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Avec Ketut Santosa, la peinture sur verre a son réformateur

Ketut Santosa le dit d’emblée, il est celui qui a pris le virage vers les thèmes d’actualité. « Les thèmes classiques, c’est monotone, toujours les mêmes sujets. Alors en 2000, j’ai commencé à faire une sorte de peinture sociale, tout d’abord à l’échelle du village puis après j’ai abordé des thèmes plus généraux sur Bali et même l’Indonésie », explique ce petit homme affable et sûr de lui, père de deux enfants, qui nous reçoit dans l’école où il enseigne la peinture sur verre en activité extra curriculum. L’histoire de cet art à Bali, initié en 1927 par son grand-père Jero Dalang Diah, avait jusqu’alors fleuri sur son propre marché local. Une clientèle de paysans prospères grâce aux cultures du café et des oranges qui étaient ravis d’acheter des œuvres centrées sur les thèmes habituels du Ramayana et du Mahabharata. Comme toujours à Bali, quelqu’un avait découvert une forme d’art, que la famille puis toute la communauté s’étaient accaparées, faisant ainsi la renommée de la région. Malheureusement, l’essor économique des environs de Nagasepaha a fait long feu et, avec l’effondrement des prix du café et des fruits, la production des peintures sur verre est entrée dans une période de débouchés difficiles.

Originaire de Chine, également pratiquée au Japon, la peinture sur verre est née par hasard à Bali. La légende raconte que Jero Dalang Diah, dalang comme son nom l’indique mais également peintre de marionnettes, a reçu un jour une commande de peinture sur un thème classique du théâtre d’ombres à exécuter sur… une vitre. Le commanditaire avait apporté une peinture sur verre japonaise représentant une femme en kimono en guise d’exemple. Le jeune Jero Dalang Diah a paraît-il accepté avec enthousiasme sans avoir soupesé la difficulté du travail à réaliser. Ce n’est qu’après, au moment où il a commencé à étudier l’œuvre d’art nippone que la difficulté lui est apparue. Car si l’artiste peint sur la vitre, le résultat sera vu ensuite à travers ! Ce qui veut dire que la réalisation de la peinture doit se faire… à l’envers. On commence par ce qui constitue d’habitude les finitions et on finit par le fond !

Depuis cette surprise initiale et fondatrice, la technique a été maîtrisée parfaitement par Jero Dalang et ses enfants, aujourd’hui la 4ème génération, et a gagné d’autres familles et même d’autres villages de la région. Toutefois, aux dires de Ketut Santosa, l’art pictural sur verre de Bali, bien que reconnu officiellement et ayant fait l’objet de nombreuses expositions à Bali et à Java, a souffert à partir des années 80-90 des difficultés économiques de la région. Ketut Santosa se souvient du temps où il partait à pied pour espérer vendre pour une somme modique une ou deux peintures dans les villages alentour. Etudiée par les universitaires, mise en parallèle avec l’autre école de peinture sur verre de Cirebon à Java, faisant même l’objet de thèses savantes, de cursus universitaires et de récompenses, la peinture de Nagasepaha n’en trouvait pas pour autant plus de débouchés commerciaux.

En 2000, Ketut Santosa décide alors de changer les thèmes qu’il va peindre. Plutôt que d’attendre une énième et éventuelle commande de temple pour peindre une fois de plus un épisode mythique des écritures hindous, il se lance dans la satire sociale balinaise avec un thème sur les fameux cafés, ces endroits d’ivresse, de paris et de prostitution qu’on trouve au bord des routes dans les campagnes. Et la liste va s’allonger, faisant de lui un spécialiste aujourd’hui de cette surprenante caricature, avec des thèmes sur la drogue, le terrorisme, l’alcool, la pauvreté, le sida, les élections locales, les candidats en campagne et même le scandale de la banque Century. « La peinture de Nagasepaha a désormais un public plus large », commente-t-il. La presse s’est aussi intéressée dans les grandes largeurs à ce renouveau de la peinture de Nagasepaha avec de nombreux articles produits sur le sujet, notamment dans le Bali Post. Les intellectuels balinais n’aiment jamais rien tant que disserter sur l’évolution de leur culture en ces temps de changements intenses.

Si ces œuvres nouvelles ont trouvé place parmi les nombreux collectionneurs d’art indonésiens, au niveau du marché local, la clientèle balinaise continue d’acheter uniquement les thèmes sacrés. Malgré sa lassitude, Ketut Santosa, mais aussi ses disciples aujourd’hui, continuent donc de produire pour les temples et les familles du coin en fonction des événements du calendrier balinais. Rien n’y fait cependant, quand on a goûté à la liberté d’expression, on y revient et quelquefois par des chemins détournés. Exemple : à la commande du musée Neka d’Ubud, Ketut Santosa s’est lancé en 2009 dans une série de tableaux sur la nuit de noces de Nakula et Drupadi. Un thème classique certes, mais que le provocateur de Nagasepaha a eu l’audace de traiter de façon très érotique, avec des dialogues plutôt égrillards dans les bulles des protagonistes. En pleine campagne anti-porno, cette série a eu le mérite de prendre à rebrousse-poil tous les puritains et autres vertueux qui répandent désormais leurs diktats moraux dans les cultures de l’archipel. Les artistes de Nagasepaha sont aujourd’hui si bien rodés à cette technique si particulière de travailler à l’envers qu’ils sont capables de produire une peinture classique en une quinzaine de jours seulement. Alors, des évolutions techniques ont été envisagées, par exemple le passage au plexiglas, car le verre casse facilement, mais Ketut Santosa reste fidèle à la vitre. « Le brillant que donne le verre est une des images de marque de notre peinture », précise-t-il. Toujours à l’affût d’une bonne idée pour amener son art vers plus de débouchés, Ketut Santosa s’est aussi essayé à la peinture dans un bocal ou dans un verre. Mais aujourd’hui, ce n’est pas tant la performance ou l’habileté qui font la valeur de son travail. Dans cette Indonésie moderne et démocratique, citée en exemple dans le monde entier, ce n’est pas une prouesse technique de plus ou de moins qui va déterminer l’avenir de la peinture de Nagasepaha. L’Indonésie du 21ème siècle a besoin d’artistes de leur temps et Ketut Santosa, cet observateur de son époque, l’a bien compris, tout simplement.

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