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Alors ma p’tite dame, pour le petit ce sera deux ou trois langues ? (2ème partie)

Le mois dernier, cette rubrique abordait les atouts du plurilinguisme et votre bibliothèque s’est sans doute enrichie de quelques nouveaux dictionnaires de langues. Cependant, ces dernières années, j’ai été témoin de situations étonnantes qui étaient toutes la preuve que l’apprentissage d’une seconde langue n’est pas forcément la panacée s’il n’est pas fait de manière pensée.

A commencer par une découverte inattendue à la naissance de ma fille. Italienne de naissance, je n’ai appris à parler français qu’à l’âge de 6 ans, et mon foyer parental reste italophone. Cependant, avec mon bébé tout frais dans les bras, il m’a été impossible de lui parler italien sans avoir la désagréable impression de sonner faux. Quelle étonnante surprise, l’italien n’était plus ma langue affective !
Dans un loft à Pantin, j’ai entendu un bobo s’adresser à son fiston en couche-culotte en un broken english du plus bel effet. Face à ma surprise, ce papa bien pensant m’a expliqué qu’afin d’exposer son fils à l’anglais au plus tôt, il avait décidé de ne lui parler qu’anglais depuis sa naissance tandis que sa femme lui parlait en français ! Je n’ose imaginer les dégâts d’une telle décision sur le développement comportemental de cet enfant.

Ici à Bali, je ne compte plus les exemples de couples mixtes dont les enfants, pourtant exposés aux deux langues de la même manière, se les sont appropriées différemment. Dans une fratrie de quatre enfants, j’en connais trois qui parlent anglais et français couramment tandis que le quatrième ne sait pas un mot de français, obligeant le parent francophone à s’adresser à lui en anglais. Cet enfant n’est pourtant pas moins intelligent que les autres, pour preuve, ses excellents résultats scolaires.

Dernièrement, le fils d’un ami scolarisé dans une école anglophone, vient d’intégrer une école française en Asie. De bougon, il est devenu heureux comme un pinson et il vient de découvrir qu’il aime apprendre, tandis que ses deux sœurs regrettent leur ancienne école.
Si je vous ai cité cette galerie d’exemples, c’est pour illustrer le besoin nécessaire d’observer et de connaitre son enfant avant de l’exposer à une nouvelle langue. Comme pour tout aspect éducatif, il n’existe pas de règle d’or. Il est impératif de respecter le rythme et les capacités de son enfant.

Le premier point négatif du bilinguisme, c’est que les enfants exposés à une deuxième langue mettent longtemps à développer la maîtrise orale de cette langue. La psychologue canadienne Ellen Bialystok a mis en évidence que, même après cinq ans de fréquentation d’une école dans l’environnement de la langue seconde, les enfants peuvent ne pas parler aussi couramment cette langue que leurs pairs unilingues. Plus déroutant, la pauvreté du vocabulaire ne se limite pas seulement à la seconde langue. Le vocabulaire des enfants bilingues a tendance à être moins développé dans chaque langue que celui des enfants unilingues.

Le bilinguisme peut même entrainer des décalages développementaux chez l’enfant durant les premières phases de l’acquisition d’une deuxième langue. Je suis chaque année témoin du mutisme des enfants non anglophones qui arrivent dans ma classe pour la première fois. Il faut à ces enfants plus d’un an avant de pouvoir enfin oser s’exprimer ouvertement. L’acquisition de l’anglais leur demande une telle concentration que les autres acquisitions sont souvent freinées. Ce n’est cependant qu’un retard qu’ils rattrapent sans problème lorsque l’anglais est mieux maitrisé. J’assiste alors à une « explosion » de savoir qui réjouit l’enfant, l’enseignant et les parents.
Mais le plus inquiétant, c’est lorsqu’un enfant a des problèmes d’acquisition des habiletés de base en lecture dans sa langue. Certains enfants bilingues peuvent avoir des difficultés à lire, non seulement parce qu’ils ont besoin de plus de temps pour développer la maîtrise orale dans leur deuxième langue, mais aussi parce qu’ils ont des troubles d’apprentissage de la lecture tel que la dyslexie. La capacité à diviser les mots en sons et à synthétiser les sons pour former des mots est à la base de tout apprentissage de lecture (raison pour laquelle la méthode globale est une catastrophe porteuse d’illettrisme assurée, mais c’est là un autre sujet.) Cette capacité varie selon les individus, certains ayant des difficultés tandis que d’autres apprennent à lire sans effort. Or, les difficultés d’apprentissage chez les enfants unilingues et ceux bilingues correspondent et peuvent prédire les compétences en lecture et en orthographe dans les deux langues. L’apprentissage d’une seconde langue risque fort alors d’être une source de confusion supplémentaire, surtout si l’enfant est immergé dans une école où on ne parle que sa seconde langue. En bref, les parents qui planifient de mettre leurs enfants dans des écoles de langues différentes au cours de leur scolarité dans l’espoir qu’ils soient parfaitement bilingues, assurez-vous en premier lieu que votre enfant ne présente aucune difficulté d’apprentissage. Le bilinguisme n’est bon que si vous ne mettez pas vos enfants en difficulté !

La conclusion de cet article en deux volets reste que le plurilinguisme est un véritable atout et nous avons la chance, nous les immigrés francophones à Bali, d’y être exposés quotidiennement. Plus on parle de langues, mieux on appréhende le réel. Un proverbe arménien résume merveilleusement ma pensée : “Autant tu connais de langues, autant de fois tu es un homme.”
Vive le bilinguisme, mais le bilinguisme bien pensé.

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