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Acteurs vaillants, rien d’impossible

Si la soirée flamenco organisée à l’initiative de l’ambassade d’Espagne (sur invitation seulement) s’est jouée à guichets fermés, il y a généralement moins de presse aux représentations théâtrales, et surtout… quasiment aucun bule. On les comprend, étant donnée la barrière linguistique. Mais c’est dommage car, hormis le fait qu’il y aura toujours un étudiant à proximité pour vous résumer l’histoire, nombre de spectacles sont parfaitement accessibles du fait de leurs qualités scéniques et musicales.

La brune Ophélie et Polonius le chétif

Hamlet, par exemple. Emanation de l’Institut des Arts de Jakarta, le Teater Aristokrat n’en est pas à son coup d’essai en matière d’adaptation du théâtre occidental : la troupe a notamment déjà monté des oeuvres de Tchekhov, Lorca, Gogol, Camus, pour ne parler que des plus récentes. Mais un monstre sacré comme Shakespeare ? « Il n’y a eu aucun problème, parce que nous en avions tellement envie », sourit gentiment le metteur en scène, Ucok R. Siregar. Voire… Sept mois de travail au rythme de six heures de répétition par jour, impliquant 140 personnes, technique et administration comprises, ont été nécessaires pour aboutir à… trois soirées au TIM (Taman Ismail Marzuki, le complexe culturel proche de l’université). Il a fallu couper du texte, d’ailleurs sans trop d’états d’âme, pour descendre, à peine, au-dessous des quatre heures de représentation. Faute d’orchestre, on a eu recours à des collégiens et à leurs professeurs de guitare classique; les élèves des Beaux-arts ont fabriqué les costumes. Le résultat est plus qu’honorable. Ophélie, étudiante en troisième année de théâtre, un peu embarrassée au début, trouve ses marques et devient tout à fait convaincante dans les scènes de folie. Ayez Kassar dans le rôle-titre porte le texte et la pièce avec charme et courage. Les petits rôles (les fossoyeurs, les comédiens) sont réglés au millimètre, vifs, drôles. Mais le plus épatant (à notre avis), c’est Polonius, pour lequel Epy Kusnandar s’est fait une petite silhouette de mandarin chinois à barbiche, aussi redoutablement efficace qu’elle peut paraître à priori improbable.

Butet : celui qui dit la vé-ri-té…

Au TIM toujours, Butet Kartaredjasa, le désormais fameux président de la « République du rêve » (de l’émission parodique NewsdotCom, tous les vendredis soirs sur Metro TV), après avoir épinglé en introduction quelques personnages et absurdités d’actualité, dont les nouveaux bus par exemple, se transforme sous nos yeux en un mélange de clown blanc et d’Auguste: c’est Sarimin, un pauvre musicien des rues, qui a trouvé une carte d’identité dans la rue et la rapporte au commissariat… où, bien entendu, les ennuis commencent. Durant deux heures à couper le souffle, avec le soutien du gamelan, que dirige son frère et dont les musiciens, à la manière d’un choeur antique, représentent tantôt la foule, tantôt les policiers, Butet alterne les rôles -flic paresseux et corrompu ou avocat bo-bo-, s’essaie à la ventriloquie avec son petit singe, chante, virevolte, modifie le décor, utilise le théâtre d’ombre et des marionnettes géantes pour nous faire partager la descente aux enfers du pauvre Sarimin, soupçonné, arrêté, interrogé, emprisonné… pour avoir été pauvre et s’être accroché à son innocence. Morale désabusée de l’histoire, « kalau benar, kamu salah » : si tu dis la vérité, tu te trompes, et l’évocation grandiloquente de la justice se déroule devant un rideau où passent les ombres de grands singes.

Démiurge en scène

Gamelan côté cour, jazz-band côté jardin : depuis plus de dix ans, Sujiwo Tejo, qui n’est pas seulement musicien, mais acteur, peintre, réalisateur et surtout dalang (maître de marionnettes du wayang kulit), s’attache à combiner, concilier, faire « jouer » ensemble les arts d’Indonésie et d’Occident. Dans Semar Mesem (le sourire de Semar) l’argument est la dispute d’un couple à propos du mariage de leur fille unique : choix du prétendant, « un candidat à la présidence », choix de la musique pour la cérémonie, classique ou moderne ? Chants traditionnels javanais, swing, silat, musique pop : acteurs, danseurs et musiciens improvisent à tour de rôle sur un canevas très simple, mais le dalang a l’oeil à tout. Jouant lui-même, il assure la continuité du récit, « tâte » périodiquement le public, règle entrées et sorties des comédiens, dont certains sont des professionnels confirmés, d’autres des étudiants (comme au Teater Kecil, la « relève » est l’objet de soins attentifs). L’emploi d’« invités », tels le secrétaire général du PDI-P dans le rôle du père, ou la fille de l’ancien président Wahid dans celui de la tante bons offices, permettent au dalang-Semar d’enfoncer le clou : si certains veulent voir la fiancée en symbole de la République, libre à eux ! Et la voix profonde de Sujiwo Tejo, qui jouait les crooners il y a dix minutes à peine, prend soudain des inflexions grandioses, effrayantes ; c’est le dieu Semar soi-même stigmatisant la déliquescence des valeurs et plaidant pour l’amour… Mais une psychiatre renvoie Sujiwo dans sa cellule, et tout s’arrête: aucune autre représentation n’est prévue…

De fait, Jakarta manque de salles, surtout de moyenne ou petite taille. Or, connu ou pas, on ne remplit pas si facilement le TIM ou le GKJ. Les « accords de partenariat » stipulent que les propriétaires de salles empochent 50 a 60% des recettes, et ce sont eux (ou les organisateurs de festivals) qui déterminent le nombre de représentations: une soirée ou deux, pas de tournées, pas de cachet pour les acteurs… Et malgré tout ça, liberté de ton, imagination créatrice, bonheur sur scène. Bravo, les artistes !

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