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Bali : peu de résidents étrangers et déjà beaucoup d’intolérance

Après la drogue le mois dernier, abordons ce mois-ci un autre sujet difficile qui s’inscrit malheureusement de plus en plus dans l’actualité balinaise : la montée du sentiment anti-étrangers. Nous avons déjà abordé ce sujet épineux plusieurs fois dans les colonnes du journal (cf. La Gazette de Bali n° 41 – octobre 2008, n°59 – avril 2010 et n°81 – février 2012), évaluons aujourd’hui son évolution récente. Nous savons que sur cette planète surpeuplée et cosmopolite du 21ème siècle, les populations autochtones se disent de plus en plus menacées dans leur identité. Et la vision angélique d’un monde de demain fait de tous les métissages commence également à avoir du plomb dans l’aile… Comme toujours depuis la nuit des temps, les gens cherchent des coupables à leur malaise, veulent mettre un visage sur leur ressentiment, bref nommer ce qui les menace. Et qui de mieux que l’étranger, ce bon vieux suspect habituel ?

En France, un récent sondage BVA pour la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme présente la conclusion suivante : un tiers des Français se déclare aujourd’hui ouvertement raciste. 9% d’entre eux se disent « plutôt racistes » et 26% « un peu racistes ». Et à la question : « Y a-t-il trop d’immigrés ? » 74% répondent « oui ». A Bali, si nous ne sommes pas encore au niveau d’immigration que connait la France, nous ne sommes pas non plus encore à l’ère des sondages à tout crin. Ce qui vaut peut-être mieux d’ailleurs tant les résultats mettraient sans doute un terme définitif à nos dernières illusions sur la supposée nature accueillante de nos hôtes.

Une capacité d’accueil qui est bien un des mythes sur Bali et les Balinais forgé depuis longtemps par le regard d’admiration irraisonnée qu’ont porté sur l’île des générations d’Occidentaux, piégeant leurs habitants dans ce rôle de peuple idyllique à l’abri des corruptions de ce monde. Ce qu’ils ne sont bien évidemment pas. Il suffit de lire le fameux livre du professeur australien Adrian Vickers « Bali, a Paradise Created » pour comprendre que Bali était même l’opposé. Ouf ! Les Balinais sont donc des gens comme les autres. Et leurs admirateurs occidentaux ont trop souvent pris leur indifférence envers le monde extérieur comme l’expression d’une quelconque tolérance ou ouverture d’esprit.

78 délits commis par des étrangers en 2013

Aujourd’hui, les Balinais ne sont donc guère distincts de nous-mêmes. Et alors qu’ils commencent à chercher des coupables à leur insatisfaction, ils sont devenus soudain de moins en moins indifférents à la présence étrangère. Il ne se passe plus une semaine désormais sans que des figures éminentes de l’intelligentsia locale répandent dans la presse des constatations très négatives sur les étrangers à Bali. Dans de nombreux domaines. Y compris la délinquance, comme cette assertion et ces chiffres récemment communiqués par la police de Bali, lors d’un colloque sur le tourisme : « Les touristes étrangers qui viennent à Bali sont quelquefois aussi à l’origine de la criminalité. » Selon elle, en 2013, 78 « incidents criminels » commis par des étrangers ont été enregistrés avec 83 suspects déferrés devant les tribunaux. Sachant que, selon ces mêmes statistiques de police, il y aurait un délit commis toutes les 64 minutes sur l’île, cette info aurait dû relever de l’anecdote pure et simple… et rester dans un fond de tiroir.

Un récent forum de discussion de l’Office du tourisme de Bali s’est lui penché sur « le nombre important de travailleurs illégaux sur l’île ». Ce séminaire regroupait des professionnels du tourisme, des officiels du département de l’emploi et de l’immigration. Les travailleurs illégaux ont été décrits comme « volant » des emplois qui devraient revenir normalement aux travailleurs locaux. Lors des discussions, Ketut Rasna, de l’Association des opérateurs d’activités nautiques (Gahawisri) s’est plaint du nombre d’étrangers travaillant dans la plongée à Bali. D’autres entreprises de plongée locales qui sont en rivalité avec des compétiteurs étrangers ont pointé « la qualité de leurs prestations qui est de loin inférieure à celles des clubs locaux », a-t-on pu lire dans Tempo.

La mort récente d’une plongeuse japonaise près de Nusa Lembongan est à mettre sur le compte du club de plongée qui n’employait que des instructeurs japonais au lieu de locaux, « plus au fait des conditions maritimes et des courants », ont affirmé d’autres participants au débat. Pourtant, les premiers éléments de l’enquête repris alors par tous les journaux avaient mis en lumière la faute professionnelle du capitaine du navire dans cette affaire. Il avait abandonné le groupe de plongeuses en raison de la mer devenue soudainement agitée. Son identité n’avait pas été révélée, ni par la police de Bali qui l’avait gardée secrète, ni par les journaux locaux. En cherchant bien, il a par contre été possible de trouver son nom, d’origine indonésienne – Agustinus Brata Kusuma – dans la presse japonaise. Il n’est pas clair aujourd’hui si des charges ont été retenues contre lui mais l’opérateur japonais a lui été fermé.

Dénoncer activités suspectes et étrangers

Un représentant du Conseil des villages traditionnels (MUDP), Gede Nurjaya, s’est lui exprimé devant l’assemblée pour attirer l’attention sur « tous ces étrangers qui élisent domicile dans les villages, marient des filles du coin et montent des entreprises sur le nom de leur épouse. » Jusqu’en 2011, les hommes étrangers mariés à des Indonésiennes n’avaient aucun droit en Indonésie, même pas celui de travailler pour nourrir leur famille. Cette année-là, une réforme de la loi sur l’immigration devait mettre fin à cette inégalité flagrante. Elle a cependant été édulcorée dans les différentes propositions du décret d’application, réduisant notamment ce droit à subvenir aux besoins de sa famille à une vague possibilité d’activité professionnelle limitée à la petite entreprise, incluse de fait dans le permis de résidence (Kitap). Et comme le décret d’application n’est toujours pas passé trois ans après, cette révision du statut des époux d’indonésiennes n’est donc même pas encore officielle sous cette forme au rabais.

Pendant ce temps, dans les villages, effectivement, on entretient la psychose en déployant aux carrefours des banderoles de la police invitant les Balinais à dénoncer aux autorités « les personnes aux activités suspectes et les étrangers présents dans les parages ». En parallèle, lors de ce même forum, Sahora Manullang, du bureau de l’immigration de Denpasar a promis de faire les contrôles nécessaires mais a déploré de ne pas avoir assez de fonctionnaires à envoyer sur le terrain « en comparaison du grand nombre de travailleurs étrangers » sur l’île. « Pour cette raison, nous demandons la participation du public afin de dénoncer les activités suspectes », a-t-il ajouté.

Quelques jours après, l’organe de presse Metrobali a affirmé que la police et l’immigration de Denpasar avaient déjà formé des équipes pour partir à la chasse aux travailleurs étrangers. Doublés de la police municipale (Satpol PP) et de fonctionnaires du Registre civil, ces enquêteurs vont vérifier que les travailleurs étrangers présents à Bali possèdent bien un permis de séjour (Kitas) doublé d’un permis de travail (Izin Kerja). Les chiffres de la présence étrangère à Bali sont difficiles à évaluer précisément. Toutefois, en février 2012, nous écrivions dans La Gazette de Bali que cette population étrangère se montait à quelques 30 000 personnes, soit 0,75% de la population totale de l’île. Nous sommes donc loin d’un quelconque flux migratoire aux conséquences préoccupantes.

Il y a presque 4 millions d’habitants à Bali, la population balinaise de souche est estimée à un peu plus de 2,5 millions de personnes. Il y a enfin 3 millions de touristes étrangers qui y séjournent par an, un nombre bien inférieur à celui des touristes locaux. C’est beaucoup certes mais c’est le lot des destinations touristiques aujourd’hui et il existe des lieux sur cette planète qui accueillent par an plusieurs fois le montant total de leur population. Même si la comparaison n’est pas forcément pertinente, Venise compte 269 000 habitants et reçoit par an 20 millions de touristes. Rocamadour, qui ne compte que
656 habitants, en reçoit chaque année 1,5 millions (soit 2280 fois sa population). Si la politique du gouvernement indonésien auparavant, puis celle du gouvernement provincial en association depuis la loi d’autonomie régionale, a toujours préconisé le tourisme de masse comme seule option, il ne faut pas s’étonner que les Balinais finissent par se sentir à l’étroit chez eux.

Toutefois, cette politique du tout tourisme a enrichi beaucoup de monde, des élites indonésiennes et balinaises qui sont loin d’avoir organisé une répartition équitable des richesses. Et si Bali a quand même largement profité de cette manne dans l’ensemble, il reste beaucoup de laissés pour compte. Il va donc falloir que ses habitants fassent preuve d’une grande lucidité pour démêler le vrai du faux quand leurs leaders se mettent à désigner les étrangers comme responsables. Et qu’ils comprennent aussi qu’on ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre. Mais ceux qui ont vendu leurs rizières pour financer des cérémonies somptueuses et acheter la dernière Honda Jazz toutes options à chacun de leurs enfants en seront-ils capables ? Sur ce sujet, martelons une fois encore que les Balinais vendent leurs terres à d’autres de leurs concitoyens puisque les étrangers n’ont pas droit à la propriété en Indonésie.

Des étrangers qui seraient des losers chez eux

78 « incidents criminels » donc, commis par… 3 millions de visiteurs et 30 000 résidents. Nous aussi, mêlons touristes et résidents, comme le font les autorités et la population pour qui, perception ordinaire ici, même les étrangers installés restent des turis… à vie. Dans la même veine, l’Association du tourisme indonésien (GIPI-Bali) a demandé au gouvernement indonésien de reconsidérer sa politique de tourisme de masse. Elle l’a toutefois fait d’une façon pour le moins abrupte en affirmant, comme lu dans Kompas, qu’« il y a beaucoup de touristes étrangers qui viennent à Bali pour chercher du travail, certains font du commerce, d’autres ouvrent des petits warung et travaillent comme guides illégaux. » Au sujet de cette association d’idée étrangers/criminalité, rappelons que l’Indonésie fournit une importante main d’œuvre non qualifiée, qui se chiffre par millions, dans les pays de la région et du Moyen-Orient. Une partie non négligeable d’entre eux sont des sans-papiers (comme en Malaisie) et ils sont des centaines à être condamnés à mort pour des crimes graves, comme l’affaire Satinah en Arabie Saoudite nous l’a rappelé récemment.

Notons que pour GIPI-Bali aussi, la frontière entre les notions d’« étranger » et de «  touriste » est floue, et de continuer ainsi d’une façon plutôt choquante : « Beaucoup de ces gens sont incapables de faire carrière dans leur propre pays, ils sont des rebus de leur pays d’origine. Qui plus est, il y a des touristes étrangers qui sont soignés à Bali pour des maladies mentales, ils sont sans le sou, sans même un billet de retour. D’autres, meurent à Bali, abandonnés, sans lien familial. » Pour ces raisons, GIPI-Bali demande aux responsables politiques de trouver des moyens pour filtrer les visiteurs de l’île. « Ne regardez pas combien d’argent ils amènent, mais considérez plutôt combien ils vont réellement dépenser et la durée de leur séjour », a-t-il lancé. Quelqu’un avait inventé l’immigration choisie, GIPI-Bali vient d’inventer le « tourisme choisi »…

Les pendatang, populations originaires des autres îles, étaient jusqu’à présent les boucs émissaires ordinaires dans la vindicte balinaise. Les temps ont changé, notamment à cause de ces discours populistes et racoleurs distillés par les élites pensantes de l’île. Il est vrai que nous sortons d’une période d’élection législative où les politiciens s’en sont donné à cœur joie de promesses et de remèdes miracle dans une Indonésie qui semble ne jamais vouloir guérir de son nationalisme outrancier. La tendance a donc été portée à son comble ces derniers temps. En contrepartie, notre devoir à nous autres, résidents étrangers à Bali, est de continuer à respecter la loi en nous munissant de tous les papiers nécessaires à nos activités, de connaitre nos droits et d’espérer de les savoir respecter en retour, de montrer que nous sommes informés de ce qui se dit sur notre compte, de faire remonter les abus dont nous serions victimes à nos consulats ou ambassades respectifs, de faire circuler nos problèmes sur les réseaux sociaux, bref de faire savoir que nous ne souhaitons pas être les dindons de la farce.

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