ce genre d’agressions. Lorsque ça arrive, de manière assez naturelle, les parents voudraient avoir une confrontation avec le bourreau de leur chère progéniture afin de lui signifier durement qu’il doit cesser sur le champ ses agissements de criminel en herbe. C’est une très mauvaise idée. D’abord parce que le harceleur saura que votre enfant a parlé et cela peut faire redoubler la violence. Par ailleurs, il n’est pas rare que le harceleur se fasse alors passer pour la victime en se plaignant auprès de ses parents ou de son enseignant d’avoir été menacé par un parent. Les adultes sont bien plus prompts à réagir quand un adulte exerce une pression sur un enfant que quand ledit enfant en persécute un autre. Ah, les méandres de la psychologie humaine !

Le mieux est sans doute d’entrer en contact avec les parents du harceleur et certainement pas dans une démarche punitive ou menaçante. Mais ce n’est pas toujours possible. La meilleure chose à faire alors est d’aller voir le chef d’établissement.

Selon les experts, le plus souvent, c’est le contexte scolaire qui peut favoriser ces comportements. Un enfant bien élevé peut se transformer en être abominable une fois le portail de l’école franchi s’il estime que c’est ce que le groupe attend de lui. Fort heureusement, de nos jours, le personnel enseignant est plus conscient de l’importance de son implication quand il s’agit de harcèlement et le problème n’est plus pris à la légère. Selon Valérie E. Besag, une psychologue anglaise spécialisée dans les rapports bully-victime, l’école a un rôle essentiel à jouer dans l’aide à apporter aux élèves victimes de harcèlement en refusant tout comportement agressif et en menant en son sein un travail à long terme. Plutôt que d’essayer de régler un problème de harcèlement de manière individuelle, il est plus efficace de mettre en place des interventions prenant en compte tous les aspects du harcèlement et ce, dès l’école primaire.

La suite le mois prochain

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