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Banque Century : la nouvelle saga politico-financière

Est-ce l’amour immodéré des Indonésiens pour les sinetron ? Toujours est-il que l’Archipel, ou au moins sa classe dirigeante, semble se complaire dans la succession des scandales qui pourrissent le début du second mandat de Susilo Bambang Yudhoyono. Après celui du KPK, qui aura tenu le devant de la scène médiatique pendant plusieurs semaines pour aboutir au retour en grâce des responsables de la commission anti-corruption, voici celui de la banque Century. Les conclusions à cette affaire ne seront pas connues avant plusieurs semaines, le temps pour tout ce cirque politico-monétaro- médiatique de jouer ses représentations jusqu’au bout. Néanmoins, comme dans tout mauvais scénario indonésien, il semble possible d’imaginer une partie des objectifs inavoués du scandale. Toute l’intrigue résidant dans la capacité, ou non, des acteurs principaux d’arriver à leurs fins.

En clair, de la même manière qu’une coalition d’individus peu vertueux a
cherché (en vain) à dénigrer la légitimité de la respectable institution qu’est le KPK, ces mêmes forces nocives tentent à l’heure actuelle d’obtenir les têtes du vice-président Boediono et de la ministre des Finances Sri Mulyani. Leurs crimes : être honnêtes, compétents et incorruptibles.
Des attributs manifestement difficiles à accepter pour la majorité d’une classe politique malhonnête, incompétente et hautement corruptible.

Il semble clair que le renflouage de la banque Century il y a un an a été entaché d’irrégularités. Initialement évalué à 644 milliards de roupies (68,5 millions de dollars US) le déboursement a en réalité été dix fois supérieur au montant initial. Qui a donc profité de cette manne ? Il faut
souhaiter que l’enquête en cours fasse la lumière sur cette question. Mais c’est semble-t-il prendre peu de risques que d’affirmer que Boediono et Sri Mulyani n’en font pas partie. Ils étaient certes les leaders du Comité pour la stabilité du système financier (KSSK) qui a pris la décision de renflouer la banque en crise. Et ils ont depuis maintes fois réaffirmé qu’il
s’agissait à leurs yeux de la bonne décision, estimant qu’en cas de faillite de la banque Century, un risque pouvant toucher tout le système bancaire indonésien n’était pas à exclure. Mais s’ils ont pris la décision du renflouage, ils n’étaient en rien responsables de son déboursement.

La responsabilité de celui-ci incombait à la « Deposit Insurance Corporation », l’agence en charge de l’application de tout l’effort de sauvetage de l’économie indonésienne en ces temps de crise.

Une grande responsabilité revient également aux dirigeants de la banque
Century, qui ont accumulé négligences et coups tordus depuis 2001, et la formation de Century sur les cendres de plusieurs banques. Sans parler des superviseurs de la Banque d’Indonésie qui ont pendant tout ce temps fermé les yeux sur ces agissements.

L’enquête à charge actuelle se base sur un audit réalisé par le BPK, l’Agence nationale spécialisée. Or le chef du BPK est Hadi Purnomo, un ancien responsable des impôts qui a été viré par Sri Mulyani en 2006 quand Boediono était encore ministre de l’économie. Son renvoi avait été largement perçu à l’époque comme une tentative de Sri Mulyani de mettre de l’ordre dans une agence rongée par la corruption. L’audit actuel peut facilement apparaître dès lors comme une revanche personnelle, celui-ci concluant
qu’il n’y avait aucune raison légale au déboursement et que la décision a en
outre été prise sans qu’assez de données aient été analysées.

Il semble donc que ce nouveau scandale soit une véritable chasse à l’homme
et à la femme. Ce n’est d’ailleurs pas un secret qu’une coalition d’influents
politiciens, d’hommes d’affaires et de hauts fonctionnaires corrompus aimerait faire la peau des deux réformateurs afin de permettre un retour aux pratiques passées.

Un autre homme semblerait heureux d’avoir la tête de Sri Mulyani, en
l’occurrence Aburizal Bakrie. L’homme d’affaires, ancien ministre et actuel
responsable du Golkar n’a jamais digéré le fait que la ministre des Finances ait refusé d’octroyer des passe-droits à ses entreprises, notamment au plus fort de la crise financière, lorsque Sri Mulyani avait refusé de fermer la bourse de Jakarta pour sauver certaines sociétés du groupe Bakrie de la décote. Sri Mulyani s’en est d’ailleurs ouvert nommément dans une interview au Wall Street Journal récemment, ce qui n’est pas dans ses habitudes et démontre le degré d’inimitié entre les deux. Bakrie, s’exprimant comme s’il était le vrai chef d’Etat de ce pays (ce qu’il est peut-être dans les faits) a à son tour expliqué que, dans cette affaire, SBY et Boediono devaient être sauvés à tout prix puisqu’ils représentent des symboles de la Nation. Aucun mot pour son ennemie préférée. Tout laisse en effet croire qu’il s’agit d’une vendetta. Bakrie a réussi à placer un de ses plus proches collaborateurs, Idrus Marham, à la tête du Comité d’enquête parlementaire sur
la banque Century. Ce comité, qui semble aussi respectable qu’une commission
parlementaire indonésienne puisse l’être, s’est d’ailleurs distingué au cours
des premières auditions par sa puérilité habituelle, celle qui a permis au parlement indonésien de se faire surnommer le « jardin d’enfants de Senayan ».

Il est encore difficile de savoir comment cette énième histoire va se terminer. La dernière en date, grâce à une énorme pression populaire, s’est conclue par l’absolution de deux responsables du KPK. C’est peut-être à nouveau les Indonésiens qui peuvent parvenir à sauver les bons soldats incriminés. Car un sursaut présidentiel semble utopique. La société civile indonésienne doit à nouveau se faire entendre.

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