L’arbre de mon jardin était habituellement truffé de nids d’oiseaux jusqu’au jour où j’en ai vu plein d’éventrés joncher le sol. Alors que je regardais, un écureuil traversa agilement le toit de ma maison, s’élança dans les airs puis retomba dans l’arbre où il se mit à saccager un nid en quête d’œufs. Comme ces animaux sont si communs ici, je n’y avais jamais prêté beaucoup d’attention mais là, j’ai entendu un bruit mat dans les buissons au pied de l’arbre. Après enquête, j’ai découvert un jeune écureuil allongé sur le dos, les yeux fermés. J’ai imaginé que, étant bien jeune, il était encore peu aguerri à la grimpette dans les arbres et qu’en essayant de suivre sa maman, il s’était cassé la figure.
Je l’ai recueilli dans le creux de mes mains et j’ai placé son corps contusionné dans une boite en carton. Quand, une demi-heure plus tard, je suis revenu jeter un œil, la petite boule de poil était toujours allongée sur le flanc, avec les yeux légèrement entrouverts et les moustaches qui tressautaient. Il reprenait conscience doucement, puis il s’assit, l’air surpris et confus. Je demandais à mon fils Lawrence de me préparer une pipette et du lait. Tenant l’animal dans ma main gantée – on ne sait jamais comment ces petites créatures sauvages peuvent réagir ! – je lui ai proposé la pipette remplie de lait. Après une tétée pour le moins frénétique qui le vit avaler le nectar en un temps record, la petite bestiole en liquida goulument pas moins de douze à la suite. Tout ce temps, il était resté allongé sur son dos, niché dans mon gant, et ne tenta absolument pas de s’échapper. Toutefois, une fois le breuvage terminé, le jeune écureuil se retourna brusquement et planta ses longues incisives dans le gant, couinant et protestant bruyamment. Je sentis la douleur dans mon pouce. Puis, il se contorsionna pour se libérer et, d’un bon soudain, il s’éloigna de nous en direction de l’arbre d’où il était tombé.
En Angleterre, l’écureuil gris est devenu une nuisance très répandue pour les agriculteurs. Cet envahisseur d’Amérique du Nord s’est imposé au détriment du plus petit écureuil rouge qui est aujourd’hui presque éteint au Royaume-Uni. Cet écureuil abîme ou détruit de larges zones de reboisement parce qu’il adore manger la cime des arbustes. Un responsable de parc anglais m’avait une fois confié qu’il devait secrètement éliminer les écureuils qui ravageaient ses plantations la nuit parce que les visiteurs qui les nourrissaient la journée n’auraient pas compris. Eussent-ils découvert ces exterminations clandestines, il y aurait eu une révolte publique pour cruauté envers ces charmantes petites créatures !
Comme leurs cousins européens, les écureuils tropicaux sont essentiellement herbivores, mais ils ne dédaignent pas insectes et œufs d’oiseaux. Ici, ils peuvent causer des dommages considérables aux cocotiers dans lesquels ils vivent, mangeant les jeunes feuilles et les jeunes noix, ruinant jusqu’à 20% de la production. Des noix abîmées, avec des trous jusqu’au cœur afin d’atteindre la chair et le lait, sont souvent visibles au pied des arbres ici. Une preuve que leurs dents sont bien acérées et un témoignage de leur persistance à courir coûte que coûte après leur casse-croûte !
L’écureuil le plus commun ici est peut-être le Callosciure à flancs striés (Callosciurus Notatus). On les voit le plus souvent en train de courir le long des troncs d’arbres ou en groupe, en train de se courir les uns après les autres de branches en branches. On les voit aussi traverser les rues sur les câbles de téléphone où ils font d’excellents funambules, sorte d’équilibristes à grande vitesse. Les routes sont généralement des obstacles à la vie sauvage mais, comme les singes, les écureuils sont de bons sauteurs, faisant facilement des bonds de plusieurs mètres pour laisser derrière eux ces espaces artificiels de leur habitat.
Plus de cinquante espèces d’écureuils vivent dans le Sud-est asiatique, incluant les soi-disant écureuils volants, qui sont parfois joliment colorés de rouge et de jaune, et qui préfèrent généralement vivre dans les forêts pluviales plutôt que dans les banlieues ou les jardins. Ces animaux ne volent pas de la même façon que les oiseaux ou même les chauves-souris, mais ils planent. Au repos, ils donnent l’impression d’être vêtus de manteaux bien trop grands pour eux, mais quand ils sautent d’arbre en arbre, cette peau en trop entre leurs pattes et leur queue leur sert d’aile ou de parachute. En faisant de légère correction d’assiette de leurs corps en vol et en manœuvrant leur queue comme un gouvernail, ces écureuils peuvent évoluer à travers les airs et atterrir avec précision sur un autre arbre. Sur les pentes d’un volcan du Parc national de Kerinci (Sumatra-Centre), j’ai vu ces animaux se lancer dans les airs et planer avec grâce au-dessus d’une cinquantaine de mètres de clairière. Cette capacité à « voler » est évidemment une excellente façon d’échapper à leurs prédateurs, comme les chats sauvages ou les serpents.
En Angleterre, les écureuils sont devenus si accoutumés aux humains, particulièrement dans les parcs, qu’ils acceptent la nourriture de la main même des promeneurs. Puisque la plupart des gens les voient comme de « mignonnes » créatures, leur nombre a explosé dans les jardins privés où ils occasionnent en fait des dommages considérables aux plantes et où ils détruisent aussi les abris à oiseaux que les gens installent en hiver. Les écureuils sont intelligents, ils apprennent rapidement et s’il y a de la nourriture facile à récupérer, ils ne vont pas se gêner !
Le marché aux animaux de Denpasar a des cages pleines de toutes sortes d’espèces d’écureuils à vendre. Les jeunes d’ici les dégomment avec des carabines à plomb, c’est ainsi qu’un nombre important de bébés tombent de leur hotte et sont vendus sur les marchés à des acheteurs peu soupçonneux. Les adorables petites bestioles deviennent vite d’agressifs petits monstres dont il faut se séparer à moins qu’ils ne prennent d’eux-mêmes la poudre d’escampette une fois adulte. Leur viande est aussi appréciée, en nourriture ou en médicament, bien que je sois peu convaincu d’un quelconque bienfait.
Nous avons donc là une relation amour-haine entre ces bêtes et les hommes. Avec leurs oreilles touffues, leurs grands yeux humides et leur queue en panache, les écureuils, comme les tamias américains (chipmunks), ont cette image de petites bestioles adorables à la Disney qui les rendent très attractifs pour les gens. En même temps, ces cousins des rats et des souris peuvent être considérés comme un fléau car ils causent des pertes économiques considérables à travers le monde. Enfin, avez-vous vu sur YouTube toutes ces vidéos d’écureuils agressifs qui attaquent les humains ? Pensez-y la prochaine que vous leur donnerez à manger !
