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Bords de mer et fonds marins en surexploitation à Bali

Il y a une dizaine d’années, j’ai travaillé pour une organisation de préservation de la nature dans un parc national marin indonésien bien connu. J’ai interrogé les villageois du coin afin de comprendre ce qu’il pensait du parc et du travail qui y était effectué. Ils m’ont dit : « On voit des gros bateaux coûteux arriver avec de riches étrangers, habillés de façon étrange. Ils sautent dans la mer avec de grosses bouteilles sanglées sur leur dos. Ils restent sous l’eau longtemps. Mais ce qui est bizarre, c’est que, quand ils remontent à la surface, ils ont les mains vides ! » Ils ne plongent pas pour attraper quelque chose ! Les villageois ne pouvaient pas comprendre pourquoi les touristes plongeurs venaient d’aussi loin juste pour voir et photographier la vie marine et les paysages sous-marins. Les pêcheurs s’étaient vu interdire toutes prises dans le parc et ils voyaient ces étrangers pénétrer les zones desquelles ils avaient été exclus car interdites à la pêche. De façon prévisible, cela créait des frictions entre les locaux et les visiteurs. Où quand des cultures différentes entrent en collision…

A Bali, l’opérateur de plongée ou le patron d’hôtel moyen souhaitent que ces clients apprécient « les mystères des profondeurs » (comme le commandant Cousteau les appelait) en toute sécurité et tranquillité. Les vacanciers peuvent s’aventurer dans l’eau, parfois, en n’utilisant qu’un masque, un tuba et des palmes, et découvrir les merveilles sous-marines qui sont un des points forts du marketing de cette « île des dieux ». Les touristes souhaitent faire du snorkelling, de la plongée, ou même utiliser des bateaux à fond de verre transparent ou des sous-marins pour voir le monde sous l’eau, la plupart pour la première fois de leur vie. Certains vont ramasser de jolis coquillages à ramener à la maison. Il existe des opérateurs de plongée qui ne tolèrent aucune présence de pêcheurs dans les environs parce qu’ils prélèvent ou tuent justement ce que leurs clients veulent voir. (Les requins sont recherchés des deux groupes mais pour différentes raisons !). Alors les locaux sont obligés de partir loin des zones traditionnelles de leur pêche pour trouver leur subsistance. Nous avons là un conflit d’intérêt typique entre une communauté de pêcheurs et le secteur du tourisme.

La pêche sportive, la plongée, le jet-ski, la planche à voile, sont autant d’activités de récréation qui ont transformé les côtes maritimes en un vaste terrain de jeu pour les touristes. Bien sûr, les plus chanceux des résidents locaux obtiennent ainsi une source de revenus du commerce touristique s’ils arrivent à obtenir des jobs. Mais étant pauvres et sans éducation, la plupart des villageois des côtes n’auront pas cette chance. Se retrouvant marginalisés, la majorité continue d’essayer de vivre de la pêche simplement pour nourrir leur famille. N’ayant aucune terre ou biens, ils ne sont pas capables de bénéficier de cette manne de richesses apportée par les visiteurs.

Le nombre de visiteurs débarquant à Bali est extraordinaire et il continue de croître. Au nord de l’île, des petits groupes de pauvres dauphins apeurés essayent d’échapper à une armada de 50 bateaux qui convergent sur ceux dès qu’ils sont repérés ! Aveuglées par la douloureuse lumière vive du soleil de midi, des tortues qui viennent de naître, descendent la plage laborieusement vers le large et un futur incertain après que des touristes bien intentionnés aient payé pour les « libérer » dans la nature. Poissons-lune et raies Manta naviguent au milieu de hordes de plongeurs-photographes qui ont payé cher pour faire ce cliché ! Les marins me disent que la pêche sportive autour de Nusa Penida a passé ses beaux jours. Le nombre de poissons est en diminution et les affaires ne sont plus ce qu’elles étaient. Les marins se demandent pourquoi, et se demandent ce qu’ils vont faire ensuite…

En soirée, les touristes satisfaits (on l’espère !) souhaitent se relaxer avec une bouteille de vin et un repas de homard frais, de daurade tropicale, de pieuvre ou de mérou. Combien d’entre eux se demandent d’où viennent ces goûteux fruits de mer, combien le pêcheur a-t-il été payé, et s’ils seront encore là dans 10 ans ? Pensons à ces minuscules homards servis dans les restaurants de plage aujourd’hui et à combien d’années il faut pour qu’ils croissent jusqu’à leur taille adulte. Bien sûr, on ne peut espérer que les gens cessent d’acheter des fruits de mer – il y a quelques années de cela, WWF (World Wildlife Foundation) avait voulu démarré une campagne de sensibilisation ici, suggérant que les gens réfléchissent à deux fois avant d’acheter certaines espèces de fruits de mer à cause de la surpêche et de la constante diminution des prises et de leur taille. L’idée n’avait pas été accueillie avec enthousiasme par les hôteliers et restaurateurs !

Trop de gens à la recherche de trop peu de ressources. Dans l’idéal, il devrait y avoir la possibilité pour les communautés locales de pêcheurs de bénéficier de revenus alternatifs générés par la plongée touristique. Dans ce but, certaines ONG travaillent à stimuler ces communautés à restaurer leurs récifs et ensuite à faire venir les touristes afin que ces derniers apprécient ce qu’il est possible de faire en termes de réhabilitation et d’exploitation contrôlée par les locaux. Mais pour que leurs efforts aient le moindre impact, ils auront besoin de plus de soutien du gouvernement, des hôteliers, des développeurs et de toutes les autres parties prenantes qui extraient les bénéfices de ces ressources. Certains hôtels de plage investissent dans leurs propres programmes de restauration de récifs et après facturent leurs clients pour le snorkelling ou la plongée effectués dans ce qui est devenu une petite zone marine protégée. Après tout, être vu à maintenir un récif en bonne santé et en eau propre, ça fait bien dans la brochure et ça peut être très bon pour les affaires !

En y accordant un peu de réflexion et de prise de conscience, je pense qu’il est encore temps pour nous d’utiliser les ressources marines de façon plus sensée, effective et durable. Les infos sont là pour ceux qui veulent s’informer. Un nombre de plus en plus important d’« acheteurs informés » insistent sur la nécessité de savoir d’abord d’où proviennent les produits naturels qu’ils achètent et s’ils sont gérés de façon durable. De nombreuses affaires expérimentent déjà les bénéfices du « go green » (and blue!) puisque leurs clients ont un meilleur discernement et sont de plus en plus critiques au sujet de leurs choix. Sinon, et même si c’est déjà devenu un cliché, nos descendants ne manqueront pas de demander : « Comment les gens ont-ils pu laisser cela arriver ? »

Contacts :
[email protected],
[www.lini.or.id->www.lini.or.id] et la page Facebook « Ron Lilleys Bali Snake Patrol »

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