Accueil Portraits

A Pejaten, le manque de pots n’est plus la tuile

Situé à une quinzaine de kilomètres seulement de Seminyak, le village de Pejaten semble avoir évolué en dehors du temps et de la modernité, à la périphérie de ce « grenier à riz » qu’est la région de Tabanan. Aujourd’hui, cette agglomération de 4000 habitants doit sa prospérité à la fabrication de tuiles mais, jusque dans les années soixante-dix, Pejaten était connu pour sa poterie et une grande pauvreté. La production d’ustensiles de cuisine et des divers récipients utilisés dans les cérémonies constituaient alors l’essentiel des activités de cette région maudite et maintenue à l’écart. La fin des toits en alang-alang et le début de l’urbanisation de Bali en ont changé le destin et permis la reconversion du site en tuilerie géante. Il y a aujourd’hui 200 entreprises qui fabriquent des tuiles à Pejaten. Hester Tjebbes, qui a vécu 35 ans en Bourgogne, se souvient : « Je suis arrivée en 1984 de Jakarta. J’étais dans la capitale dans le cadre d’un échange culturel entre la Hollande et l’Indonésie. Dès que j’ai découvert Pejaten, j’ai eu l’idée de revenir avec un projet de développement basé sur l’introduction de fours à haute température ».

Appuyée par Hivos, une fondation hollandaise, Hester Tjebbes s’installe donc en 1984 et propose au chef du village deux choses : un bon four et de la bonne terre. La terre des environs de Pejaten, qui avait fait la réputation du lieu, était devenue plus que rare dans les années 80 et demeurait de toute façon inappropriée au projet d’introduction des techniques de la céramique que préparait la Hollandaise. Afin d’améliorer la qualité de la production locale, Hester Tjebbes part donc à la recherche de mélange de terres à acheter en sac jusque dans la grande banlieue de Jakarta. Deuxième phase, la construction de fours à gaz à 1300 degrés. Les fours traditionnels, sans voûte, n’atteignaient que 800 degrés et produisaient une qualité de cuisson très inégale, avec un feu alimenté simplement par de la bourre de coco. « A l’époque, le tour n’existait même pas, aujourd’hui, ils sont fabriqués sur place », explique-t-elle fièrement à l’intérieur de son atelier, baptisé Atelier Eglantier, qui emploie sept artisans.

Les techniques introduites par Hester Tjebbes sont suivies par 600 personnes aujourd’hui, contre trois seulement au moment de leur introduction. Toutefois, les fours à ciel ouvert traditionnels sont toujours largement employés, surtout par les tuiliers qui ne voient pas nécessairement l’intérêt du four à haute température. Devant les réticences locales, Hester Tjebbes ne s’est jamais découragée et, avec le concours du chef du village, aujourd’hui décédé, elle s’est constamment battue pour l’amélioration de la production et des compétences des artisans de Pejaten. Dès 1985, le chef du village envoyait déjà les meilleurs élèves des écoles alentour pour qu’ils suivent un apprentissage auprès d’Hester. Elle les emmenait dans les musées de Denpasar étudier les terres cuites du Majapahit et leur apportait des livres d’art d’Europe. Le goût du design venait ensuite et les motifs se retrouvaient tôt ou tard, plus ou moins transformés, sur les produits de la région… Dès lors, les négociants, européens, chinois, américains, n’ont pas tardé à venir se fournir à Pejaten, imposant quelquefois aussi leurs propres styles.

Non contente de régénérer les compétences traditionnelles de Pejaten, Hester Tjebbes a aussi travaillé dur pour la promotion de cette région de Bali. Ayant gardé des connections dans la capitale, elle a organisé incessamment des expositions à Java. Par le biais du centre culturel des Pays-Bas et par ses relations, notamment avec le magazine Kompas et certaines universités, elle a fait découvrir le travail des artisans de Pejaten au reste de l’archipel. Et par le biais de ses œuvres personnelles, les céramiques fabriquées dans ce village de Bali ont aussi voyagé dans le monde entier. Toutefois, la potière originaire de Naarden, près d’Amsterdam, reste consciente de certaines lacunes difficiles à surmonter et ne se fait pas d’illusions. « Malgré toutes leurs qualités, les artisans de Pejaten ne peuvent se mesurer à la fois à la production de masse chinoise et à la production de qualité européenne », affirme-t-elle dans un soupir. Et s’ils s’en sortent aujourd’hui, « c’est à cause des prix bas pratiqués », ajoute-t-elle. Et aussi au marché de la tuile…

Revenue en 2003 pour y installer son atelier de production, Hester Tjebbes affiche cependant son plaisir d’artiste. Elle vend ses productions dans le monde entier, en France, où elle a quelques clients collectionneurs fidèles, aux Pays-Bas, aux Etats-Unis où elle a habité quelques années, à Moscou, à Koweït, etc. La célèbre galerie Jenggala Keramik de Jimbaran lui réserve en permanence un espace d’exposition, son travail est suivi et présenté par l’ambassade des Pays-Bas en Indonésie et elle vient d’ouvrir sa boutique à Ubud. Une histoire singulière si l’on considère que les études de français qu’elle avait menées en Hollande la destinaient à priori à l’enseignement. Ses rencontres avec le céramiste américain Phillip Gearheart, qu’elle épousa, et avec le maître japonais Takao Sakuma, en ont décidé autrement. Aujourd’hui, Atelier Eglantier propose un catalogue riche de quelques dizaines de pièces d’exception que les amateurs s’arrachent aux quatre coins de la planète.

Le chemin parcouru depuis 1984 par les villageois de Pejaten et Hester Tjebbes est donc conséquent. Une revanche sur le sort pour ce lieu qui fut jusque dans les années 70 un repère de laissés pour compte de la société balinaise. D’incessantes rivalités entre banjar, remontant à la colonisation hollandaise, des antagonismes politiques fortement ancrés et insolubles, des interventions à répétition venues de l’extérieur avaient fait de Pejaten un nid de pauvreté en plein cœur d’une région prospère. Conséquence directe de ce chaos, une criminalité importante qui en faisait un lieu à éviter. Une force de défense civile fut même envoyée sur place pour rétablir et maintenir l’ordre en 1970. Difficile de le croire aujourd’hui quand on traverse les paysages sereins et préservés des environs de cette grande tuilerie de Bali, située à seulement quelques kilomètres de l’effervescence du Bali moderne et touristique.

Sur l’Internet à www.eglantier-ceramique.com

LAISSER UNE RÉPONSE

Please enter your comment!
Please enter your name here