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Affaire Nazarrudin: entre info spectable et mauvais scenario

L’histoire avait pourtant bien commencé. Fugitif depuis de longues semaines après sa mise en accusation pour corruption dans un scandale lié à la construction du village des athlètes pour les prochains Jeux d’Asie du Sud-est, Nazaruddin avait été arrêté en Colombie puis déporté grâce à l’aide d’Interpol et des autorités colombiennes. Pendant son exil volontaire, l’ancien trésorier du parti démocrate de 32 ans ne s’était pas privé de rester en contact avec les journalistes indonésiens, les nourrissant de messages accusateurs envers d’éminents membres de son parti et de la Commission de lutte contre la corruption (KPK), exhibant des dossiers et autres clés USB censés contenir toutes les preuves de ses accusations dans des entretiens téléphoniques sur Skype qui ont été montrés en boucle sur toutes les chaînes de télévision. Outre l’instruction officiellement en cours du village des athlètes, Nazaruddin est aussi accusé d’être le complice d’au moins 150 différentes entreprises qui auraient malhonnêtement remporté des marchés publics dont les montants s’élèvent à quelques 700 millions de dollars. Le tout en utilisant des méthodes maintes fois appliquées et d’une simplicité effarante. Son ascension météorique au sein du parti présidentiel et de la politique indonésienne n’aurait en aucun cas pu se faire sans complicité et sans l’implication de nombreuses autres personnalités politiques.
Sur l’air de « si je tombe, je ne tomberai pas seul », beaucoup attendaient dès lors un grand déballage impliquant des acteurs majeurs de la politique nationale, au premier rang desquels le numéro un du parti démocrate Anas Urbaningrum. Mais peu de temps après son retour, de manière incompréhensible, plusieurs politiciens de différents partis ont été autorisés à le rencontrer en prison. Suite à cette rencontre, Nazaruddin a expliqué ne plus se souvenir des accusations qu’il voulait porter. Quel être moyennement doué d’intelligence oserait pareille excuse après avoir répété quasi quotidiennement pendant des semaines qu’il détenait les preuves de l’implication de beaucoup de personnalités dans des pratiques corruptives ?

Nazaruddin n’en est pour autant pas resté là. Il a écrit (ou on lui a écrit) une lettre confondante de naïveté et de ridicule au président Yudhoyono. Dans celle-ci, il demande au président de mettre en sûreté ses enfants et sa femme, pauvre mère au foyer, alors que celle-ci est aussi accusée d’être impliquée très directement dans les cas de corruption de son mari et a aussi pris la fuite. Il demande ensuite à être incarcéré sans jugement et promet de ne rien dire de compromettant sur le parti démocrate et le KPK pour le bien du pays ! Plusieurs points démontrant le niveau des élites politiques indonésiennes méritent d’être soulevés ici. Tout d’abord, son amnésie ne semble pas incurable puisqu’il admet connaitre des éléments compromettants. Ne pas vouloir les révéler est une obstruction claire à la justice. Demander à être emprisonné sans jugement est une reconnaissance de culpabilité et un manque de respect profond du système judiciaire national, qui en a connu d’autres il est vrai. Enfin, Nazaruddin estime qu’en ne révélant rien de la corruption généralisée au plus haut de l’Etat, il sert son pays. Ces quelques phrases envoyées au président de la République indonésienne ne font que prouver une fois de plus la pauvreté intellectuelle, l’irrespect pour les Indonésiens et les institutions nationales et la déconnection de la classe dirigeante de l’archipel par rapport à la réalité et aux véritables besoins de la nation.

Pourquoi des hommes politiques de premier plan ont-ils été autorisés à rencontrer Nazaruddin en prison ? Qu’ont-ils négocié ? Comment Anas Urbaningrum peut-il affirmer être innocent alors qu’il est le principal acteur dans la montée en puissance de Nazaruddin au poste de trésorier du parti démocrate ? Est-il possible que le président et son entourage ne découvrent que maintenant les agissements qui ont cours dans le parti qu’il a créé et qu’il supervise encore ? Qui sont ceux qui ont attribué tant de projets gouvernementaux aux entreprises dans lesquelles Nazaruddin est impliqué ? Pourquoi de nombreux députés ont-ils affirmé après la fuite à l’étranger de celui-ci, devant les micros, qu’il avait quitté le pays pour raisons médicales, certains affirmant même qu’il avait perdu près de vingt kilos à cause de ses problèmes de santé ? Toutes ces questions, tous ces mensonges, il est très peu probable qu’on y obtienne des réponses ou qu’ils soient punis. Le président a très vite annoncé qu’il n’interférerait pas dans le processus judiciaire, restant opportunément et volontairement aveugle au délire politique dans lequel son pays est profondément ancré et s’essuyant une nouvelle fois les pieds sur les promesses qui lui ont permis d’être élu deux fois à la tête du pays. Beaucoup trop d’hommes de pouvoir sont impliqués directement pour que des manœuvres ne soient entreprises. Et les Indonésiens semblent une nouvelle fois beaucoup trop détachés, apolitiques, pour offrir un véritable contre pouvoir.

La seule solution serait que Nazaruddin ait du courage. Celui de révéler tout ce qu’il sait. De donner les noms et d’expliquer comment la caste politique piétine les droits de tous les citoyens indonésiens pour son profit. Cela n’arrivera pas. En attendant, difficile de pouvoir affirmer que l’Indonésie, politiquement, est sur le bon chemin. En tout cas, pas avant que de nouveaux dirigeants soient élus en 2014.

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