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Brexit à l’indonésienne

Quand plus de 1,5 millions de fans se sont mobilisés pour signer une pétition en ligne exigeant que soit réécrite puis re-filmée la fin de la série Game of Thrones, tout le monde s’en est amusé et personne n’y a jamais vraiment cru. A peu de choses près, c’est le même état d’esprit qui régnait autour de la pétition demandant au président Joko Widodo de ne pas entériner la révision du code pénal sur laquelle travaille actuellement l’Assemblé Nationale. Mais qui ne tente rien n’a rien, et à quelques jours d’un vote crucial pour lequel la plupart des observateurs ont déjà perdu tout espoir… si pour une fois, juste une fois, une pétition pouvait servir à quelque chose, ici et maintenant serait l’occasion idéal. Car ce projet de code pénal (présenté initialement comme une nécessaire mise à jour du code KUHP indonésien remontant à l’ère coloniale) s’avère en réalité un tournant majeur et historique du pays vers une société ultra-conservatrice et autoritaire où les libertés individuelles s’effacent au nom de la morale publique.

Pour se faire une idée de l’ampleur de la chose, il n’y a qu’à lire les titres des journaux australiens qui désignent subtilement ces projets de lois par la formule Bali Sex Ban. En effet, un des 628 articles prévoit la criminalisation de toute cohabitation ou relations sexuelles qui auraient lieu en dehors des liens du mariage. Ce qui implique que n’importe quel couple non-marié, en Indonésie pour les vacances, pourrait éventuellement tomber sous le coup de cette loi, ou au minimum se faire extorquer une certaine somme d’argent sous la menace. Cela implique également pour les communautés LGBT d’être de facto forcées à la clandestinité, d’autant plus que le mariage homosexuel n’est pas reconnu dans le pays. Un député qui se voulait rassurant a néanmoins déclaré que les étrangers ne seraient pas visés. Du moins, tant qu’ils resteraient discrets… Une réponse qui fait froid dans le dos, tout comme l’énumération d’un bon nombre d’autres articles criminalisant entre autres le marxisme, la contraception, l’avortement, la critique du président, des institutions, le blasphème, la magie noire, la mendicité… et cerise sur le gâteau, le non-respect des traditions locales ! Si personne ne semble savoir au juste ce que ce dernier point signifie, tout le monde a en revanche bien compris qu’avec ce genre de lois, personne n’est à l’abri. D’où le hashtag #SEMUABISAKENA (#tous affectés) lancé par les opposants au projet.

Mais comment a-t-on pu en arriver là ? Sorte de Brexit à l’indonésienne par bien des aspects, notamment ceux d’inutiles balles dans le pied ne répondant à aucune urgence sociétale ou économique, tout au plus à des enjeux politiques de petits partis minoritaires qui n’en demandaient pas tant, ce KHUP est un autre exemple de ce qui arrive quand on laisse le populisme mijoter tranquillement pendant qu’on regarde ailleurs. Il fallait un miracle, il a eu lieu. Jokowi est finalement intervenu pour que le vote soit reporté à la prochaine législature. Mais ce n’est que partie remise.

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