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Bornéo en planches avec le dessinateur Troub’s

« Une savoureuse chronique d’un fleuve et du temps qui coule. » Bernard Sellato, ethnologue spécialiste des Dayak de Kalimantan (cf. La Gazette de Bali n°37 – octobre 2008) ne ment pas quand il évoque ce récit tout en dessins d’un séjour à Kalimantan. Troub’s, dessinateur français, habitué des voyages au long cours, nous livre ici des tranches de vie récoltées sur les rives du fleuve Mahakam où il a navigué pendant deux mois. Il décrit avec humour et émotion ce monde encore préservé au cœur de la jungle. Les dessins en noir et blanc sont magnifiques. Un ouvrage qui lui a valu de décrocher le grand prix de la Biennale du carnet de voyage de Clermont-Ferrand.

La Gazette de Bali : En 2005, vous avez passé deux mois sur l’île de Bornéo. Vous vous souvenez de vos premières impressions ?

Troub’s : La chaleur écrasante tout d’abord. Ensuite, je pensais être dans la jungle tout de suite. On ne se rend pas compte à quel point la forêt primaire est détruite. Le premier jour, je me suis promené dans un quartier sur pilotis qui fait face à la grande raffinerie de Balikpapan. J’ai été saisi par la surpopulation. Tout ce monde vivant dans ces maisons de bois dominant l’eau. Je n’ai vu ça nulle part ailleurs.

LGdB : Vous ne parlez pas le bahasa indonesia. Cela n’a pas été trop frustrant ce manque de communication ?

T : Oui c’était frustrant, mais il m’a suffi de m’adapter. Il faut savoir que chaque ethnie dayak a un langage distinct. Chez les Aoheng, ils ont même un dialecte par village… Le fait de me promener partout avec mes carnets et mes crayons justifie beaucoup de choses. Cela ouvre la communication. C’est un outil en plus pour rencontrer les gens.

LGdB : Pourquoi les Dayak de Bornéo sont-ils si mal perçus par le reste des Indonésiens ? Vous évoquez des Javanais croisés dans un cocktail à Balikpapan ou encore des touristes de l’archipel qui semblent les mépriser ?

T : Visiblement en Indonésie, la population entretient un système de castes. Cela m’a surpris. A cela, il faut rajouter la supériorité de l’islam. La religion écrase tout. C’est étonnant de voir des mosquées dans des endroits aussi perdus que le haut Mahakam alors que la plupart des habitants ne sont pas convertis. J’ai trouvé ça assez déstabilisant.

LGdB : Vous avez surtout côtoyé des Dayak de l’ethnie Aoheng, qu’est-ce qui vous a le plus interpellé dans leur tradition ?

T : J’ai surtout été très séduit par le graphisme qu’ils utilisent partout : sur les totems, les arabesques ou même leurs tatouages. Je ne m’attendais pas du tout à ça. Avant de les rencontrer, j’ignorais qu’ils dessinaient. En plus, leur façon de dessiner varie en fonction de l’ethnie. Ils ont un langage par clan. C’est leur lien social. Les guerriers sont tatoués jusque sur la glotte. Ce sont des livres ouverts. C’est magnifique.

LGdB : Vous évoquez beaucoup le bruit dans votre livre. Entre la télé, les coqs dès l’aube, les combats de chats, les générateurs… Une vraie torture qui vous a souvent empêché de dormir.

T : Dans ce coin d’Indonésie, les gens sont en permanence dans le bruit et le mouvement. Ils dorment n’importe où et n’importe quand. Oui, je dois dire que ça finissait par me taper sur le moral de ne pas dormir. Sans compter la chaleur et les mouches ! Physiquement, ce voyage n’a pas été de tout repos.

LGdB : Justement la télévision, la « maudite télé » comme vous la qualifiez. Cette omniprésence du petit écran dans les villages perdus vous a dérangé. Vous pensez que cela va remettre en question leur mode de vie ?

T : C’est déjà fait. Les jeunes regardent la télévision et, du coup, n’écoutent plus les récits des anciens comme avant. Les bébés naissent pratiquement devant l’écran. Mais en même temps, cela leur permet de ne pas complètement s’isoler. La mondialisation est là. S’ils veulent survivre, ils sont obligés d’aller vers cette modernité. Et pour eux, la télévision est le symbole du futur. L’important, c’est que cela leur permette encore de se réunir et de se retrouver ensemble le soir. Cela remplace les veillées d’autrefois. C’est comme le passage des rapides sur la rivière. Autrefois, tout se faisait avec des pirogues. Cela prenait des jours, c’était très dangereux et il y avait souvent des morts. Aujourd’hui, ce n’est qu’une histoire de quelques heures. Le moteur à essence a bouleversé leur vie. Ils ne pouvaient pas refuser d’accéder à cela.

LGdB : Vous évoquez aussi la déforestation que vous avez observée. Là aussi, vous voyez cela comme un phénomène inéluctable ?

T : C’est affreux. Juste après le passage de ces fameux rapides, on voit vraiment la différence entre l’avant et l’après. Vers le bas du Mahakam, tout est défriché et ils plantent des palmiers à huile. Ce sont des zones surpeuplées comparées au nord.

LGdB : Finalement, que gardez-vous comme meilleur souvenir de cette plongée dans le haut Mahakam ?

T : J’ai beaucoup de bons souvenirs. J’ai eu pendant quelques heures le sentiment d’avoir atteint le paradis. C’était près du village de Long Apari, très au nord. Je me suis retrouvé à me promener en pleine nature dans des tunnels de verdure. Il n’y avait personne. C’était la jungle inexplorée telle que je l’imaginais. Un vrai fantasme de gosse. Après, il me reste plein de très bons souvenirs liés à des rencontres ou à de franches parties de rigolade au fil de mon voyage. A Long Apari, un homme surnommé « le Tigre » a passé beaucoup de temps à m’expliquer sa vie et celle du village. A Long Bagun, Surai, m’a accueilli chez lui. A Balikpapan, une femme dayak mariée à un Français m’a mis en contact avec toute sa famille sur le fleuve. Grâce à ces gens francs et directs, toutes les portes m’ont été ouvertes.

LGdB : Après Bornéo, quelles sont vos prochaines destinations de voyage ?

T : Je reviens du Burundi où j’ai donné des cours au Centre culturel français. Dans quinze jours, je pars pour le Turkménistan, un petit état très riche de l’ex-URSS gouverné par un président mégalomane. Je suis très curieux. J’en rapporterai bien sûr des carnets remplis de dessins et d’impressions.

« Le paradis… en quelque sorte »,
240 pages,
Ed. Futuropolis, 25 €.
Sur l’Internet à
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