Ketut Santosa le dit d’emblée, il est celui qui a pris le virage vers les thèmes d’actualité. « Les thèmes classiques, c’est monotone, toujours les mêmes sujets. Alors en 2000, j’ai commencé à faire une sorte de peinture sociale, tout d’abord à l’échelle du village puis après j’ai abordé des thèmes plus généraux sur Bali et même l’Indonésie », explique ce petit homme affable et sûr de lui, père de deux enfants, qui nous reçoit dans l’école où il enseigne la peinture sur verre en activité extra curriculum. L’histoire de cet art à Bali, initié en 1927 par son grand-père Jero Dalang Diah, avait jusqu’alors fleuri sur son propre marché local. Une clientèle de paysans prospères grâce aux cultures du café et des oranges qui étaient ravis d’acheter des œuvres centrées sur les thèmes habituels du Ramayana et du Mahabharata. Comme toujours à Bali, quelqu’un avait découvert une forme d’art, que la famille puis toute la communauté s’étaient accaparées, faisant ainsi la renommée de la région. Malheureusement, l’essor économique des environs de Nagasepaha a fait long feu et, avec l’effondrement des prix du café et des fruits, la production des peintures sur verre est entrée dans une période de débouchés difficiles.
Depuis cette surprise initiale et fondatrice, la technique a été maîtrisée parfaitement par Jero Dalang et ses enfants, aujourd’hui la 4ème génération, et a gagné d’autres familles et même d’autres villages de la région. Toutefois, aux dires de Ketut Santosa, l’art pictural sur verre de Bali, bien que reconnu officiellement et ayant fait l’objet de nombreuses expositions à Bali et à Java, a souffert à partir des années 80-90 des difficultés économiques de la région. Ketut Santosa se souvient du temps où il partait à pied pour espérer vendre pour une somme modique une ou deux peintures dans les villages alentour. Etudiée par les universitaires, mise en parallèle avec l’autre école de peinture sur verre de Cirebon à Java, faisant même l’objet de thèses savantes, de cursus universitaires et de récompenses, la peinture de Nagasepaha n’en trouvait pas pour autant plus de débouchés commerciaux.
En 2000, Ketut Santosa décide alors de changer les thèmes qu’il va peindre. Plutôt que d’attendre une énième et éventuelle commande de temple pour peindre une fois de plus un épisode mythique des écritures hindous, il se lance dans la satire sociale balinaise avec un thème sur les fameux cafés, ces endroits d’ivresse, de paris et de prostitution qu’on trouve au bord des routes dans les campagnes. Et la liste va s’allonger, faisant de lui un spécialiste aujourd’hui de cette surprenante caricature, avec des thèmes sur la drogue, le terrorisme, l’alcool, la pauvreté, le sida, les élections locales, les candidats en campagne et même le scandale de la banque Century. « La peinture de Nagasepaha a désormais un public plus large », commente-t-il. La presse s’est aussi intéressée dans les grandes largeurs à ce renouveau de la peinture de Nagasepaha avec de nombreux articles produits sur le sujet, notamment dans le Bali Post. Les intellectuels balinais n’aiment jamais rien tant que disserter sur l’évolution de leur culture en ces temps de changements intenses.