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Bali dans le grand dictionnaire géographique de 1768

Extrait du « Grand Dictionnaire géographique, historique et critique de M. Bruzen de la Martinière, géographe de sa majesté catholique Philippe V, roi des Espagnes et des Indes », publié en 1768.

Bali est à l’est de la grande Java. Elle a de circuit douze lieues d’Allemagne septentrionale et est montagneuse. Il y a au sud un grand cap très haut, nommé Los Porcos, qui court avant dans la mer. La capitale porte aussi le nom de Bali. Le roi y a un palais magnifique et spacieux aussi bien qu’en plusieurs autres places de l’île. Ce prince ou roi de Bali est puissant, aimé et honoré de ses sujets et a une cour et un train dix fois plus magnifique que n’est la cour de Chepate ou du gouverneur de Bantam.

Les habitants de cette île si extraordinairement peuplée sont noirs et ont des cheveux crépus. Leur roi exerce sur eux un empire sévère et absolu. Ils sont païens et adorent la première chose qui se rencontre au matin devant eux ; ils sont vêtus comme les Javanois et les autres insulaires, avec qui ils ont encore cela de commun que les hommes ne portent point du tout de barbe car aussitôt qu’il en croît quelque poil, ils le tirent avec un instrument fait exprès. On dit que ce sont les femmes qui ont donné lieu à cette coutume parce que quand elles voient les hommes barbus, elles crient après eux au bouc et s’en moquent.

Ils tiennent que faire son eau debout, c’est imiter les chiens et même les hommes se baissent pour la rendre, comme font les femmes parmi nous. Ils ont chacun plusieurs femmes et c’est pour cette raison que leur île est si peuplée. Quoi qu’ils vendent quantité d’hommes pour être transportés hors de l’île, le nombre extraordinaire de ce qu’il y reste de gens est encore plus de six cent mille personnes. Leur plus commune occupation est de cultiver la terre et de tisser des étoffes ou des toiles. L’île est fort abondante en coton, outre celui qu’on y apporte de Sombaïa et des autres îles voisines. Il y a une grande abondance de gros et de menu bétail, comme des bœufs, buffles, chèvres, pourceaux et même chevaux ; mais les chevaux sont aussi petits que ceux de France et ont de la peine à porter un cavalier tout armé. On en transporte peu hors de l’île, ce qui fait qu’ils y multiplient beaucoup. Il n’y a que les gens du commun qui s’en servent pour aller d’un village à l’autre : les grands seigneurs se font porter ou vont en chariot.

L’île de Bali produit une grande quantité de riz que le roi ne laisse point transporter ailleurs. Ce qui en reste après la consommation des habitants en ont faite, on le porte chaque année dans les forteresses qui sont sur de hautes montagnes et on le conserve pour des années de stérilité quand il en vient ou pour les accidents qui peuvent arriver comme ceux que cause la guerre, où les ennemis ruinent quelquefois les villes et détruisent tout ce qui est dans la campagne ou comme les inondations dans les pays bas. On trouve diverses sortes de volailles, des poules, des canards, des tourterelles, etc.

Les fruits les plus communs sont les noix de cocos, des oranges et des citrons dont on voit des lieux incultes et des bois tout remplis. Il y a un autre fruit de la grosseur d’une poire avec une coquille fort mince presque comme celle de la châtaigne, mais qui n’a pas tant de pointes. Ce fruit est blanc en dedans, d’un goût agréable, fort sain et bon contre le scorbut. On peut le confire dans le sucre ou dans la saumure : et pourvu qu’on le lave en le tirant de la saumure, il perd tout le goût de sel qu’il avait et reprend sa première saveur. Il y a encore un autre fruit qui croît en terre et qui est de la grosseur d’une grosse noix, mais il est plus dur et fort gros. On n’a pas remarqué que cette île produisait d’autres épiceries que le gingembre qui croît dans toutes les Indes, quoiqu’elle produise diverses drogues comme le galigan, le doringui, le canjor, le bangue et plusieurs autres.

La mer qui environne l’île est fort poissonneuse aussi bien que les eaux internes et il y a dans l’une et dans les autres, de gros et de petits poissons qui sont d’un grand usage et fort agréable pour l’entretien de la vie. Les habitants n’ont presque pas de commerce par mer ; ils n’ont que de petites pirogues pour aller aux côtes de Java porter les toiles et autres ouvrages de coton qu’ils font.

Cette île est un rade commune et un lieu de relâche pour les vaisseaux qui vont aux Moluques, à Banda, Macassar, Timor et Solor et qui viennent y relâcher pour prendre des rafraîchissements, à cause de l’abondance et du bon marché des denrées. Les Chinois y viennent aussi quelquefois trafiquer et y apportent des sabres et des porcelaines qu’ils troquent pour des toiles de coton. Les armes des habitants sont comme celles des Javanois. Il y a dans l’île divers métaux, entre autres du cuivre et de l’or, mais le roi ne permet pas qu’on ouvre les mines d’or.

Les plus grands seigneurs de cette cour ne parlent au roi qu’à mains jointes. Il a sous lui un gouverneur qu’on nomme Quillor qui gouverne toute l’île et tout ce qu’il est fait est approuvé. Sous lui sont divers autres grands seigneurs qui gouvernent chacun leur quartier au nom du roi et toutes choses se passent avec beaucoup d’union entre eux et avec le peuple. Si il a quelqu’un qui ose se révolter, il est aussitôt attaqué par tous les autres et le moindre supplice qu’il doive attendre, c’est d’être banni comme il arriva à la fin du seizième siècle. Un prince de sang royal avait conspiré contre la vie du roi et voulu le massacrer dans son palais ayant pour cet effet engagé beaucoup de gens dans ses intérêts et dans sa conspiration. L’entreprise ayant été découverte, tous les conspirateurs furent condamnés à la mort. Mais roi fut touché de compassion et changea la peine en bannissement dans une île déserte où ils furent tous envoyés. Cette île est au sud de Bali et se nomme Pulo Rossa, ou l’île déserte. Les bannis y demeurent toujours et restent tous sous la domination du même roi, mais il ne leur fut pas permis de retourner à Bali.

Ces exilés et leur postérité ont cultivé Pulo Rossa : ils y ont bâti et l’ont peuplée et ils y ont déjà quantité de bétail. Ils sont païens de même que les habitants de Bali et ont cette mauvaise coutume, que quand les maris sont morts, on brûle plusieurs femmes sur le même bûcher et celles qui y sont brûlées passent pour des femmes vertueuses et qui ont bien aimé leur mari. Ils croient fermement qu’elles les vont accompagner en l’autre monde et dans cette pensée, elles courent à ce supplice en dansant au son de leurs instruments de musique et prennent avec elles leurs plus précieux joyaux, pour s’en servir dans les lieux où elles seront transportées.

Reland, dans la carte de Java, dit que l’île de Bali est aussi nommée la petite Java, Java Minor. Les cartes dressées pour le voyage cité, les distinguent et placent l’île de Bali entre la grande et la petite Java. Mais toutes conviennent à nommer l’île de Bali, l’île qui est la plus proche de la grande Java, à l’orient dont elle n’est séparée que par le détroit de Balambuan.

Le Père Tachard, dans son premier voyage de Siam (Tome I, page 113, éd. D’Amsterdam 1689) parle de quelques Indiens enveloppés dans la conspiration de Batavia : ceux, dit-il, qui parurent les plus braves furent les Balies. Ils ne sont pas en si grand nombre que les Macassars mais ils les égalent en force de corps et de férocité. Comme ils n’ont pas tant de commerce qu’eux avec les Européens, ils sont encore plus barbares et plus cruels. On peut cependant dire que dans leur courage, il y a plus de raison que dans celui des Macassars, car ils n’ont point recours à l’opium comme eux pour se rendre intrépides par une espèce d’ivresse et insensibles aux coups de leurs ennemis. Ils considèrent au contraire le péril et ce n’est que quand ils ont connu qu’il est extrême qu’ils prennent aussi des résolutions de vaincre ou de mourir. Alors, ils s’animent les uns les autres et se dévouent à la mort se jurant mutuellement de ne point survivre qu’après la défaite de leurs ennemis. lls ont une marque de ce dévouement, qui est une espèce de linge blanc, dont ils s’enveloppent la tête en forme de turban, et quiconque l’a pris une fois ne doit plus paraître parmi ceux de sa nation, à moins que d’y vouloir passer pour un infâme. Ce qu’il dit de leur patrie pourrait faire croire à quelques-uns qu’il y a plusieurs îles de Bali. Ces peuples, dit-il, sortent de certaines îles un peu plus méridionales que celle de Java. Il se trompe.

Il serait assez naturel de croire que la langue Balie vient de cette île. Ceux qui ont lu les diverses relations du royaume de Siam, savent que cette langue est celle des théologiens, qu’elle n’est point sue du peuple, que c’est la langue savante du pays qui n’est en usage que parmi quelques gens d’élite, pour n’être pas profanée, comme l’explique le père Tachard (Tome II, page 213). Mais de la Loubère détruit ce préjugé par sa belle description du royaume de Siam. Les Siamois, dit-il, connaissent deux angues, la vulgaire qui est une langue simple presque oute de monosyllabes, sans conjugaison, ni déclinaison, et une autre langue qui à leur égard, est comme une langue morte, connue seulement des savants, qu’on appelle la langue Balie et qui est enrichie d’inflexions de mots, comme les langues que nous connaissons en Europe. Les termes de religion et de justice, les noms de charge et tous les ornements de la langue vulgaire sont empruntés de la Balie. Ils font même leurs plus belles chansons en Balie, de sorte qu’il semble pour le moins que quelques colonies étrangères se soient autrefois habituées au pays de Siam et y aient apporté un second langage. Mais c’est un raisonnement que l’on pourrait faire de toutes les contrées des Indes, car elles ont toutes comme le Siam, deux langues dont l’une ne dure encore que dans les livres…

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