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Ahok s’attaque à la corruption au parlement de Jakarta

Le gouverneur de Jakarta Basuki Tjahaja Purnama, dit Ahok, a décidé de dénoncer les agissements irréguliers des parlementaires dans la préparation et les délibérations du budget annuel de la capitale. Une initiative rare et courageuse qui apporte un éclairage retentissant sur les pratiques corruptrices à l’échelle de la politique locale indonésienne.

Le mois d’avril a débuté et Jakarta n’a toujours pas voté son budget de fonctionnement 2015. La faute à un conflit ouvert entre le gouverneur de Jakarta et le parlement local de la capitale. La loi veut que le budget annuel soit présenté par le gouvernement local et ratifié par le parlement avant d’être envoyé par le gouverneur pour adoption au ministère de l’Intérieur. Mais Ahok a refusé d’envoyer au ministère la version corrigée par le parlement de Jakarta d’un montant de 6,8 milliards de dollars, soumettant à la place la version initiale proposée par son administration d’un montant de 5,9 milliards de dollars. La différence, de près d’un milliard de dollars, entre les deux versions du budget tient selon lui à la pratique appelée en indonésien « dana siluman » ou « budget sournois ». Une pratique qui verrait les parlementaires gonfler artificiellement le budget en y ajoutant des projets fictifs ou en augmentant les montants des projets existants.

Depuis 2012 et son élection avec Jokowi à la tête de la capitale indonésienne, Ahok a pu soupçonner ces pratiques, mais d’après ses dires, il était alors difficile de savoir quels en étaient nommément les coupables, le budget étant alors amendé manuellement. Ahok a donc développé et imposé un système de budget électronique (e-budget) utilisé pour la première fois pour la préparation du budget 2015 et auquel seuls quelques membres de l’administration ont accès. Cette évolution lui permet de savoir qui effectue les éventuels changements dans les différents postes budgétaires.

Fort de cette nouveauté, le gouverneur de Jakarta a décidé fin février de soumettre à la Commission de lutte contre la corruption (KPK) des documents montrant selon lui des irrégularités commises dans les budgets de la période 2012-2014. L’association Indonesia Corruption Watch (ICW), à titre d’exemple, a affirmé avoir trouvé 454 irrégularités dans le budget 2014 de l’Agence pour l’Education. Au total, ces irrégularités seraient responsables de 92 millions de dollars de pertes pour l’Etat. Sur l’ensemble du budget alloué l’année dernière pour l’éducation et les 1482 activités répertoriées, ICW estime que plus d’un tiers de ce budget est suspicieux.

L’exemple le plus médiatique est celui des générateurs d’électricité fournis aux écoles publiques de Jakarta et qui ont coûté environ 500 000 dollars l’unité à la ville, quand ils sont disponibles à un prix public inferieur à 2000 dollars… ICW a ainsi expliqué que les 39 entreprises ayant remporté cet appel d’offres posaient questions puisque la majorité d’entre elles a aussi remporté un total de 197 appels d’offres pour des projets autres que ceux liés à l’éducation entre 2012 et 2014. De nombreux autres projets farfelus ont ainsi été rendus publics, comme cette biographie en trois tomes d’Ahok qui bien évidemment n’a jamais été proposée par le gouverneur.

En décidant de dénoncer et de s’attaquer à ces pratiques, Ahok a déclenché une guerre contre le parlement de Jakarta. Celui-ci, qui évite soigneusement de s’expliquer sur le fond et les incohérences budgétaires, a décidé en retour de lancer une procédure d’enquête contre le gouverneur. Un processus qui pourrait, s’il est mené à terme, conduire à la destitution d’Ahok.

Loin des préoccupations des habitants de Jakarta qu’ils sont censés représenter, et qui dans leur vaste majorité soutiennent la démarche du gouverneur, les parlementaires ont donc opté pour le maintien aveugle de leurs pratiques délictueuses, dans l’arrogance qui les caractérise et l’impunité dont ils semblent pouvoir jouir sans contre-pouvoir. Dans un clin d’œil qui pourrait prêter à sourire s’il n’impliquait pas le développement de la capitale indonésienne et les conditions de vie de ses habitants, la fronde médiatique est menée par Lulung Lunggana, un parlementaire qui s’était rendu célèbre l’année dernière en arrivant au parlement au volant de sa Lamborghini qu’il conduisait avec des papiers illégaux. Une image qui en dit certainement bien plus que tous les discours.

Il est encore difficile de prédire comment l’histoire va se terminer dans un pays où l’injustice est commune. Mais au-delà de l’acte courageux et profondément républicain d’Ahok et du cas de Jakarta, qui bénéficie des lumières médiatiques grâce à son statut de centre névralgique du pays, les pratiques exposées par le gouverneur de Jakarta décrivent un problème bien plus profond. L’exposition publique de ce cas a délié quelques langues et il semble de plus en plus évident que les délibérations de budgets provinciaux et régionaux répondent toutes aux mêmes méthodes. Celles-ci n’ont pas encore été découvertes parce qu’aucun autre leader local n’a eu le courage de les dénoncer, préférant certainement en profiter, mais l’Indonésie étant désormais un état extrêmement décentralisé, on peut imaginer l’échelle incroyable des détournements d’argent public effectués dans tout l’Archipel.

Ces pratiques n’ont pas commencé sous la présidence de Jokowi, mais il est permis de douter qu’il sera le président qui y mettra un terme. En peu de temps, celui qui représentait il y a quelques mois encore l’espoir des Indonésiens a été remplacé par Ahok, qui doit néanmoins se sentir bien seul dans l’adversité.

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